Antilles : un décret instaure un nouveau cadre pour la zone des « 50 pas géométriques »
Par A.W.
Un nouveau cadre qui se veut « incitatif, notamment avec l’instauration du système de décote, mais également plus coercitif, avec le renforcement de la police domaniale. » C’est l’objectif que s’est fixé le gouvernement en publiant, ce matin, au Journal officiel, un décret d’application de la loi Climat et résilience visant à « parachever » la réforme relative à la gestion de la zone dite des cinquante pas géométriques (ZPG) dans les Antilles, et plus précisément en Martinique et en Guadeloupe.
Quelque 23 000 occupants sans titre
Particulièrement complexe et empoisonnant la vie des maires ultramarins depuis des années, cette zone « des 50 pas » a été instaurée au XVIIe siècle afin de n'autoriser les concessions qu'à condition qu'elles ne commencent qu'à 50 pas du bord de la mer, pour satisfaire à des considérations stratégiques de protection des frontières. Pour rappel, elle constitue toujours une bande de terre de 81,20 mètres de largeur comptée à partir de la limite du rivage de la mer et représente « environ 4 300 hectares et 600 km de linéaire côtier en Guadeloupe et 3 500 hectares et 450 km de linéaire côtier en Martinique ».
Cependant, au fil du temps, elle a fait l’objet d’une occupation sans droit ni titre, « massive, illégale et désorganisée, contraire aux objectifs de protection du littoral et de la biodiversité », rappelait le gouvernement de Jean Castex lors de la présentation du projet de décret, au printemps, celui-ci évaluant à « environ 8 000 le nombre d’occupants sans titre en Guadeloupe et à 15 000 en Martinique ».
S’inscrivant dans « un processus long », la réforme de cette zone des cinquante pas géométriques a été marquée en particulier par la loi Littoral de 1986 qui l’a intégrée dans le domaine public, interdisant de fait les ventes aux particuliers.
En 1996, une loi dédiée a été adoptée afin de permettre aux préfets, après consultation des communes, de délimiter dans ces zones « les espaces urbains, les secteurs occupés par une urbanisation diffuse et les espaces naturels ». Dans les deux premiers, les terrains peuvent être déclassés et vendus aux personnes « ayant édifié ou fait édifier avant le 1er janvier 1995 des constructions à usage d’habitation ». Cette loi a aussi créé, en Guadeloupe et en Martinique, les « agences des cinquante pas géométriques » qui, depuis, se chargent des dossiers de « régularisation foncière » des habitants installés illégalement.
Enfin, la loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des Outre-mer (Adom) a prévu la disparition de ces agences et le transfert de domanialité des parties urbanisées et secteurs d'urbanisation diffuse de la ZPG au profit des deux collectivités régionales. Initialement prévu en 2021 puis en 2022, le calendrier n’a pas été tenu.
Nouveau cadre plus « incitatif » et « coercitif »
L’an passé, c’est la loi Climat et résilience qui est venue « parachever » cette réforme, dont le décret publié ce matin vient « tirer les conséquences » et entrera en vigueur le 1er août prochain.
Afin de favoriser notamment le processus de régularisations, la loi Climat décale ainsi le transfert des agences aux deux collectivités au 1er janvier 2025 et redéfinit les « zones à risques » pour les restreindre et faciliter les relogements. Elle met également en place un système de décote, prolonge le calendrier de régularisation (avec l’ouverture du champ d’application aux occupations faites jusqu’en 2010, contre 1995 précédemment) et la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques de dix années supplémentaires, tout en étendant leurs compétences (en termes de délégation du droit de préemption, d’aménagement, notamment en matière de pouvoir de police avec des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 12 000 euros en cas d’occupation illégale de la ZPG).
« Le nouveau cadre se veut ainsi incitatif, notamment avec l’instauration du système de décote, mais également plus coercitif, avec le renforcement de la police domaniale », résumait donc le gouvernement de l’époque.
Le décret définit ainsi « les conditions de ressources, d'ancienneté d'occupation et de rapport entre le revenu et le nombre des membres du foyer fiscal qui permettront aux occupants de bénéficier d'une décote sur la valeur vénale du terrain dont ils se portent acquéreurs ». En parallèle, il tient compte de l'évolution des missions des agences des cinquante pas géométriques.
Un double système de décote « inabouti »
Un décret qui a, toutefois, reçu de la part du Conseil national d’évaluation des normes (Cnen) un avis défavorable lors de deux séances qui lui étaient dédiées lorsqu’il était encore à l’état de projet, les 7 avril et 5 mai derniers.
Lors de la première séance du 7 avril, le collège des élus avait fait part de ses interrogations sur le fait que le décret ne tienne « pas compte des dispositions de l’ordonnance du 6 avril 2022 relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, notamment s’agissant du prix de cession du bien ». Les élus avaient ainsi demandé « d’affiner l’articulation » entre les deux dispositifs qui, à leurs yeux n’apparaissait « pas aboutie ».
Précisant que ces deux systèmes de décote ont vocation à « coexister », le gouvernement a indiqué qu’un travail était mené avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel) sur ce point.
Lors de la seconde séance, ce dernier a assuré que l’impact de ce double système de décote était « à relativiser » puisque - sur la base du décret du 29 avril 2022 « établissant la liste des communes dont l'action en matière d'urbanisme et la politique d'aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l'érosion du littoral » - « seulement 9 communes sur les 31 communes littorales appartenant au département de la Guadeloupe seront concernées (dont 5 couvertes par un document d’urbanisme et 4 par le règlement national d’urbanisme) », l’étude n’ayant toutefois « pu être poussée dans les délais laissés pour le Martinique (sic) ».
Régularisations : « Le coût sera supporté par l'État »
Le collège des élus a également regretté que « l’évaluation préalable transmise n’évalue pas les impacts financiers de la réforme, cette dernière ne pouvant logiquement être neutre ».
Pas vraiment l’avis du gouvernement qui a rappelé que « le dispositif de décote a bien été évalué avec un impact direct sur les habitants éligibles, puisque 75 % de la population concernée par les plafonds de revenus pourraient obtenir jusqu’à 50 % de la décote ». « Le coût moyen de la décote est ainsi évalué à 20 000 euros par parcelle foncière bornée et déclassée », a-t-il indiqué, soulignant que, « le coût sera supporté par l’État » pour ce qui est des régularisations. L’exécutif de l’époque a néanmoins reconnu qu’il était « difficile d’aller au-delà au regard des données disponibles ».
Il a fait également valoir que « le travail est actuellement en cours sur la définition des « zones à risques » afin d’évaluer le volume des régularisations et des relogements à venir » et que « l’objectif reste de permettre autant que possible les régularisations avant le transfert de l’État aux collectivités territoriales au 1er janvier 2025 ». En outre, il a rappelé que la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques a été « prolongée de dix années supplémentaires » en vue de leur « permettre de parachever le processus de relogement, mais également les opérations d’aménagement nécessaires à la régularisation » sur la ZPG.
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