Extrême confusion après trois jours de vote à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
« Ça promet ! ». Ce commentaire désabusé d’un député macroniste, samedi, résume parfaitement la situation chaotique qui règne à l’Assemblée nationale depuis des législatives anticipées qui n’ont donné de majorité claire à personne. Entre tractations de couloirs, alliances et mésalliances, soupçons de fraude, coups de billards à trois bandes et amateurisme, les résultats des scrutins qui se sont déroulés vendredi et samedi ont donné des résultats inattendus.
Coups de théâtre
En théorie, pourtant, la messe était dite : après la victoire de Yaël Braun-Pivet à l’élection de la présidence de l’Assemblée nationale, victoire née d’une alliance entre le camp macroniste (Ensemble pour la République ou EPR) et Les Républicains, il semblait que rien ne pouvait empêcher les tenants de cette alliance de rafler l’essentiel des postes clés du Palais-Bourbon. L’accord prévoyait notamment qu’en échange de leur soutien à Yaël Braun-Pivet, Les Républicains auraient le très stratégique poste de président de la commission des finances, promis à Véronique Louwagie (Orne). Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Première étape : l’élection du Bureau (six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires). Faute d’un accord sur la répartition de ces postes lors de la conférence des présidents, vendredi matin, les nominations ont été faites par scrutin à bulletins secrets. Huit candidatures sont enregistrées : deux RN, deux NFP (toutes deux de la France insoumise), deux du bloc macroniste et deux LR.
Premier coup de théâtre : le Rassemblement national annonce que, par « souci de démocratie », il tient à ce que toutes les tendances soient représentées au bureau de l’Assemblée nationale, et qu’il votera donc pour les candidates de LFI. Entre les voix du NFP et celles du RN, ces deux candidates (Clémence Guetté et Nadège Abomangoli) seront donc confortablement élues. La gauche n’ayant « pas renvoyé l’ascenseur » au RN, selon l’expression d’un député Insoumis, et n’ayant donc pas voté pour les candidats RN à la vice-présidence, ceux-ci ont donc perdu les deux postes de vice-présidents qu’ils avaient occupés de 2022 et 2024.
Le RN, avec ce coup tactique, a certes perdu des postes importants, mais a ausssi cherché à conforter son image de parti « seul contre tous », premier parti en nombre de sièges de l’Assemblée mais absent du Bureau, et qui plus est respectueux de la démocratie et d’une juste représentation de toutes les tendances : « Nous sommes confrontés à une sorte de parti unique dont nous sommes en réalité la seule opposition », a pu déplorer, sans vraiment cacher sa satisfaction, Marine Le Pen.
Pour la première fois, le parti politique qui a obtenu le plus de sièges à l'Assemblée nationale n'obtient donc aucun siège dans les instances dirigeantes de celles-ci, ce qui n'est pas sans poser un réel problème de prise en compte du vote des électeurs.
Les autres vice-présidents élus sont Xavier Breton (LR), Naïma Moutchou (Horizons), Roland Lescure (EPR) et Annie Genevard (LR).
Il est à noter que le premier tour du scrutin pour l’élection des vice-présidents a dû être annulé pour cause d’irrégularité, pour la première fois dans l’histoire de l’Assemblée nationale : dix bulletins en trop ont été trouvés. Y a-t-il eu tentative de bourrage des urnes ? C’est en tout cas ce que pense le socialiste Jérôme Guedj, qui a parlé d’un événement « d’une brutalité démocratique absolument impensable : une fraude a été organisée (…) dans notre assemblée. (…) Honte à ceux qui ont pratiqué cette fraude ! » Une enquête a été diligentée.
Les trois questeurs de l’Assemblée nationale ont ensuite été élus, et pour la première fois ce sont trois questeures : Christine Pires Beaune (PS), Brigitte Klinkert (EPR) et Michèle Tabarot (LR).
La majorité du Bureau revient à la gauche
Après l’élection des trois questeurs, à minuit vendredi soir, le RN s’est retiré du jeu, quittant l’hémicycle en dénonçant des « magouilles » et en déclarant préférer « les laisser entre eux se partager les postes de secrétaires ».
Il restait alors à élire les 12 secrétaires qui complètent le Bureau. Le vote s’est déroulé entre minuit et 4 heures du matin, et les équilibres de l’Assemblée nationale assuraient, en théorie, à la coalition informelle macronistes/Républicains d’emporter la majorité de ces postes. Visiblement convaincus que l’affaire était gagnée, de nombreux députés macronistes ont alors déserté l’hémicycle… jusqu’à laisser, avec une étonnante légèreté, se dessiner par manque d’adversaires une majorité NFP-Liot, qui a raflé 11 secrétaires sur 12 (9 NFP et 2 Liot, le 12e poste revenant aux macronistes). Furieux, le président du groupe MoDem à l’Assemblée déplorait, au petit matin : « Les gens sont allés dormir… ».
Résultat de ce marathon de 14 heures de vote : la nouvelle présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, se retrouve minoritaire au sein du Bureau qu'elle préside, où la gauche a obtenu une majorité absolue de 12 sièges sur 22.
Cette situation n’est pas forcément pérenne, puisque, rappelons-le, le Bureau de l’Assemblée nationale est réélu tous les ans.
Éric Coquerel réélu président de la commission des finances
Le lendemain, samedi 20 juillet, a eu lieu l’élection des présidents des huit commissions permanentes. Cette fois, les macronistes ont limité les dégâts, mais essuyé tout de même deux revers majeurs.
Au chapitre des succès, le camp du président de la République peut se féliciter d’avoir raflé la présidence de 6 commissions permanentes sur 8.
Pour ce qui concerne les revers, il a en revanche échoué à faire élire la LR Véronique Louwagie à la présidence de la commission des finances. Le scrutin opposait, outre la députée de l’Orne, l’Insoumis Éric Coquerel, le RN Jean-Philippe Tanguy et le député Liot Charles de Courson. Au troisième tour de scrutin, ce dernier s’est retiré, et ses partisans se sont reportés sur Éric Coquerel, qui a donc été réélu à ce poste qu’il occupait durant la précédente mandature. L’Insoumis a annoncé, dès son élection, qu’il démissionnerait si le chef de l’État se décidait à nommer un Premier ministre du Nouveau Front populaire, puisque dans ce cas ce bloc cesserait d’être dans l’opposition.
En échange de son soutien à Éric Coquerel, Charles de Courson a bénéficié des voix de la gauche pour le poste très stratégique de rapporteur général du budget, qui a donc échappé au député du Gers Jean-René Cazeneuve.
Ce qui crée un nouveau précédent institutionnel – un de plus : par tradition, pour assurer un certain équilibre dans les discussions budgétaires, le président de la commission des finances est dans l’opposition et le rapporteur général du budget, dans la majorité. Cette année, donc, ce ne sera pas le cas, les deux postes ayant échu à un député de l’opposition.
« Ça va être très compliqué », avouait, à l’issue de ces trois jours insensés, le député MoDem Marc Fesneau. En attendant, l'agenda de l'Assemblée nationale, disponible sur le site internet de celle-ci, affiche une page totalement blanche. Faute de gouvernement, l'ordre du jour est vide. La seule date qui soit fixée pour l'instant est une niche parlementaire, pour le RN, qui est fixée au ... 31 octobre.
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