Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 8 juin 2020
Aménagement urbain

Terrasses éphémères : l'urbanisme tactique, une réponse à l'urgence économique ?

Âmes des villes et symboles de la relance économique, les cafés, bars et restaurants sont autorisés à rouvrir depuis le 2 juin, dans le respect des mesures barrières – l’épidémie de Covid-19 restant présente, mais a priori « sous contrôle »  (lire Maire info du 5 juin). Le protocole national impose notamment le respect de distances particulières : 1 personne pour 4 m2, pas d’accueil possible à l’intérieur des établissements en zone orange, sauf pour la livraison et la vente à emporter (lire Maire info du 2 juin). Autres contraintes fixées par le décret Covid-19 du 31 mai : tous les clients doivent avoir une place assise, une même table ne pouvant accueillir « que des personnes venant ensemble ». De même qu’une distance minimale d’un mètre « doit être garantie entre les tables (…), sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique ». 

Pertes sèches
Accusant le coup des pertes sèches tenant au confinement, le secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration (HCR) – crucial pour l’attractivité des villes et le lien social entre habitants –, a, semble-t-il, été entendu par le gouvernement et les maires. Afin de répondre à l’urgence économique, beaucoup de villes autorisent ainsi, de façon exceptionnelle, l’élargissement des terrasses sur le domaine public (places de stationnement, trottoirs, etc.) à titre gracieux.  
En attendant la réouverture en salle, la ville de Paris a en ce sens adopté un système déclaratif d’installation de nouvelles terrasses, « en contrepartie du strict respect d’engagements en matière de sécurité, de propreté, de mobilité des piétons, de limitation des nuisances sonores et de respect des horaires d’ouverture et des directives sanitaires », selon son communiqué. 
Un principe de « liberté d’installation »  encadré (entre 8 heures et 22 heures, et jusqu’au 30 septembre inclus), impliquant la signature d’une charte à afficher sur la vitrine de l’établissement « pour toute la durée de l’exploitation des extensions autorisées ». Chaque commerçant s’engage alors à libérer les espaces et à les remettre en état d’origine, en contrepartie de l’exonération des droits de terrasse, d'enseigne et de taxe de ramassage des ordures ménagères.

Casse-tête
Premiers points de vigilance : ces terrasses éphémères ne doivent pas être implantées sur des espaces déjà alloués (marchés alimentaires, brocantes, etc.), ni contenir de mobilier fixe. L’aménagement des extensions doit prendre en compte les impératifs de sécurité, et en premier lieu les accès pompiers et véhicules de secours. Elles doivent aussi respecter les conditions d’accès, d’occupation et de circulation des piétons à l’intérieur et entre les terrasses et contre-terrasses, en particulier pour « les personnes à mobilité réduite (largeurs de passage, dégagements, rampes, rotation des fauteuils roulants, etc.), les personnes déficientes visuelles (nécessité que les obstacles ne soient pas dangereux, ne comportent pas d’angles vifs, puissent être facilement détectés à la canne…) ou les personnes avec poussettes ». La charte rappelle à ce titre les règles de cheminement qui s’appliquent : 1,80 m de largeur minimale de passage, 1,60 m dans les voies peu larges « mais disposant de trottoirs de 2,20m de largeur conformément au RET de 2011 ». 
Autre casse-tête pour les cafetiers : « en présence d’un trottoir au droit d’une voie circulée ou comportant un stationnement autorisé, la contre-terrasse devra être en retrait de 0,90 mètre de la bordure du trottoir »  pour laisser un passage libre de tout obstacle ; et « la largeur cumulée d’une terrasse et d’une contre-terrasse ne pourra excéder 50% de la largeur utile du trottoir». 
Théoriquement, le respect de ces engagements « sera contrôlé par les agents de la Ville de Paris », qui pourront procéder à la demande de retrait de la terrasse, verbaliser le non-respect des engagements, voire engager des poursuites pénales. Mais en cas d’accident, précise le texte, « la responsabilité de la Ville de Paris ne saurait être recherchée ». 

Nouvelle ère
Au 4 juin, 3 415 déclarations d'extensions de terrasses avaient déjà été enregistrées à Paris. Une nouvelle ère pour l’urbanisme provisoire ou « tactique », visant à réinventer l’aménagement urbain à partir des usages des habitants. Après la fermeture d’une partie des berges de la Seine à la circulation automobile en 2018 – grand coup risqué mais pérennisé en dépit des protestations d’usage –, le confinement a été l’occasion pour la ville de Paris de poursuivre ce type d’expérimentations. Apparitions nocturnes de pistes cyclables temporaires sur de grandes artères de la capitale – notamment l’avenue du Général Leclerc dans le 14e arrondissement, porte d’entrée de l’autoroute A6 –, piétonisation de rues (dont celle de Rivoli), élargissement de trottoirs sur la voie publique, certains aménagements nés de cette période inédite pourraient s’installer dans la durée. Le « déclic vélo »  semble en tout cas avoir opéré dans la plupart des grandes villes de France (lire Maire info du 4 juin). 

Manque à gagner 
Des dispositifs inspirants – les villes de Nice ou de Nancy ayant adopté le concept de terrasses éphémères –, mais non sans risque pour les maires. L’occupation ou l’utilisation du domaine public, encadrée par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), est en principe soumise à redevance, variant en fonction de l’emprise au sol, du mode d’usage, de la durée de l’exploitation et de la valeur commerciale de la voie. La gratuité des terrasses éphémères pourrait ainsi poser question de ce point de vue. 
Autre contrainte depuis le 1er juillet 2017 : la délivrance des titres d’occupation du domaine public est en principe soumise à des obligations de publicité et de concurrence – sauf exceptions. Parmi elles, les autorisations de courte durée (moins d’un an) et l’urgence, qui peuvent autoriser la personne publique à délivrer ses titres à l’amiable, un simple affichage tenant lieu de publicité. Les terrasses éphémères entrent a priori dans ce cadre. 
Attention toutefois : outre le manque à gagner pour la collectivité, le maire reste tenu d’assurer, au titre de ses pouvoirs de police, « la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques »  (art. L. 2212-2 du CGCT). Il est ainsi probable qu’en cas de contentieux – et en dépit des chartes dédouanant les municipalités de leur responsabilité en cas d’accident –, la sécurité des personnes installées sur ces terrasses éphémères au regard de la circulation des voitures, vélos, trottinettes et autres engins roulants apparus récemment sur le bitume, soit considérée comme relevant de la responsabilité de la commune… 

Caroline St-André

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