La Cour des comptes s'oppose à la « renationalisation à la carte » du RSA
Par A.W.
Des mérites et des faiblesses. Dans une enquête consacrée au revenu de solidarité active (RSA) publié hier, la Cour des comptes a réalisé la première évaluation globale de ce dispositif depuis 2011, alors que cet instrument de lutte contre la pauvreté est aujourd’hui attribué à plus de deux millions de foyers pour une dépense annuelle de 15 milliards d’euros.
Malgré les « difficultés d’accès » à l’information (« éclatement de l’information », « lacunes importantes », « problèmes de fiabilité » …), le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a souligné que c’est « sans doute la première fois » que l’institution réalise « une évaluation sur un dispositif de prestation sociale de cette importance ».
Protège de la grande pauvreté
« Principal instrument de lutte contre la pauvreté », la création du RSA en 2008 (qui s’est substitué au RMI) a « profondément transformé le panorama des minima sociaux » en « incitant à l’activité », constate l’ancien ministre de l’Economie. Mais ces résultats restent « très contrastés », Pierre Moscovici pointant à la fois « deux succès importants » contrebalancés par « trois lacunes » importantes.
Premier « mérite » du RSA, il permet de « réduire nettement l’intensité de la grande pauvreté et de protéger efficacement contre la très grande pauvreté », expliquent les auteurs du rapport. En effet, seuls 16 % des bénéficiaires vivent avec moins de 40 % du revenu médian (733,6 euros), 78 % de ces bénéficiaires estimant même que le RSA leur procure un revenu minimum leur évitant de tomber dans la pauvreté.
« Attention », toutefois, « il ne s’agit aucunement de dire ici qu’on vit bien avec le RSA », prévient le Premier président de la Cour, celui-ci assure uniquement un rôle « d’ultime recours », de « minimum vital ». Comme le rappellent les magistrats de la rue Cambon dans leur rapport, « 51 % des allocataires sont pauvres en condition de vie », sans compter que « le RSA ne permet pas aux ménages de franchir le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian, puisque son montant garanti est inférieur ».
« Seules les personnes exerçant une activité, même à temps incomplet, disposent avec le RSA et leurs revenus personnels de ressources supérieures à ce seuil ». Et c’est le deuxième succès de ce dispositif : la suppression des « trappes à inactivité » via l’incitation monétaire à l’activité. « Grâce à la disparition des effets de seuil à la sortie, le RSA a mis fin aux situations de trappes à inactivité (et) il est toujours « gagnant » de reprendre une activité avec le RSA, y compris à mi-temps », un avantage amplifié depuis 2019 par l’augmentation de la prime d’activité.
Non-recours trop élevés et accompagnement inefficace
En parallèle, la Cour relève aussi trois faiblesses de ce dispositif: un taux de non-recours trop élevé, un accompagnement social et professionnel « nettement insuffisant » et des « résultats médiocres » en matière d’emploi.
Première lacune du RSA, il bénéficie insuffisamment aux personnes auxquelles il est destiné, à la fois pour l’allocation et pour l’accompagnement. Ainsi, environ 30 % de la population qui en a le droit ne bénéficie pas de l’allocation, quand 60 % des allocataires ne disposent pas de contrat d’accompagnement. « Ce qui signifie qu’en prenant en compte le non-recours ''général'', seule 40 % de la population ciblée accède à l’accompagnement érigé comme un droit par la loi », soulignent les magistrats financiers. Pour Pierre Moscovici, « c’est un dysfonctionnement notable », qui permet que subsistent « des situations de grande précarité et d’exclusion ».
Malgré tout, quand il y a accompagnement, celui-ci est-il réel et efficace?, s'interrogent les auteurs du rapport. La réponse est « non », et « il s’agit là du principal échec du dispositif ». « L’accompagnement est faible, la contractualisation rare et souvent de pure forme, et en définitive la logique des droits et devoirs est dévoyée. Cet état de fait ne permet pas, sauf dans de rares exceptions, de mesurer un effet positif de l’accompagnement », dénonce la Cour, pour qui cela « affaiblit les incitations à l’insertion ».
Enfin, l’accès effectif à l’emploi reste difficile. Ce qui « compromet la promesse du dispositif de faire des revenus du travail le principal rempart contre la pauvreté », selon les magistrats financiers. Comparativement, les allocataires sortent « plus rarement en emploi et dans des postes plus courts et plus instables » que la moyenne des demandeurs d’emploi. « Sept ans après l’entrée dans le dispositif RSA, seuls 34 % des allocataires en moyenne sont en emploi, et seulement 11 % en emploi stable » tandis que « 15 % des bénéficiaires actuels du RSA sont présents dans le dispositif depuis plus de 10 ans », observe la Cour.
Réformer le financement du RSA
Estimant que la mise en œuvre de ce modèle demeure « incomplète », celle-ci fait remarquer que « les rares cas où la logique du RSA a été réellement appliquée (avec l’accompagnement global par exemple) suggèrent qu’il peut être efficace ».
Devant ce constat, les magistrats mettent en avant trois grandes priorités et formulent 17 recommandations. Ils demandent, d’abord, que les départements soient « entièrement responsables du dispositif » et s’opposent à la « renationalisation à la carte », déjà effective en Guyane et à La Réunion, et programmée en Seine-Saint-Denis.
« La situation dans laquelle l’État finance mais le département décide ne peut que générer un risque sérieux de dérive de la dépense et un contrôle structurellement faible de l’attribution à bon droit », selon Pierre Moscovici. Celui-ci préconise donc de réformer le financement du RSA en privilégiant le transfert de ressources « durables dont la dynamique serait cohérente avec celle de la dépense ». Ce qui est loin d’être le cas actuellement. En dix ans, les dépenses ont progressé beaucoup plus vite (+ 69 %) que les recettes allouées aux départements (+ 20 %).
Ensuite, la Cour souhaite voir augmenter la couverture de la population cible. « Cela passe par une démarche de simplification, de clarté, de publicité de l’allocation et d’engagement envers les allocataires potentiels », recommande la Cour qui rejette toutefois l’idée d’un versement automatique de l’allocation.
Enfin, elle prône « une pleine application à la logique des “droits et devoirs” » et l’amélioration de l’accompagnement vers l’emploi. Elle propose une meilleure orientation et la mise en place de parcours « débouchant systématiquement sur une formation qualifiante avant un délai de deux ans dans une sorte de “clause anti-ancienneté” ».
Dans sa réponse à la Cour, l’Assemblée des départements de France (ADF) dit partager les observations réalisées par la Cour sur le manque de lisibilité et l’insuffisance des ressources associées au financement du RSA. Estimant que le « modèle social français est à bout de souffle », elle rejoint également l’analyse des magistrats financiers concernant la décentralisation du dispositif, qui « n’est pas totalement aboutie ».
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