Assurance des communes : les premières pistes de la mission conduite par Alain Chrétien
Par Franck Lemarc
Pas moins de trois questions ont été posées au gouvernement, hier au Sénat, sur lles difficultés que rencontrent les communes pour s'assurer, ce qui témoigne du caractère particulièrement préoccupant de la situation. Else Joseph, sénatrice des Ardennes, a évoqué l’explosion des cotisations, et « l’épée de Damoclès » de la résiliation anticipée pour ceux qui refusent les hausses. Dans son département, la communauté Ardennes métropole « a constaté une augmentation de sa cotisation de 50 % », et les petites communes rurales sont également touchées. « Sans assurances, la libre administration des collectivités locales est compromise », a conclu la sénatrice.
Rachid Temal, sénateur du Val-d’Oise, a également relayé les difficultés de plusieurs communes de son département, qui se sont ou bien vu notifier brutalement la fin de leur contrat, ou bien « ont reçu des courriers de leur compagnie d'assurance les informant du doublement, du triplement, voire parfois davantage, de leur police d'assurance ». Le sénateur s’est dit favorable à « la création d’une assurance publique afin de permettre aux collectivités de bénéficier d’une assurance à un coût acceptable ».
Dans leurs réponses à ces questions, plusieurs ministres, sans nier le problème, se sont contentés de renvoyer aux conclusions de la mission confiée à Alain Chrétien, en ne rejetant a priori « aucune piste ».
Les communes rurales moins touchées
Hasard du calendrier, c’est le même jour que le maire de Vesoul a été auditionné par la commission des finances du Sénat, dans le cadre d'une table ronde avec les réprésentants des associations d'élus (AMF, Régions de France, Intercommunalités de France et Départements de France) pour débattre de cette question et présenter le fruit de ses premières réflexions, avant la remise de son rapport qui devrait intervenir « fin mars, début avril ». Rappelons qu’Alain Chrétien – par ailleurs vice-président de l’AMF – s’est vu confier à l’automne une mission de réflexion, en collaboration avec Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, afin de trouver « des solutions pérennes et de long terme » sur ce sujet.
Alain Chrétien, devant les sénateurs, a commencé par faire un état des lieux du problème, estimant que globalement il ne touche pas ou peu les petites communes rurales, où « les risques sont très limités ». Ce sont les petites villes, villes moyennes « et même grandes métropoles » qui, en revanche, subissent de plein fouet « un désistement massif » des assureurs, parce que ce sont dans ces communes que sont centralisés les biens à risque (écoles, piscines, équipements, etc.). « Y compris des communes qui n’ont été touchées ni par les émeutes ni par des catastrophes naturelles, comme Vesoul, où au 31 décembre dernier tous les contrats ont été résiliés : dommages aux biens, responsabilité civile, protection fonctionnelle, flotte automobile – rideau ! », s’est indigné Alain Chrétien.
Pour lui, le problème a débuté bien avant les émeutes de l’été dernier, en 2021. Les dossiers des collectivités sont « compliqués, trop compliqués pour les assureurs » au regard du chiffre d’affaires relativement faible qu’ils génèrent (environ 1 % du chiffre d’affaires total du secteur, estime Alain Chrétien). « Les assureurs se disent donc : ‘’On ne va pas s’embêter avec ces gens-là, sortons’’. »
Pour le maire de Vesoul, la solution est donc de « redonner envie aux assureurs de nous assurer », ou en d’autres termes, de « rassurer les assureurs ».
« Faire revenir les assureurs »
Pour le maire de Vesoul, la solution souvent citée – et le jour même encore par Rachid Temal – de créer un pôle public d’assurance public pour les collectivités est « une fausse bonne idée ». « D’abord parce que cela existe déjà, avec la SMACL. Ensuite parce que cela consisterait à concentrer le risque sur un seul acteur, ce qui le rendrait plus fragile. »
Il estime au contraire qu’il faut multiplier au maximum le nombre d’assureurs, afin de partager le risque, ce qui implique de « redonner confiance aux assureurs ». Pour cela, il paraît indispensable à Alain Chrétien « d’intégrer profondément la culture du risque dans le fonctionnement de nos collectivités ». Car pour « rassurer les assureurs », il faut déjà que les élus aient à cœur de limiter au maximum, en amont, les risques, par une politique de prévention. Notons que le maire de Vesoul semble en accord avec le gouvernement sur ce sujet, puisque dans la séance de questions au gouvernement d’hier, la ministre Aurore Bergé a répondu à Rachid Temal, comme piste de réflexion sur l’assurabilité des communes : « Je pense ainsi à un renforcement de la prévention, s'agissant notamment des risques liés au dérèglement climatique. On estime ainsi que la fréquence des inondations baisse de 40 % dans les communes dotées d'un plan de prévention des risques d'inondation (PPRI). »
Pour cela, a poursuivi Alain Chrétien, il est indispensable que des progrès soient faits sur « la connaissance du patrimoine » : un assureur sera d’autant plus enclin à accepter d’assurer une commune qu’il aura une vision claire de ce qu’il assure, dans les moindres détails.
Enfin, le maire de Vesoul estime qu’il y a une réflexion à avoir sur les procédures de passation de marché avec les assureurs. La plupart des maires utilisent systématiquement la procédure d’appel d’offres, qui ne semble pas la plus adaptée à Alain Chrétien, « parce qu’elle ne permet pas de suffisamment bien définir le besoin et donc à l’assureur de bien y répondre ». Il lui paraît que la procédure de marché négocié serait plus adaptée, mais « c’est une procédure lourde et complexe », et qui nécessiterait, de surcroît, d’être juridiquement sécurisée par l’État. Alain Chrétien estime qu’il faudrait commencer par la rédaction, par l’État, d’un nouveau guide du bon usage du Code des marchés publics, en la matière.
En conclusion, le maire de Vesoul a répété que ce n’est pas en « tapant sur les assureurs qu’on les fera revenir ». Il semble réfléchir à un dispositif à trois étages, selon la gravité des sinistres. « Pour les plus petits sinistres » – il a évoqué un rétroviseur cassé ou une vitre brisée – « oui, il faudra faire de l’auto-assurance. Au niveau supérieur, comme l’incendie d’une école, il faut faire revenir les assureurs. Encore au-dessus, pour les risques majeurs, c’est aussi à l’État de prendre ses responsabilités. Il lui revient d’assurer la sécurité publique. S’il ne le fait pas, qu’il paye. »
D’ici un à deux mois, la mission rendra ses conclusions. Ce ne sera pas la fin de l’histoire, a prévenu Alain Chrétien. « Ce ne seront que de premières préconisations », et le travail devra continuer pendant des mois, au moins, vu la complexité du problème.
Voir l’audition d’Alain Chrétien devant les sénateurs.
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