Au Sénat, le débat est lancé sur l'instauration d'un arrêt de travail pour les femmes souffrant de règles douloureuses
Par Franck Lemarc
« Désinvisibiliser » les souffrances des femmes au travail. C’est l’objectif de la proposition de loi de la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret, qui a été débattu hier au Sénat. Dans l’exposé des motifs de son texte, la sénatrice rappelle quelques chiffres, issus d’une enquête réalisée par l’Ifop en 2021 : une femme sur deux dit souffrir de dysménorrhée (règles douloureuses). 68 % des femmes jugent que les règles sont « un sujet tabou en entreprise », 65 % des femmes salariées « ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail » et 35 % jugent que leurs douleurs « impactent négativement leur travail ».
Et pourtant, « le sujet reste tabou » en France – alors que dans plusieurs pays, il a été pris à bras le corps depuis bien longtemps : c’est en 1947 et 1948 que le Japon et l’Indonésie ont accordé un arrêt de travail aux travailleuses subissant des règles douloureuses. La Corée du Sud et Taïwan l’on fait dans les années 2010. Et tout récemment, en Europe, l’Espagne a été le premier pays à adopter « un congé menstruel intégralement financé par l’État ».
En France, plusieurs collectivités territoriales ont décidé d’agir. C’est notamment le cas de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), qui a annoncé le 8 mars 2023 mettre en place à titre expérimental des aménagements d’horaires voire des ASA en cas de règles invalidantes. Plusieurs communes et communautés (Bagnolet, Plaine Commune, la métropole de Strasbourg et celle de Lyon) ont suivi. Ces collectivités, ont rappelé plusieurs sénatrices au Sénat, « demandent au Parlement de légiférer », parce qu’elles agissent, pour l’instant, hors de tout cadre juridique.
Arrêt sans jour de carence
Rapporteure de cette proposition de loi, la sénatrice Laurence Rossignol l’a ardemment défendue en commission et en séance, pour que soit « enfin dépassée cette recette que les femmes se transmettent de génération en génération : ‘’Prends tes médicaments et serre les dents’’. » Et pour qu’une autre solution existe que la seule alternative existant aujourd’hui : « S'arrêter et perdre jusqu'à 10 % de leur salaire, parfois chaque mois ; ou souffrir au travail. »
La proposition de loi comprenait quatre articles. Il visait à instaurer « un arrêt pour douleurs menstruelles à destination des femmes souffrant de dysménorrhée, dont l'endométriose, sans jour de carence et pour lequel l'indemnité journalière serait fixée à 100 % du salaire journalier de base ». Cet arrêt serait délivré sur présentation d’un certificat médical valable un an et renouvelable. L’article 4 permettait de recourir, quand c’est possible, au télétravail, « une femme pouvant parfaitement se retrouver gênée par des douleurs menstruelles l'empêchant de se rendre sur son lieu de travail, sans pour autant être handicapée au point de ne pas travailler ».
En commission, la rapporteure Laurence Rossignol a proposé de retirer l’indemnité journalière à 100 %, et de les fixer à 50 % comme c’est le cas pour les arrêts de travail de droit commun, « dans un souci d’équité ». « Il ne me semble pas justifié d'instaurer des différences de traitement entre les différentes pathologies dans le niveau de prise en charge par la solidarité nationale », a plaidé la sénatrice du Val-de-Marne.
« Rupture d’égalité »
Mais ni en commission ni en séance, ce texte n’a pu aboutir. En commission, tous les articles du texte ont été rejetés par la majorité sénatoriale de droite. Idem en séance, où le rejet des quatre articles du texte a conduit au rejet de l’ensemble, le gouvernement lui-même estimant que la proposition de loi était à retravailler.
Tous les sénateurs opposés au texte ont dit leur préoccupation vis-à-vis de ce problème, « salué l’initiative » et estimé que le sujet mérite que des solutions soient trouvées, mais ont développé de nombreux arguments pour s’opposer au dispositif tel qu'il était présenté. Parmi ces arguments : une telle mesure découragerait les employeurs d’embaucher des femmes, et, partant, pourrait nuire « à l’employabilité des femmes ». Le dispositif « contreviendrait au secret médical », puisque les femmes seraient obligées de donner les raisons de leur absence, et « un arrêt reconductible sur un an dévoilerait l’intimité » . Le droit au télétravail prévu par le texte « constituerait une rupture d’égalité ». Cette proposition de loi « créerait des inégalités entre professions », puisque les professions libérales et les entrepreneuses n’en bénéficieraient pas .
Globalement, plusieurs sénateurs opposés au texte ont dit préférer qu’une réflexion ait lieu sur l’intégration des douleurs de règles incapacitantes dans le champ des ALD (affections de longue durée). C’est également l’avis du ministre chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, qui a jugé, en conclusion des débats, qu'« avoir porté ce débat est déjà une victoire », mais que « l’avancée n’aurait pas été si progressiste que cela, compte tenu des obstacles et des incertitudes ». Il a néanmoins promis de « faire avancer le dossier » et de faire en sorte que cette question « ne reste pas lettre morte ».
Sur ce sujet, qui émerge enfin grâce notamment aux initiatives de plusieurs collectivités locales, mais qui s'avère complexe à résoudre sur le plan réglementaire, plusieurs sénateurs ont dit espérer l'élaboration d'un projet de loi, porté par le gouvernement et juridiquement solide. Le ministre Valletoux n'a pas entièrement fermé la porte à cette perspective.
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