Implantation d'antennes-relais : une proposition de loi pour donner plus de pouvoirs aux maires
Par Lucile Bonnin
L’implantation de nombreuses antennes-relais au sein des communes crée, depuis plusieurs années, des crispations et des tensions. Souvent les maires se retrouvent démunis face à ces installations qui prolifèrent à mesure que la couverture mobile du territoire avance sous l’impulsion du New deal mobile lancé en 2018.
C’est ce qu’a observé la sénatrice des Alpes-Maritimes, Patricia Demas, dans son territoire. « Maires démunis », « déploiement anarchique des antennes », « compromis rarement trouvé » : Patricia Demas avait d’ailleurs alerté le gouvernement sur le sujet l’année dernière à l’occasion d’une question écrite : « Dans la commune de Saint-André-de-la-Roche dans (son) département, aux côtés des élus locaux, les citoyens manifestent pour obtenir la mutualisation d'un pylône susceptible d'accueillir l'antenne relais d'un nouvel opérateur ».
Et le sujet est national. La présidente de l’Arcep, Laure de la Raudière, avait annoncé l’année dernière que la priorité pour les années à venir était d’améliorer le « recours à la mutualisation des pylônes : c’est avant tout une nécessité écologique mais aussi une demande de plus en plus importante des élus et de nos concitoyens qui réclament de la connectivité, certes, mais pas à n’importe quel prix ».
Le 20 février dernier, Patricia Demas a déposé au Sénat une proposition de loi visant à favoriser la mutualisation des infrastructures de téléphonie mobile en donnant aux maires des leviers pour rationaliser l'implantation des antennes relais. Déjà plus d’une trentaine de sénateurs ont signé cette proposition de loi, dont le sénateur Patrick Chaize, président de l’Avicca.
Car la mutualisation est loin d’être un automatisme pour les opérateurs, ce que pointent de nombreux maires comme Michel Sauvade, maire de Marsac-en-Livradois et co-président de la commission numérique de l’AMF, qui déplorait en octobre dernier la présence « trois antennes situées dans un périmètre de 50 mètres » dans sa commune.
La mutualisation : obligation ou suggestion ?
Ce qui pose problème actuellement — et fait débat depuis déjà des années — c’est la question de la mutualisation des antennes relais. En effet, l'article D. 98-6-1 du Code des postes et communications électroniques prévoit que les opérateurs exploitant des réseaux de communications électroniques doivent faire « en sorte, dans la mesure du possible, de partager les sites radioélectriques avec les autres utilisateurs de ces sites ». Par ailleurs, ils doivent privilégier toute solution de partage avec un site ou un pylône existant, veiller à ce que l'accueil ultérieur d'opérateurs soit rendu possible ou encore répondre aux demandes raisonnables de partage de ses sites ou pylônes émanant d'autres opérateurs. Une règle qui ne contraint en aucun cas les opérateurs mais qui les « incite » à opter pour la mutualisation.
En pratique, ces incitations ne sont que très rarement respectées, notamment pour des raisons stratégiques et commerciales. Et comme le Conseil d'État a considéré que ces dispositions n'instituaient aucune obligation à la charge des opérateurs (CE, 2 mars 2012, n° 352013, Société Orange France), la situation n’évolue pas.
Pourtant, plusieurs tentatives législatives ont été menées durant les dernières années sur ce sujet épineux. D’abord, depuis la promulgation de la loi Reen, à la demande du maire et seulement à titre d’information, le DIM peut comprendre la justification du choix de l’opérateur de ne pas recourir à une solution de partage du site ou du pylône. Cette disposition ne s’applique pas partout, elle concerne les « communes rattachées à la catégorie des communes rurales, comprenant les niveaux « bourgs ruraux », « rural à habitat dispersé » et « rural à habitat très dispersé », au sein de la grille communale de densité telle que publiée en ligne par l’INSEE lors du dépôt du dossier d’information ».
En 2016, lors des travaux législatifs menés dans le cadre de la loi Montagne I, un rapport de force avec les opérateurs s’était illustré clairement entre le gouvernement, qui vise un objectif ambitieux en matière de connectivité mobile, et les opérateurs. Si certains députés voulaient introduire dans cette loi Montagne de 2016 la possibilité d’obliger les opérateurs à mutualiser, cette idée avait déclenché la colère des opérateurs qui indiquaient dans une tribune que « vouloir décider par la loi, à la place des opérateurs, les modalités selon lesquelles ils devront investir et construire leurs réseaux mobiles dans des parties entières du territoire, en les contraignant à adopter certaines formes d’organisation et de mutualisation de leurs installations, n’aura pas l’effet attendu » (lire Maire info du 19 décembre 2016).
Le sujet est donc complexe et créé des crispations dans les territoires depuis longtemps. Résultat : le pouvoir des maires reste limité et rien ne bouge.
Justifier auprès du maire le non-recours à la mutualisation
C’est donc dans ce contexte que la sénatrice des Alpes-Maritimes a déposé une proposition de loi composée de trois articles.
Interrogée par Maire info, la sénatrice explique que « l’idée de l’article 1er est de systématiser au moment du dossier d’information en mairie les éléments qui conduisent à ne pas avoir recours à la mutualisation ».
Rappelons que le maire aujourd’hui est uniquement « destinataire d'un dossier d'information en mairie (DIM) un mois avant le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme, et même si l'implantation est soumise à la délivrance d'une autorisation d'urbanisme par le maire, ses marges de manœuvre sont limitées ».
La sénatrice propose donc le renforcement de l'information des élus locaux sur les projets des opérateurs, avec des éléments techniques et opérationnels pouvant justifier le choix de ne pas recourir à une solution de partage de site ou de pylône. La disposition serait applicable quelles que soient les zones (rurales, denses ou très denses).
Renforcer les pouvoirs de l’Arcep
Le cœur de la proposition de loi est de mettre à disposition des maires un levier qui n’existe pas actuellement. Ainsi, « durant les 15 jours ouvrés du dossier d’information en mairie, le maire aurait la possibilité de saisir l’Arcep pour un contradictoire », explique la sénatrice.
L’article 2 prévoit donc de compléter la liste des prérogatives de l’Arcep et « d’affirmer explicitement parmi les objectifs de l’Arcep le rôle de contrôle de la mutualisation des infrastructures » et de lui donner « une mission de règlement des différends ».
L’article 3 prévoit que le maire puisse contester le choix d’un opérateur de ne pas recourir à la mutualisation. « L’Arcep pourrait, dès lors qu’elle est saisie par le maire, réaliser dans un délai de 6 mois maximum un contradictoire ou des éléments qui tendraient soit à imposer à l’opérateur une mutualisation soit à ne pas le faire », souligne Patricia Demas.
Il est important de noter que si le maire conteste le choix de l’opérateur, il est impossible pour ce dernier de « déposer une déclaration préalable ou une demande d’autorisation d’urbanisme avant que l’autorité n’ait rendu sa décision ». Si l’Arcep ne répond pas dans un délai de 6 mois, « le dossier d’information devient caduc et un nouveau dossier doit être remis au maire ou au président de l’intercommunalité ».
La sénatrice précise que ces dispositions s’appliqueraient vraisemblablement dans des cas litigieux et non pas à chaque demande d’installation d’une antenne : « Tous les maires ne vont pas systématiquement saisir l’Arcep mais l’usage voudra que l’édile puisse avoir cette possibilité en cas de litige », précise la sénatrice. On peut envisager aussi qu'avec tous les éléments communiqués au maire concernant le choix de ne pas mutualiser, l'élu puisse juger nécessaire par lui-même la construction d'une nouvelle antenne. « Aujourd’hui, il n’y a pas de possibilité d’initier un contradictoire » , ce qui engendre des frustrations chez les maires et des incompréhensions chez les citoyens.
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