Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 22 janvier 2024
Agriculture

La fronde des agriculteurs prend de l'ampleur

Le mouvement de protestation des agriculteurs qui se développe dans plusieurs pays d'Europe gagne la France et provoque l'inquiétude du gouvernement, qui vient d'annoncer le report de son projet de loi sur l'agriculture. Explications. 

Par Franck Lemarc

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© JA 87

La protestation des agriculteurs contre le trop-plein de normes et la diminution de leurs revenus a, jusqu’à présent, pris une allure plutôt bon enfant, avec le mouvement de retournement des panneaux d’entrée de commune. Mais depuis la semaine dernière, la situation semble se tendre, dans la foulée de ce qui se déroule dans plusieurs pays d’Europe. 

Des Pays-Bas à l’Allemagne

La fronde au long cours des agriculteurs européens a débuté il y a un an et demi aux Pays-Bas : l’annonce du gouvernement de sa volonté de réduire de 30 % le cheptel bovin, pour des raisons environnementales, et qui aurait pu conduire à la disparition de plus de 10 000 exploitations, a provoqué des manifestations violentes dans tout le pays. Cette révolte a eu des conséquences politiques, avec l’émergence d’un nouveau parti plutôt marqué à l’extrême droite, le Mouvement agriculteur citoyen, qui a réalisé entre 20 et 30 % des voix dans les régions agricoles aux élections provinciales de mars 2023. 

Ce mouvement néérlandais a ensuite fait tache d’huile en Belgique, puis en Espagne, où des milliers d’agriculteurs ont manifesté le 5 septembre dernier contre la hausse des coûts et « les normes environnementales ».

Plus récemment, c’est en Roumanie et en Allemagne que la fronde a pris de l’ampleur.

En Roumanie, les agriculteurs sont inquiets des mesures de soutien de leur gouvernement – et de l’Europe – à l’agriculture ukrainienne, craignant un effet de concurrence déloyale. Début janvier, des milliers de tracteurs ont convergé vers Bucarest et ont bloqué les passages frontière avec la Hongrie, l’Ukraine, la Bulgarie et la Serbie. La situation n’est toujours pas débloquée à ce jour. 

En Allemagne, enfin, le pays est confronté à la plus importante fronde des agriculteurs depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C’est la décision du gouvernement, en décembre, de supprimer brutalement les subventions au diesel agricole qui a mis le feu aux poudres, et fait converger des dizaines de milliers de tracteurs vers Berlin, bloquant la ville pendant toute la journée du 15 janvier. Une nouvelle manifestation a eu lieu à Berlin samedi dernier. 

Des panneaux retournés au blocage

En France aussi, le mécontentement est bien là, dirigé – comme partout en Europe – contre le « Green deal », le « Pacte vert »  européen, un paquet de mesures visant à décarboner l’Europe, si violemment rejeté par les agriculteurs du continent que les 27 ont dû décider d’une « pause réglementaire », l’été dernier, pour tenter de déminer la situation. 

La fronde a pris une forme originale en France avec le mouvement dit de « la rébellion des panneaux ». L’idée est venue de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs du Tarn, qui ont eu, en octobre, l’idée de dévisser et réinstaller à l’envers les panneaux d’entrée de communes. Ce mouvement a eu un succès fulgurant et a gagné de nombreuses régions rurales du pays – ce sont des centaines, peut-être des milliers de communes qui ont ainsi vu leur panneau d’entrée placé à l’envers, pour symboliser « une France qui marche sur la tête ». 

Mais depuis quelques jours, la contestation prend à son tour une forme plus radicale. Pour les agriculteurs, les raisons de la colère sont innombrables : inflation – notamment sur les prix énergétiques –, normes environnementales, baisse des prix de vente de leurs produits, taxes jugées trop importantes, retards de paiements dans les aides de la PAC…

Depuis le mardi 16 janvier, en Occitanie, les agriculteurs ont entamé un mouvement qui s’est soldé, depuis le 19 janvier, par le blocage de l’autoroute A64 au sud de Toulouse. Le mouvement pourrait faire tache d’huile : un blocage a été organisé dans l’Ariège, un autre ce matin entre Toulouse et Bordeaux. Depuis ce matin également, les accès à la centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne, sont bloqués par des tracteurs. Plus inquiétant : un bombe artisanale a soufflé, dans la nuit de jeudi à vendredi, un bâtiment vide de la Dreal à Carcassonne. S’il n’est pas formellement prouvé que cette explosion est liée à la fronde des agriculteurs, les autorités l’envisagent sérieusement. 

Le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a annoncé ce matin que des actions de blocage allaient être lancées « toute la semaine »  et dans tout le pays. Il a également fait planer la menace d’un boycott du Salon de l’agriculture, qui doit se tenir à Paris à partir du 24 février. 

Réduction des normes

Le gouvernement se montre manifestement inquiet de cette situation et de la possible reprise d’un mouvement de type Gilets jaunes. Le chef de l’État a demandé aux préfets, ce week-end, d’aller à la rencontre des agriculteurs sur tout le territoire, et les ministres multiplient les déclarations de « compréhension »  et de « soutien »  au ras-le-bol des agriculteurs. Témoin Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, qui a déclaré hier que les agriculteurs avaient « totalement raison »  d’être en colère et qu’il « partage la douleur des paysans français » 

Le Premier ministre, Gabriel Attal, va recevoir la FNSEA ce soir. 

Première décision concrète : le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé ce week-end le report « de quelques semaines »  de la présentation du projet de loi « en faveur du renouvellement des générations en agriculture », qui devait arriver en Conseil des ministres mercredi. Le texte va être retravaillé pour y ajouter un volet « simplification des normes », « raccourcissement des délais administratifs »  et « arrêt de la surtransposition des normes européennes » , a promis le ministre. 

Il n’est pas sûr que cette annonce suffise à désamorcer la colère des agriculteurs. Réponse à partir d’aujourd’hui et de demain, ou des « actions »  sont prévues dans de nombreux départements, des Pyrénées-Orientales au Nord en passant par le Rhône ou les Deux-Sèvres. Des agriculteurs, sur le point de blocage de l’A64, ont promis que la France serait « paralysée »  mercredi et qu’ils étaient prêts à « bloquer Paris ». 

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