Déploiement de la fibre optique : un changement de stratégie s'impose pour atteindre le 100 % fibre
Par Lucile Bonnin
Dans le centre de conférences de l'Institut Pasteur, l’ambiance est nettement différente de celle qu’elle était lors du dernier TRIP d’automne de l’Avicca (lire Maire info du 9 novembre). En quelques mois, les illusions et espoirs se sont dissipés et ont laissé place à des impatiences et à certaines inquiétudes.
Patrick Chaize, président de l’Avicca et sénateur de l’Ain, rappelle dans son discours d’ouverture qu’ « il n’y a visiblement toujours pas de pilote au volant de la transformation numérique de la France » et que chacun continue donc à « défendre [son] pré-carré », ce qui mène aux « résultats mitigés voire décevants que nous constatons tous » concernant la fibre, en passe de devenir l’infrastructure télécom nationale de référence.
100 % fibre et raccordements complexes
C’est un secret de polichinelle : le 100 % fibre ne sera pas atteint en 2025. C’est notamment ce que confirme l’Observatoire de la transition numérique des territoires présenté officiellement hier et construit par InfraNum en partenariat avec la Banque des Territoires et l’Avicca.
À ce jour, 86 % de locaux sont éligibles à la fibre, ce qui représente 38 millions de prises dont 3,5 millions ont été déployées en 2023. L’Observatoire indique qu’au « rythme actuel des déploiements, le niveau de couverture du territoire s’élèvera à environ 96 % du territoire en 2025 ».
Les résultats confirment des retards dans les déploiements « aussi bien en zone publique qu’en zone privée », précise Pierre-Michel Attali, vice-président d’InfraNum. Face à ces retards, Orange a pris des engagements en novembre dernier de couverture en zone AMII et ZTD. Si ces engagements sont respectés, ils « permettraient d’atteindre 98 % [de couverture fibre] en 2025 ». Une différence de 840 000 lignes avec la première trajectoire envisagée par l'Observatoire.
Ces retards de déploiements s’expliquent en partie par le fait que les raccordements restants sont complexes et donc plus coûteux, plus longs et plus difficile à déployer. « Nous devons mesurer le fait que les 14 % des prises qui restent vont être crispantes pour les industriels, pour les opérateurs et pour les élus qui subissent la pression de la population qui va de mieux en moins comprendre pourquoi ils ne sont pas raccordés », explique Philippe Le Grand, président d’InfraNum.
Déceptions et maintien du statu quo
Au dernier TRIP de l’Avicca, une solution mutualisée, faisant office de péréquation, avait été annoncée « pour le portage des investissements nécessaires aux raccordements complexes », en particulier en zone rurale. Le gouvernement devait mettre en place une solution mutualisée de l’investissement en génie civil pour ces raccordements, grâce au soutien de la Caisse des dépôts.
Finalement, cette solution n’a pas abouti « faute de consensus unanime et de portage politique du sujet ». La situation est donc figée et risque de s’enliser. Pour Antoine Darodes, directeur des investissements transition numériques à la Banque des Territoires, « soit l’État finance et redécouvre une capacité à subventionner (ce qui s’apparenterait à croire au père Noël) » soit ce sont les collectivités qui vont payer et « chacune va gérer son problème donc il n’y aura plus d’égalité ni de solidarité territoriale ».
Les solutions manquent aussi face aux problématiques rencontrées dans les territoires depuis maintenant plusieurs années. L’Observatoire, qui a mené pour la première fois une enquête auprès des collectivités, indique qu’après les raccordements complexes, c’est le mode STOC (recours aux sous-traitants) qui est cité comme principale problématique rencontrée lors des déploiements (64 %).
Patrick Chaize ne cache pas sa déception : les opérateurs commerciaux « ont agi pour surtout ne pas mettre en marche les expérimentations de raccordements mode OI » (raccordement réalisé directement par l’opérateur d’infrastructure). « La présidente de l’Arcep a formulé un souhait d’une telle expérimentation : il ne s’est rien passé. [Le ministre] Jean-Noël Barrot l’a fait également à l’automne dernier, il ne s’est rien passé. » Le président de l’Avicca a cependant annoncé que la Corse voulait se lancer dans l’expérimentation du mode OI de ses nœuds de raccordement optique et a lancé « un cap ou pas cap » aux opérateurs.
« On se sent un peu seuls pour porter l’engagement du gouvernement »
Enfin, c’est surtout l’absence du gouvernement au sens propre et au sens figuré du terme qui a fait beaucoup parler hier. « Marina Ferrari aurait certainement pu nous éclairer sur sa vision, malheureusement, et pour la première fois de l’histoire des TRIP de l’Avicca, nous n’aurons pas de ministre ni de secrétaire d’État », a regretté Patrick Chaize, et ce pour d’étranges « raisons de devoir de réserve lié aux élections européennes ».
Et cette absence est symptomatique d’un État qui se désengage d’un plan qu’il a lui-même initié. Patrick Chaize n’a pas manqué d’évoquer « le décret de février dernier qui a raboté – voire tronçonné – les crédits du numérique (lire Maire info du 27 février) ». « On se sent un peu seuls pour porter l’engagement du gouvernement », a indiqué Philippe le Grand qui appelle, de concert avec Patrick Chaize, à « construire un horizon clair » en « travaillant sur une stratégie globale France numérique 2030, partagée aussi par le gouvernement ».
« Les règles du jeu ont été fixées en 2015 » avec le Plan FTTH et si elles ont « permis de fibrer presque toute la France en 2025 » elles « ne sont plus adaptées pour exploiter [les réseaux] durablement » . « Il nous faut un nouveau pacte fibre pour nos territoires qui soit à la hauteur de ce qu’a été le Plan France THD en son temps », annonce Patrick Chaize.
Plus largement, l’Avicca et InfraNum souhaitent initier un nouveau projet numérique pour la France avec un plan « France Numérique 2030 », à l’image de celui qui a pu exister avec le Plan France numérique 2012. Patrick Chaize a invité la ministre absente à « engager ce chantier » en mettant « sur la table l’ensemble des sujets afin de reconstruire un vrai plan » qui veillerait à l’équité des territoires et à « une fiscalité juste et adaptée ». Affaire à suivre…
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