Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 8 juillet 2022
Aménagement numérique du territoire

Raccordements à la fibre : l'Avicca passe à l'action pour faire réagir les opérateurs

Une conférence de presse s'est tenue hier dans les locaux de l'Avicca. Patrick Chaize, président de l'association qui rassemble plus de 220 collectivités, a annoncé vouloir siffler « la fin de la récréation » concernant les problèmes de raccordements à la fibre. Un « plan de bataille » législatif va être mis en place.

Par Lucile Bonnin

« Les raccordements des réseaux dans nos territoires posent problème depuis trop longtemps » , a commencé par déclarer Patrick Chaize, président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), lors d'une conférence de presse qui a eu lieu hier. 

Voilà plusieurs années déjà que l’association alerte sur les problèmes liés aux raccordements à la fibre (lire Maire info du 11 mars). Branchements « absurdes » , accidents de techniciens, déconnexions de particuliers, câbles qui traversent les rues, boîtiers posés sur une remorque ou au sol… « On s’aperçoit que l’image de ce réseau, qui se veut performant, est écornée par ces raccordements invraisemblables » , explique Patrick Chaize.

En cause : les sous-traitances en cascade (« mode STOC » ) pour le raccordement. Le président de l’association rappelle que « les raccordements sont de la responsabilité des opérateurs commerciaux (OC), qui ont d’ailleurs insisté pour que cette partie leur soit sous-traitée. L’OC sous-traite à des entreprises qui n’ont pas la capacité d’assumer tout le marché donc une cascade de sous-traitances se créé et les techniciens n’ont qu’une relation lointaine avec le responsable du projet. » 

L’association observe aussi une « dégradation de la rémunération des intervenants »  qui doivent « raccorder le plus de clients possibles »  pour pouvoir avoir un « salaire "digne" » , ce qui entraîne automatiquement une dégradation des réseaux. « On pousse au crime » , insiste Patrick Chaize. C’est cette ubérisation de la filière et l’inaction des opérateurs qui détériorent sensiblement la qualité des raccordements.

« Prendre le taureau par les cornes » 

Pour l’association, c’en est trop. Patrick Chaize reconnaît tout de même que les acteurs de la filière – ceux de la Fédération française des télécoms et la fédération InfraNum  – ont « pris conscience du problème. »  Ils ont d’ailleurs annoncé la mise en application progressive de toute une batterie de mesures pour trouver des solutions à ce problème de raccordements lors du TRIP de l’Avicca en juin dernier (lire Maire info du 3 juin).

Or l’association estime que « les opérateurs, leurs sous-traitants et les sous-traitants des sous-traitants ne parviennent pas à réaliser les raccordements dans les règles de l’art, ni à rétablir les connexions rapidement et durablement. »  Aucune solution « ferme et définitive »  n’a été prise par les opérateurs qui se renvoient la balle. La raison est simple : « Si un opérateur prend l’initiative de faire mieux, il fera moins » , indique Patrick Chaize. Comme plusieurs opérateurs commerciaux se partagent le réseau géré par l’opérateur d’infrastructure, il y a une compétitivité qui est en jeu avec une recherche de vitesse plutôt que de qualité. 

La situation est donc dans une impasse. C’est pourquoi Patrick Chaize a décidé,  « au nom de l’Avicca et des collectivités territoriales représentées, de passer à l’offensive afin de mettre les opérateurs face à leurs responsabilités » , a déclaré solennellement le président de l’association qui « regrette de devoir en arriver là »  mais qui insiste sur la nécessité de désormais « prendre le taureau par les cornes. » 

Une proposition de loi coercitive 

« Fort de cela, nous avons pris l’initiative de mener deux actions complémentaires qui auront pour effet de faire progresser la situation », a annoncé le président de l’Avicca. La première consiste à déposer une proposition de loi « pour obliger la filière à changer radicalement ses pratiques. Celle-ci vise, en effet, à contraindre les opérateurs et leurs sous-traitants à réaliser des raccordements de qualité et à entretenir les équipements nécessaires (armoires techniques, câbles, poteaux…) pour que les abonnés ne subissent plus de pannes ni de connexions intempestives. » 

La proposition de loi « intègrera des mesures coercitives pour faire en sorte que les éléments soient communiqués par les opérateurs commerciaux auprès des opérateurs d’infrastructures. Par exemple, à la fin d’un raccordement, il sera demandé que l’entreprise puisse établir un dossier qui montre le travail fait par des photos. La proposition de loi intègrera aussi l’obligation de tenir des plannings d’intervention pour que l’opérateur d’infrastructure sache qui est sur son réseau à quel moment et pourquoi. » 

Des sanctions sont prévues dans la proposition de loi « pour redonner un cadre qui garantit la qualité des raccordements. »  Par exemple, les opérateurs ne pourront pas percevoir directement ou indirectement de fonds publics en cas de défauts, malfaçons ou dégradations constatés. Autre proposition : les opérateurs devront rembourser les dépenses publiques que les collectivités territoriales auront dû engager pour pallier les défaillances en termes de raccordement. 

Enfin, l’Avicca veut imposer des sanctions pécuniaires aux opérateurs qui font appel à « des sous-traitants qui emploient du personnel sous-qualifié, mal rémunéré, non déclaré ou ne respectant pas les règles de sécurité. »  Car comme l’explique Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca, « le problème ne vient pas d’un manque de main d’œuvre ou d’un manque de formation mais des conditions de travail qui sont imposées aux techniciens. » 

Cette proposition de loi est en train d’être finalisée et sera déposée la semaine prochaine au Sénat.

Ouverture d’une enquête parlementaire 

Patrick Chaize a également annoncé vouloir « solliciter au Sénat la mise en place d’une commission d’enquête »  dans le but notamment d’analyser « la répartition de valeur entre l’opérateur et l’entreprise qui réalise les raccordements afin de régulariser les montants de prestataires. » 

Les procédures mises en œuvre par les opérateurs seraient observées notamment « sur les circuits financiers avec un focus sur l’emploi de l’argent public pour la réalisation des raccordements à la fibre qui portent atteinte à un réseau lui-même construit en grande partie avec des fonds publics. »  Le président insiste sur l’importance de s’assurer de « la bonne utilisation de l’argent public »  que perçoivent les opérateurs pour les raccordements.

Le président indique espérer que cette commission puisse se mettre en place rapidement et rappelle que « le but n’est pas d’incriminer les opérateurs »  mais de construire durablement un réseau national de qualité. Il se dit plutôt confiant par rapport à la mise en place de ces deux mesures car le problème est universel et les élus sont particulièrement las de cette situation qui doit évoluer.

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