Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 17 octobre 2024
Aménagement numérique du territoire

Couverture numérique des territoires : le désengagement de l'État se confirme

L'Université de la transition numérique des territoires s'est achevée hier. Rendez-vous incontournable pour les acteurs de la filière du numérique et les collectivités, l'État n'était pas de la partie. Les infrastructures numériques ne semblent pas être la priorité du nouveau gouvernement, ce qui inquiète et interroge.

Par Lucile Bonnin

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé… Alors qu’il reste quelques années pour opérer la bascule du cuivre vers la fibre, les acteurs de la filière du numérique et les collectivités se sont mobilisés lors de l’Université de la transition numérique des territoires (UTNT) afin d’identifier les axes prioritaires sur lesquels agir pour réussir le plan France très haut débit. Mais l'État, lui, reste pour le moment aux abonnés absents. 

En conférence de presse, Patrick Chaize, sénateur de l’Ain et président de l’Avicca, et Philippe Le Grand, président d’InfraNum (fédération des professionnels des télécoms), se désolent de cette situation qui va de mal en pis.

Un manque de portage politique croissant 

« Le portage politique du numérique a chuté d’année en année » , regrette Patrick Chaize, qui observe une « chute régulière »  de la place donnée au numérique dans les précédents gouvernements. Il rappelle qu’on est passé de Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargé du Numérique, à un secrétariat d'État chargé du numérique à Bercy avec Marina Ferrari...  pour aujourd’hui se retrouver sans ministère dédié à ces dossiers pourtant brûlants. « Un contexte global qui nous laisse si ce n’est amers, du moins inquiets. Peut-être n’a-t-on pas su mettre suffisamment en avant l’importance du numérique… », résume Patrick Chaize.

Actuellement, Clara Chappaz est certes secrétaire d’État chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, mais elle n’a pas dans son portefeuille les infrastructures numériques (elle est déléguée auprès du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche). Marc Ferracci, ministre délégué à l’Industrie a « hérité »  de cette compétence, indique Philippe Le Grand. Mais c'est pourtant Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires, qui a dans ses attributions, selon un décret du 10 octobre 2024, « le pilotage du déploiement des infrastructures numériques ». Difficile d’y voir clair dans cette répartition… 

Coup de rabot sur le plan France très haut débit

Cette déception non dissimulée est amplifiée par le coup de rabot prévu sur le budget du plan France très haut débit. Il est en effet prévu dans le projet de loi de finances 2025 de réduire de quasiment la moitié les crédits alloués au plan France très haut débit. Les crédits d’engagement passent de 97 millions en 2024 à 47 millions et les crédits de paiement passent de 464 millions d'euros alloués en 2024 à 247 millions d’euros.

Rappelons qu’en février dernier le plan France très haut débit (PFTHD) a perdu 40 % de ses crédits (lire Maire info du 27 février) – une mesure alors largement dénoncée par les associations d’élus.

Avec le Plan très haut débit, le gouvernement s'est engagé à ce que la fibre optique couvre l'ensemble du territoire d'ici à 2025. Ce plan, comme l’explique Patrick Chaize, est décliné en conventions déjà signées entre l’État et les collectivités territoriales. Avec cette coupe budgétaire, « on supprime donc des crédits de paiement sur des dépenses engagées, signées, et l’État fera supporter la trésorerie aux collectivités », précise Philippe Le Grand. 

Le président d’InfraNum souligne au passage que le PFTHD est avant tout supporté par le domaine privé et les collectivités. « Sur les dizaines de milliards investis, 70 % de l’investissement est privé et 30 % est public. Les collectivités sont au premier rang, puis l’Europe, puis l’État »  qui est « un petit payeur et un mauvais payeur selon les collectivités », rapporte Philippe Le Grand. 

Le sénateur de l’Ain espère de son côté que cette « erreur »  sera corrigée pour que « l’État puisse assumer l’engagement qu’il a pris ». 

« Le problème c’est qu’en fin de course, l’État se désengage » 

Cette absence de l’État pèse aussi sur le plan de fermeture du réseau cuivre. « Le problème c’est qu’en fin de course, l’État de désengage », indique Patrick Chaize. Pourtant beaucoup reste à faire en la matière avant son extinction totale en 2030 (lire Maire info d’hier). Le président de l’Avicca rappelle l’évidence : « La fermeture du cuivre pourrait avoir des conséquences douloureuses pour les citoyens, d’un point de vue politique il faut s’y intéresser. »  C’est pourquoi collectivités et acteurs du numérique espéraient tous « un portage de la part du gouvernement sur l’extinction du cuivre, notamment dans la communication envers les citoyens et en tant que co-pilote aux côtés de l’Arcep. » 

Par ailleurs, les solutions proposées jusqu’ici par le gouvernement ne sont que du « sparadrap »  pour Patrick Chaize. En décembre dernier par exemple, Jean-Noël Barrot annonçait le lancement d’une aide à tous les foyers non éligibles à la fibre pour s'équiper avec d'autres technologies, comme le satellite. « Toutes les zones sont concernées, y compris les zones d’investissement privées et donc avec de l’argent public, dénonce le sénateur de l’Ain. C’est une façon d’évacuer en problème sans le régler. » 

Une nouvelle proposition de loi 

« Je suis convaincu que la bonne solution serait un portage du gouvernement, mais si on n’y arrive pas il est clair qu’il faudra une initiative parlementaire », confie Patrick Chaize en conférence de presse.  

Rappelons que le sénateur de l’Ain a déposé en juillet 2022 une proposition de loi ayant pour ambition de « contraindre les opérateurs à réaliser les raccordements à la fibre optique dans les règles de l'art et de sécurité »  et de « garantir aux consommateurs une connexion Internet de qualité »  (lire Maire info du 22 juillet 2022). Cette dernière avait été votée au Sénat en mai 2023 (lire Maire info du 3 mai 2023). Mais le texte est « resté bloqué à l’Assemblée nationale ». En cause : « le lobby ». « Certains acteurs dépensent une énergie folle pour bloquer ce texte », rapporte Patrick Chaize. 

Dans son discours de clôture, le sénateur a finalement annoncé qu’il avait découvert, mercredi matin, « qu’une proposition de loi du même type (pour ne pas dire identique) avait été déposée à l’Assemblée nationale par Jean-Louis Thiériot, devenu ministre depuis. » « À voir quel sera son cheminement…, a-t-il ajouté. J’espère d’ailleurs qu’il ne sera pas conseillé une nouvelle fois au ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, finalement en charge des télécoms, la même opposition à ce texte que celle de ses deux prédécesseurs. » 

Jean-Louis Thériot étant désormais ministre (délégué auprès du ministre des Armées et des Anciens combattants), Patrick Chaize espère que l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale de ce nouveau texte ne tarde pas. Il est cependant difficile de ne pas craindre que le nouveau texte connaisse le même destin funeste que celui de Patrick Chaize. L’implication du gouvernement pourrait néanmoins réellement peser dans la balance. 

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