Loups : au Sénat, le ministre de l'Agriculture précise les évolutions à venir
Par Franck Lemarc
C’est à l’initiative de la sénatrice LR des Alpes-Maritimes Dominique Estrosi Sassone qu’un débat sur le loup, intitulé Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme, a été organisé hier au Sénat en présence du ministre de l’Agriculture. Sur fond d’un constat largement partagé : la protection des loups a conduit à un important développement numérique et géographique de l’espèce, qui met de plus en plus souvent en danger l’élevage.
Dominique Estrosi Sassone a rappelé les chiffres : alors que le loup avait presque totalement disparu du pays dans les années 1990, la population lupine est aujourd’hui estimée à plus de 1 100, présents dans une cinquantaine de départements. On est donc aujourd’hui très au-delà du seuil de préservation de l’espèce, qui a été fixé à 500 individus. La rapidité de reproduction des loups peut inquiéter : la sénatrice a rappelé qu’un « bond » de 198 nouveaux animaux a été constaté entre juillet et septembre dernier.
Ce développement des loups a une conséquence directe : l’augmentation exponentielle des attaques contre les troupeaux : « 12 000 à 14 000 animaux sont tués chaque année », a reconnu hier Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, essentiellement des ovins mais également des chèvres, des vaches et même des chevaux.
Dans ce contexte, le Plan loup 2024-2029 dévoilé en septembre par le gouvernement (lire Maire info du 19 septembre 2023) apparaît insuffisant à de nombreux sénateurs qui se sont exprimés lors du débat.
Changement de statut du loup
L’une des principales évolutions envisagées dans ce plan est le changement de « statut » du loup, que le gouvernement souhaite faire passer « d’espèce très protégée » à « espèce protégée ». Ce qui changerait tout, puisque cela permettrait de passer « de tirs dérogatoires défensifs à des tirs de gestion préventifs », a expliqué le ministre : « Si ce statut évolue, nous pourrons passer à une logique de tirs de prévention, avec des quotas. » Le ministre a annoncé la publication imminente d’un projet d’arrêté de tir, qui permettra « le passage d’un à deux ou trois tireurs, l'accélération des procédures d'autorisation, la fin de l'éclairage préalable de l'animal par les louvetiers ».
Par ailleurs, il a annoncé la publication prochaine d’une circulaire « pour améliorer les conditions de travail et la formation de louvetiers ». Plusieurs sénateurs ont insisté sur l’importance de ce point, demandant que les louvetiers puissent être dotés de lunettes de visée thermiques et de « revoir le statut des lieutenants de louveterie sur la base de celui des sapeurs-pompiers volontaires ».
Reste que ces mesures – notamment le changement de statut de l’espèce loup – sont longues et complexes à mettre en œuvre. Le changement de statut, par exemple, doit être négocié à l’échelle de l’Europe. Plusieurs sénateurs qui sont intervenus dans le débat ont pressé le gouvernement d’accélérer, non seulement dans un souci de protection des élevages mais y compris des humains : un sénateur du Var a rapporté que « jeudi dernier, un troupeau a été attaqué à 250 mètres du lycée agricole d’Hyères, fréquenté par 1 700 élèves ». Il a appelé le gouvernement à « faire évoluer nos positions avant que l’inéluctable se produise », c’est-à-dire la mort d’un randonneur ou d’un berger attaqué par un loup.
Un statut de « chien de travail » ?
Dans ce débat, la question du statut des chiens de protection des troupeaux a été longuement abordée, ce qui intéressera particulièrement les maires des communes concernées par la question du loup.
En effet, de plus en plus d’éleveurs ont recours à des chiens de protection, en général des patous. Or, comme l’a rappelé la sénatrice Anne Ventalon (Ardèche), « ces chiens perçoivent toute présence comme une menace, y compris les promeneurs », et un certain nombre de cas de morsures de promeneurs par des patous ont été recensés. Avec, dans certains cas, des maires « entendus par la gendarmerie », puisque les maires, conformément à l’article L211-11 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), sont responsables de la protection contre les chiens dangereux. Marc Fesneau a volontiers reconnu le problème, indiquant qu’il existe aujourd’hui quelque 6 500 chiens de protection des troupeaux, ce qui « crée des tensions avec les randonneurs ou avec des élus qui préfèrent ne plus mettre à bail certaines zones, par peur du risque de morsure ». Il estime nécessaire, en premier lieu, de « former ces chiens et sélectionner la lignée génétique ». Mais, au-delà, se pose la question de la création d’un statut spécifique de « chien de travail » pour les patous, ce qui permettrait « qu’ils ne (soient) plus considérés comme divaguant lorsqu’ils sont autour des troupeaux » et « écarterait les dispositions pénales ».
Mais cette mesure, prévue par le Plan loup, est moins simple qu’il n’a paraît. Dans un rapport établi en juin dernier par le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux), intitulé Mission de conseil relative au statut des chiens de protection des troupeaux, la question est examinée sous toutes ses facettes, les rapporteurs concluant que l’élaboration d’un statut de chien de travail est une voie « complexe et hasardeuse juridiquement », voire « inefficace ». Les rapporteurs rappellent d’ailleurs que le CRPM prévoit déjà (article L211-23) qu’un chien assurant « la garde ou la protection d’un troupeau » ne peut être considéré comme « en état de divagation ».
Le rapport conclut que « la définition d’un statut de chien de travail n’apparaît pas comme une réponse adaptée » et « ne suffirait pas à répondre aux craintes et aux difficultés rencontrées », en plus d’être « longue à mettre en œuvre ». Les rapporteurs estiment qu’il serait plus utile de « cibler les aspects de la réglementation applicable aux chiens de protection posant des difficultés d’application ». Ils préconisent de « construire, en lien avec l’Association des maires de France, des lignes directrices relatives à l’application de la règlementation applicable à l’utilisation de chiens de protection des troupeaux (comportement, nuisances, bien-être) ».
ICPE
Une autre évolution préconisée dans ce rapport – et reprise par le ministre lors du débat d’hier – est celle de la réglementation des ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement). En effet, en l’état actuel du droit, tout établissement détenant 10 chiens et plus est entre dans la catégorie ICPE. Or, soulignent les rapporteurs, « le seuil de 10 chiens est de plus en plus souvent atteint par des éleveurs ou des bergers dès lors qu’aux chiens de protections s’ajoutent les chiens de conduite des troupeaux, les chiens de chasse ou les chiens qu’ils possèdent pour leur seul agrément ». Ces éleveurs se retrouvent de ce fait soumis à la réglementation très complexe des ICPE… en l’ignorant le plus souvent.
Le rapport préconise donc de modifier « dans les meilleurs délais », par décret, la réglementation relative aux ICPE pour en exclure la possession de chiens de protection de troupeau – ce qui Marc Fesneau a évoqué hier, relatant qu’actuellement, « une personne est renvoyée au tribunal pour de tels faits, ce qui n’est pas acceptable, alors que c’est l’État qui a demandé aux éleveurs d’avoir de tels chiens ».
Toutes ces étapes réglementaires seront à suivre dans les mois qui viennent. La plus longue sera certainement le changement de statut du loup vers « l’espèce protégée » à l’échelle européenne. Marc Fesneau a donné hier le calendrier : « Fin janvier, le Conseil Environnement se prononcera à la majorité simple. À Berne, il faudra ensuite une majorité des deux tiers. Cela reviendra enfin au Conseil Environnement, où il faut l'unanimité. D'ici juin, il pourrait donc y avoir une évolution. »
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