Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 3 mai 2023
Aménagement numérique du territoire

Fibre optique : la proposition de loi Chaize inquiète le gouvernement et les opérateurs

Hier a été discutée en séance publique, au Sénat, la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. Le mode Stoc (recours aux sous-traitants) reste le point névralgique du texte, malgré l'opposition du gouvernement.

Par Lucile Bonnin

La première lecture au Sénat de cette proposition de loi a fait consensus… ou presque. Comme lors de chaque débat autour de la fibre, chacun s’accorde à reconnaître le succès du plan France très haut débit qui a permis le raccordement de plus de 17 millions d’abonnés. 

Patrick Chaize, le sénateur de l’Ain et président de l’Avicca à l’origine de cette proposition de loi (lire Maire info du 27 avril), a indiqué hier en séance publique au Sénat que « ce succès ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt ». Il a déploré une situation actuelle inacceptable « au regard des sommes engagées par l’État et les collectivités territoriales pour les déploiements de la fibre depuis 2013. Elle est encore moins acceptable face aux attentes des usagers ».

Ainsi, si le sénateur reconnaît que le tableau n’est pas totalement noir, il a rappelé la nécessité d’encadrer les modalités de recours au mode Stoc, de mettre en place des leviers à disposition de la collectivité pour contrôler la bonne réalisation des raccordements dans les réseaux d’initiative public, de renforcer les pouvoirs de l’Arcep et de protéger les droits des consommateurs. 

Patricia Demas, rapporteure de la proposition de loi, a indiqué que le texte ne remettait pas en question le mode Stoc car un « changement de plan au milieu de la bataille risquerait de mettre un coup de stop au déploiement »  mais que ses dispositions permettaient de trouver une « voie d’équilibre ». 

Le mode Stoc : l'intouchable ?

Le gouvernement s’est fait l’avocat du mode Stoc durant ces discussions. Le ministre Jean-Noël Barrot, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, a indiqué que la position du gouvernement n’était pas « de supprimer le mode Stoc mais bien de le corriger » . Il a indiqué que la suppression « de cet équilibre »  entrainerait la réécriture d’un « certain nombre de contrats, ce qui décalerait dans le temps le plan FTHD alors même que nous voulons l’accélérer pour arriver au terme des déploiements ». 

Le gouvernement a indiqué avoir un avis réservé sur les trois premiers articles du texte mais semble « très favorable »  aux articles 4 et 5 qui concernent l’Arcep et les abonnés. Protéger un système qui, selon le gouvernement, marche bien, a été le cheval de bataille du ministre qui, au nom du gouvernement a déposé 13 amendements. 

Tentative échouée 

Résultats : tous les amendements déposés par le gouvernement ont reçu un avis défavorable de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et ont été rejetés par les sénateurs.

La rapporteure du texte a d’abord déploré en séance publique « la méthode le gouvernement »  qui a « déposé 13 amendements de manière particulièrement tardive » . Sur le fond, la majorité des avis défavorables ont jugés « incompatibles »  les amendements avec la rédaction du texte élaborée précédemment en Commission.  

L’article 1er « rappelle la responsabilité de l’opérateur d’infrastructures (OI) dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre sur son réseau (mode « Stoc »  ou mode « OI »  ) et son rôle de garant de la qualité des travaux. »   Le texte prévoit l’instauration par l’opérateur d’un guichet unique qui servirait à prendre en charge les problèmes de raccordements signalés par les utilisateurs. Sur cet article, le gouvernement a déposé quatre amendements, tous rejetés, visant à donner  davantage de pouvoirs à l’opérateur commercial qu’à l’opérateur d’infrastructures. La proposition de loi soutient l’exact inverse. 

Mais c’est à l’article 2 que le gouvernement a tenté le hold-up. « Dans les réseaux d’initiative publique (Rip) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux à travers des contrats passés dans le cadre de la commande publique, il est prévu que la remise de ce certificat soit une condition préalable au paiement des opérateurs (article 2) » , peut-on lire dans le rapport de la proposition de loi. Le gouvernement a déposé un amendement de suppression, « considérant que les leviers qui sont invoqués dans l‘article sont ceux de la commande publique »  et que « pour éviter de faire grossir le CPCE il revient de se référer au Code des marchés publics ». L’amendement a été, une fois de plus, rejeté. 

Enfin, l’article 3 prévoit d’imposer le mode OI (mode opérateurs d'infrastrucures, c’est-à-dire sans sous-traitance) aux raccordements effectués dans le cadre du changement d’opérateur par un abonné (« churn » ). Pour le ministre, « les avantages du mode Stoc dépassent les inconvénients »  et c’est pourquoi le gouvernement n’est pas favorable à sa suppression, même dans ce cas particulier. L'amendement de suppression du gouvernement a été rejeté. 

Des ajouts significatifs 

Au total, 11 amendements ont été adoptés dont plusieurs sont positifs pour les usagers. Deux amendements déposés par l’auteur de la proposition de loi ont reçu un avis favorable de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et ont été adoptés. 

D’abord, à l’article 1er, Patrick Chaize a souhaité ajouter « une précision dans le texte »  pour  « assurer une cohérence »  : « La loi de 2015 a imposé dans les nouveaux logements un réseau numérique installé avec un boîtier sur lequel la fibre peut être raccordé ; dans les faits les raccordeurs ne viennent pas toujours car ils n’ont pas d’obligation. »  Ainsi, la prise en compte du réseau numérique du logement dans le raccordement à la fibre d'utilisateurs finals a été ajoutée dans le texte. 

Un autre amendement important déposé par le président de l’Avicca (et adopté) à l’article 3 vise à interdire le recours au mode Stoc dans les communes dans lesquelles la fermeture technique du réseau cuivre est prévue à une échéance de dix-huit mois. Le texte prévoit déjà l’interdiction du recours au mode Stoc pour la réalisation des raccordements complexes à la fibre aux communes dans lesquelles la fermeture commerciale du réseau cuivre a été engagée. « Or, explique Patrick Chaize, selon l’Arcep, environ 20 millions de lignes étaient déjà fermées en février 2023. Il est plus opportun d’appliquer ce principe aux communes dont la fermeture technique est proche. » 

L’interdiction du recours au mode Stoc gagne donc du terrain, au grand dam du gouvernement et des opérateurs qui n’ont pas caché leur opposition à cette proposition de loi. La suite dira si le mode Stoc bénéficiera d’un bouclier immunitaire – comme le souhaite le gouvernement – ou si le recours à ce mode opératoire sera limité par la loi, à l'aune de la fermeture du réseau cuivre. 
 

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