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Édition du jeudi 10 octobre 2024
Aide sociale

Régularisation, hébergement, accès aux soins : le Sénat alerte sur la situation des femmes sans abri

On compte de plus en plus de femmes parmi les sans-abri, vivant dans des conditions inhumaines. La délégation aux droits des femmes du Sénat vient de publier un rapport sur le sujet, invitant le gouvernement à se saisir urgemment du problème. Les conditions de prise en charge sont actuellement inadaptées.

Par Lucile Bonnin

« Les femmes à la rue sont de plus en plus nombreuses depuis dix ans, il y a une recrudescence inédite du phénomène », explique en conférence de presse Agnès Evren, sénatrice de Paris. Au total, 330 000 personnes, dont 40 % de femmes, sont sans domicile en France aujourd’hui. 

Face à cette explosion du nombre de femmes à la rue, la délégation aux droits des femmes du Sénat a mené des travaux pendant une dizaine de mois. Les quatre rapporteures ont présenté hier leurs conclusions et recommandations pour davantage accompagner ces femmes et familles à la rue.

Rendre visible l’invisible 

Au cours des auditions menées par la délégation, « les femmes sans domicile et a fortiori les femmes sans abri ont systématiquement été décrites comme "invisibles", soit qu’elles "passent inaperçues", qu’elles "se cachent" ou qu’elles soient "victimes d’une invisibilisation" ». Elles existent pourtant bel et bien. Les chiffres recueillis par les sénatrices sont précieux et montrent que ces femmes sont « victimes d’une spirale de précarité et de violences », comme l’indique Agnès Evren. 

Les sénatrices identifient d’abord « une prégnance d’événements douloureux et de violences dans le parcours antérieur des femmes sans domicile nées en France ». 36 % d’entre elles ont été victimes de violences dans leur enfance, 25 % ont été placées en famille d’accueil ou en foyer au titre de la protection de l’enfance et 15 % ont perdu leur logement à la suite de violences familiales. 

Une fois sorties de ce système, la violence continue : « Au bout d’un an passé à la rue, 100 % des femmes ont subi un viol. Pour elles, c’est un trauma parmi d’autres », a expliqué aux sénatrices Aurélie Tinland, médecin-psychiatre à l’AP-HM. 

Les femmes qui ont été contraintes de fuir leur pays représentent 50 % des femmes à la rue. Ces dernières se retrouvent très souvent « en situation d’exploitation domestique ou sexuelle à leur arrivée, puis à la rue si elles refusent une telle exploitation. » 

Par ailleurs, à cause de la saturation des services d’hébergement d’urgence, « environ 3 000 femmes et 3 000 enfants se retrouvent à devoir passer la nuit dehors »  et ce chaque soir.  En effet, plus de la moitié des femmes et familles ne sont pas mise à l’abri en dépit de leur appel au 115. « La veille de la rentrée scolaire, 6 500 personnes sont restées sans abri parmi lesquelles 1 934 femmes et 2 073 enfants », a ajouté Laurence Rossignol, sénatrice du Val-de-Marne et co-rapporteure.

La mission recommande notamment d’améliorer l’accès aux professionnels de santé, en déployant la médiation en santé, des permanences d’accès aux soins, des équipes d’intervention mobile, la vaccination des primo-arrivantes par l’Ofii et de prendre en charge les violences sexistes et sexuelles en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l’ordre qui recueillent les plaintes.

« Il faut retrouver une politique du logement » 

Parmi la vingtaine de recommandations émises par les rapporteures, plusieurs portent sur une priorité indiscutable : trouver un toit à ces femmes. Si l’offre d’hébergement a été multipliée par deux en dix ans, atteignant 203 000 places dans le parc généraliste (centres d’hébergement et de réinsertion sociale, centres d’hébergement d’urgence et autres centres, hôtels sociaux) et 110 000 places dans le cadre du dispositif national d’accueil (DNA) des demandeurs d’asile, « le parc d’hébergement est aujourd’hui saturé, faute de solutions de sortie vers le logement, et ne remplit donc plus sa vocation de solution temporaire », pointent les sénatrices. 

La délégation propose donc de créer 10 000 places d’hébergement supplémentaires, « en mobilisant notamment l’habitat intercalaire »  (des terrains ou des locaux vacants mobilisés sur des périodes de courte ou moyenne durée). Cette mesure avait été votée par le Sénat pour le budget 2024, rappelle Laurence Rossignol, mais avait été effacée par le 49.3. 

La mission incite également à « améliorer la qualité du parc d’hébergement en transformant les nuitées hôtelières en places pérennes et en assurant davantage de places non mixtes pour les femmes isolées, des places adaptées à toutes les configurations familiales et des lieux permettant de cuisiner, disposer d’une intimité et accueillir des enfants ».

« Il faut retrouver une politique du logement social digne de ce nom », a ajouté Laurence Rossignol, qui considère qu’il n’y en a plus « depuis des années »  déjà. La délégation recommande d’accroître la construction de logements sociaux et de simplifier les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé et de « renforcer les moyens des programmes spécialisés d’accès direct au logement pour les personnes les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d’abord ».

La régularisation 

Les sénatrices se sont également attaquées à l’épineuse – mais très actuelle – question de la régularisation de ces femmes à la rue. « Beaucoup travaillent, ou ont un enfant né ou scolarisé en France. Elles ne sont donc pas expulsables mais n’ont pas de titre de séjour », explique Olivia Richard, co-rapporteure et sénatrice des Français de l’étranger.

Laurence Rossignol ajoute que de nombreuses femmes sont « maintenues »  dans les centres d’hébergement car elles ne peuvent pas postuler à un titre de séjour régulier, « elles y sont depuis parfois plusieurs années mais sont interdites d’accès au logement social ».

La mission demande ainsi « au gouvernement de donner des instructions aux préfets pour que dans le cadre de la circulaire Valls, et du traitement au cas par cas des personnes en situation irrégulière, un effort particulier soit fait à l’égard des femmes sans abri ». Pour rappel, la circulaire Valls permet aux préfets de traiter des régularisations au cas par cas, en fonction de critères familiaux ou d’emploi. Selon Laurence Rossignol, les préfets en font actuellement un « usage malthusien ». 

Cependant, le gouvernement de Michel Barnier ne semble pas vouloir aller sur cette ligne politique. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau souhaite, a-t-on appris hier, abroger la circulaire Valls de 2012 et la remplacer par une autre. Si on ne parle pas de suppression de la mesure, les critères pour accéder à cette régularisation exceptionnelle seraient plus stricts. 
 

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