Fibre optique : les parlementaires continuent la guerre contre les malfaçons
Par Lucile Bonnin
Les bouleversements politiques de ces derniers mois ont quelque peu invisibilisé la question des infrastructures numériques. Alors qu’il reste quelques années pour opérer la bascule du cuivre vers la fibre, les dysfonctionnements qui surviennent dans le raccordement à la fibre d’utilisateurs finals (débranchements, câbles emmêlés, malfaçons, etc.) perdurent et inquiètent.
Hier, une proposition de loi visant à réduire les dysfonctionnements des réseaux de communication électroniques à très haut débit en fibre optique par la responsabilisation des opérateurs et la protection des consommateurs a été déposée à l’Assemblée nationale par des députés de la Gauche démocrate et républicaine.
La troisième proposition de loi en la matière
Cette nouvelle proposition de loi n’est pas le premier épisode de ce feuilleton. Le sénateur de l’Ain Patrick Chaize avait déposé en juillet 2022 une proposition de loi ayant pour ambition de « contraindre les opérateurs à réaliser les raccordements à la fibre optique dans les règles de l'art et de sécurité » et de « garantir aux consommateurs une connexion Internet de qualité » (lire Maire info du 22 juillet 2022). Cette dernière avait été votée au Sénat en mai 2023 (lire Maire info du 3 mai 2023). Mais le texte est resté bloqué à l’Assemblée nationale.
En octobre 2024, une autre une proposition de loi du même type avait été déposée à l’Assemblée nationale par Jean-Louis Thiériot, député de Seine-et-Marne qui a été furtivement ministre délégué auprès du ministre des Armées et des Anciens Combattants au sein du gouvernement dirigé par Michel Barnier. Le texte n’a à ce jour pas été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale.
Le 18 janvier donc, la gauche s’est à son tour emparée du sujet en déposant cette proposition de loi qui « reprend de façon exhaustive les dispositions adoptées par le Sénat » qui sont donc celles du texte porté par Patrick Chaize. Une nouveauté a cependant été introduite dans le texte.
Le nœud du problème : le « mode STOC »
Sans revenir dans le détail sur le texte qui avait été voté au Sénat, retenons que ce texte prévoit de fixer un cadre à la mise en œuvre du mode « Stoc » (recours aux sous-traitants) et de clarifier la répartition des responsabilités, de renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre et enfin de protéger les droits des usagers notamment en cas d’interruption du service d’accès à internet.
Le mode Stoc (recours aux sous-traitants) est clairement le point névralgique du texte. Ce terme désigne le mode de raccordement des utilisateurs finals à la fibre par lequel l’opérateur d’infrastructure (OI), responsable du réseau, délègue le déploiement des derniers mètres à un opérateur commercial (OC). C’est cette manière d’opérer qui est, depuis le début, largement dénoncée, notamment par l’Avicca. La sous-traitance en cascade serait à l’origine de nombreuses malfaçons constatées dans les communes. Dans l’exposé des motifs du texte déposé hier, les députés rappellent en effet que selon un sondage réalisé par l’IFOP en avril 2024, 49 % des personnes interrogées déclaraient avoir subi des problèmes de connexion à l’internet fixe et que sur 221 infrastructures de réseaux fibre déployés en France, plus de 60 ont enregistré des taux d’échec au raccordement supérieurs à 7 %.
En 2020, les opérateurs se sont engagés à limiter la sous-traitance à deux rangs. Mais force est de constater que ces nouveaux contrats appelés Stoc V2 n’ont pas été généralisés sur l’ensemble des réseaux et que, même lorsqu’ils sont appliqués, il est quasiment impossible de pouvoir identifier un responsable en cas de dysfonctionnement. La proposition de loi du sénateur Chaize tout comme celle des députés de gauche vise donc principalement à encadrer cette sous-traitance.
Une redevance qui pourrait augmenter
C’est donc la même proposition de loi qui a été reprise mais avec une nouveauté ajoutée à l’article 4. Pour mémoire, la proposition de loi Chaize compte 5 articles.
Dans l’exposé des motifs, il est rappelé que les zones très denses (106 communes en France) et moins denses (zone Amii et zone Amel) sont caractérisées par une seule relation contractuelle : la convention d’occupation du domaine public (le même support juridique que pour les marchés alimentaires ou l’installation des terrasses de café). Ainsi, « sur son territoire, la collectivité territoriale autorise l’opérateur d’infrastructure à utiliser par exemple le réseau d’assainissement sous la voirie, pour y dérouler ses câbles de fibre optique et y positionner ses commutateurs, moyennant le paiement d’une redevance ». Le montant plafond de cette redevance est aujourd'hui fixé par décret.
Le texte déposé hier propose « d’offrir de nouvelles possibilités en cas de sinistralité de la fibre sur une infrastructure réseau supérieure à 6 mois attestée par l’Arcep » dans ces deux zones. Concrètement, le texte propose que le gouvernement, qui fixe le montant plafond de cette redevance, augmente par arrêté ministériel, jusqu’à 100 % ce montant sur le périmètre territorial touché par une sinistralité de la fibre sur une infrastructure réseau supérieure à 6 mois.
La proposition de loi propose aussi que la collectivité territoriale puisse, avec l’autorisation du gouvernement, augmenter de manière unilatérale le montant de sa redevance dans une proportion de 100 % maximum, toujours en cas de sinistralité de la fibre sur une infrastructure réseau supérieure à 6 mois. Enfin, la durée de la convention d’occupation du domaine public pourrait aussi être réduite par la collectivité territoriale dans une proportion de 10 % maximum.
Cette nouvelle proposition de loi propose aussi de donner « aux collectivités territoriales situées en « zone moins dense » la faculté, lorsque la convention d’occupation du domaine public est échue, de constituer un réseau d’initiative publique. » « Cette dérogation au droit commun sera conditionnée à l’attestation d’un taux d’échec au raccordement à la fibre supérieur à 10 % et d’un taux de panne supérieur à 0,5 % durant l’année précédant l’échéance de ladite convention » , précisent les auteurs du texte.
Destin funeste
Il fait peu de doute que ce nouveau texte connaisse le même destin funeste que celui de Patrick Chaize qui semble s’être perdu à l’Assemble nationale depuis juillet dernier. Cette impossibilité de légiférer s’explique par la réticence des opérateurs face à ce texte, renforcée par celle du gouvernement.
Pendant les discussions au Sénat, le gouvernement s’était en effet fait l’avocat du mode Stoc. D’ailleurs, tous les amendements déposés par le gouvernement avaient reçu un avis défavorable de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et ont été rejetés par les sénateurs. En cause : « le lobby », avait indiqué Patrick Chaize lors d’une conférence de presse en octobre dernier. « Certains acteurs dépensent une énergie folle pour bloquer ce texte » , avait-il confié (lire Maire info du 17 octobre).
Une chose est sûre, c’est qu’avec la disparition prochaine de l’ADSL, les interventions expéditives et mal réalisées et les déconnexions vont être de plus en plus mal vécues, la fibre devant devenir l’infrastructure numérique de référence à l’horizon 2030.
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