Zéro artificialisation nette : la proposition de loi sénatoriale s'affine au fil des auditions
Par Caroline Reinhart
Issue de la mission d’information portée par la sénatrice du Nord Valérie Létard, présidente de la commission spéciale ZAN, et par le sénateur du Vaucluse Jean-Baptiste Blanc, rapporteur, la proposition de loi visant à corriger le volet ZAN de la loi Climat de 2021 est en passe d’être soumise au débat public. Après des premières auditions, le 14 février, dont celle des ministres Christophe Béchu et Dominique Faure, la commission spéciale entendait les associations d’élus locaux le 28 février. Objectif : faire le point sur les demandes et positions de chacun, pour affiner le texte. Mais le sujet demeure épineux, comme a pu le rappeler Valérie Létard dans son propos introductif. « Notre proposition de loi vise à apporter certaines solutions en restant dans le cadre fixé par la loi votée en 2021. Des équilibres complexes sont à trouver, dans le respect du principe de différenciation territoriale. »
Parmi les mesures phares du texte discutées le 28 février, sont à relever : le report d’un an du calendrier fixé pour modifier les Sraddet, et par suite, les documents en découlant ; la création d’une « conférence régionale du ZAN » en tant qu’instance de gouvernance ; la mise à disposition d’une réserve de 1 hectare par commune et par décennie dans l’enveloppe régionale ; l’instauration d’un sursis à statuer et d’un droit de préemption spécifiques, pour permettre aux communes déjà confrontées à la ruée sur le foncier de gérer la période transitoire.
Calendrier et tutelle
Côté AMF, Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse et président de Grand Bourg Agglomération (Ain), a tout d’abord rappelé que l’association s’inscrit dans la mise en œuvre du ZAN, et qu’« il ne faut pas en affadir la mise en œuvre ». Détaillant les mesures de la proposition de loi, le maire de Bourg-en-Bresse a relevé que la prolongation du calendrier de révision des Sraddet tient compte « d’un élément de réalité », tout en alertant sur le fait que « si l’on suit les procédures de révision habituelles des Sraddet, Scot et PLU, le début de la mise en œuvre du ZAN pourrait ne pas avoir lieu avant 2028, soit deux ans avant le premier objectif décennal de 2031. Il ne faut donc pas que la phase Sraddet ne dure trop longtemps. »
Par ailleurs, Jean-François Debat a rappelé la position de l’AMF sur les décrets d’avril 2022 fixant la nomenclature des sols et la révision des Sraddet, qu’elle considère contraires à l’esprit de la loi adoptée en CMP en 2021 – comme de nombreux sénateurs. « Il faut respecter la loi initiale : le rapport juridique entre le Sraddet et les Scot et PLU doit revenir à un lien de prise en compte, et non de compatibilité. Ce n’est pas au Sraddet de déterminer les secteurs dans lesquels on doit densifier ou pas, si on doit consommer ou pas. Pour nous, cela relève bien des Scot eux-mêmes, qui sont les lieux naturels de mise en œuvre de la loi sur les territoires, et qui sont maîtrisés par les élus locaux. » Le recours formé devant le Conseil d’État contre ces décrets devrait aboutir au printemps.
Gouvernance et grands projets
Sur la gouvernance du ZAN, l’AMF souhaite proroger le rôle des conférences de Scot actuelles, en l’élargissant à des collèges de discussion plus larges, pour permettre aux communes et intercos de discuter de la trajectoire ZAN, avec un rôle renforcé des commissions de conciliation des documents d’urbanisme, élargi aux communes et intercommunalités désireuses de travailler sur la territorialisation du ZAN..
Par ailleurs, la prise en compte des projets d’intérêt national ou européen dans le décompte ZAN « ne peut pas peser uniquement sur les régions. (...) Et les règles de péréquation [s’il devait y avoir péréquation, la position de principe de l’AMF étant la sortie complète des grands projets du décompte ZAN, ndlr] doivent être connues et acceptées. ». Plus largement, les régions ne peuvent décider seules, afin d’éviter la tutelle d’une collectivité sur une autre. « Il faut qu’un processus multipartenarial soit mis en place pour que les allocations soient décidées collectivement, qu’elles soient équitables et acceptées par tous ». Enfin, il faut que les Scot soient vite saisis pour avoir le temps de faire les arbitrages, et, plus globalement, « pour que le ZAN ne soit pas une règle de calcul mais une véritable politique d’aménagement », a martelé Jean-François Debat.
Droit à l’hectare
Sur la garantie rurale prévue par la PPL, visant à accorder à chaque commune 1 ha « sur chaque tranche de dix années » pour assurer son droit au développement, l’AMF appelle l’attention sur « une partie des communes rurales » : celles en zone de revitalisation rurale (ZZR), et celles ayant conduit très peu de projets lors de la dernière décennie. Pour ces communes, « une obligation doit être mise en place (...) pour une allocation compatible avec leurs perspectives de développement ».
Côté AMRF, Sébastien Gouttebel, président de l’association des maires ruraux du Puy-de-Dôme, et vice-président de l’AMRF, a insisté sur l’importance de la prise en compte du rééquilibrage territorial. « 30 % du territoire n’est pas couvert par un Scot et 25 % des communes rurales sont au RNU : il faut en tenir compte pour un droit au projet et à la vie, pour ne pas mettre ces territoires sous cloche. ». Des chiffres contredits par Françoise Rossignol, 1ère vice-présidente de la fédération des Scot, également auditionnée. Selon ses données (qui sont celles du ministère), 97 % de la population et 86 % des communes sont couvertes par un Scot : la place des Scot doit être primordiale. « C’est une fantaisie de mettre en avant les territoires non couverts par un Scot » a-t-elle relevé. Quant à la garantie rurale d’un hectare par commune, Françoise Rossignol estime qu’elle « n’est pas opérationnelle, ni de nature à créer une dynamique en vue du ZAN », et que « le côté mécanique et artificiel d’une égalité apparente n’est pas la bonne solution ». Par ailleurs, la Fédération des Scot plaide pour que les grands projets soient sortis du décompte et gérés par l’État. Elle est aussi favorable à la mise en place d’un sursis à statuer et d’un droit de préemption spécifique au ZAN. Cette dernière mesure de la proposition de loi remporte d’ailleurs tous les suffrages des auditionnés.
« Ne pas entretenir le flou, préjudiciable aux projets »
De son côté, Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Bélon, président de Quimperlé Communauté (Finistère), et président délégué d’Intercommunalités de France, a trouvé une « bonne nouvelle » dans la proposition de loi : le Sénat ne remet pas en cause l’objectif ZAN. Mais la loi Climat a effectivement « besoin d’être corrigée sur certains aspects », notamment pour les communes sans document d’urbanisme, et plus largement celles « sans culture du document d’urbanisme ». Avec plusieurs mises en garde : ne pas renoncer à l’économie du foncier compte tenu de l’impératif climatique, mais aussi, « ne pas entretenir le flou, préjudiciable aux projets d’habitat ou de développement économique ». Sébastien Miossec a émis une réserve sur l’allongement des délais prévu par le texte. « Il ne faut pas que le terme de l’histoire soit repoussé trop longtemps ». Dernier impératif : éviter des dispositifs qui pourraient s’avérer contre-productifs. « Il faut passer par les documents d’urbanisme pour avoir une réponse adaptée à l’échelle du territoire, et permettre une mutualisation au niveau du bassin de vie. Les petites communes sont majoritaires, il faut qu’elles s’entendent ! », a-t-il plaidé.
Sur les grands projets, Sébastien Miossec a fait valoir le besoin d’y voir clair. « L’État doit dire rapidement ce qu’il entend par projet national ou européen ». « Au-delà de la discussion théorique, qu’y a-t-il derrière un projet régional, national ? Comment qualifier une liaison routière, une LGV, un canal, un projet de centrale nucléaire ? Cela ne peut être qu’un travail de dentelle ! ». Sur la gouvernance du ZAN, l’échelle des Scot est, pour Intercommunalités de France, préférable : « La conférence régionale du ZAN proposée n’est pas adaptée car sa composition figée ne peut pas fonctionner partout en France ». La proposition d’Intercommunalités de France est d’utiliser les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) en tant que cadre de discussion. Sauf que ces CTAP ne marchent pas partout sur le territoire… Le débat public, à partir du 14 mars, promet d’être dense.
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