Agriculture : une bataille politique s'engage aujourd'hui à l'Assemblée nationale
Par Lucile Bonnin
C’est dans un climat agité et un contexte tendu que la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », déposée par le sénateur LR Laurent Duplomb en novembre dernier, arrive à l’Assemblée nationale.
Le texte avait été adopté par la chambre haute le 27 janvier dernier avec 233 voix pour et 109 contre, malgré l’opposition farouche des sénateurs écologistes, socialistes et communistes. Le gouvernement a, dès cette adoption au Sénat, engagé une procédure accélérée pour ce texte, dans un contexte de colère du monde agricole qui avait mené à des mouvements de blocages sur les routes durant l’année 2024 (lire Maire info du 29 janvier 2024).
D’ailleurs, aujourd’hui les agriculteurs se mobilisent à nouveau à l’occasion de l’arrivée de ce texte à l’Assemblée nationale, à l’appel de la FNSEA et du syndicat des Jeunes agriculteurs. Ils dénoncent dans un communiqué l’opposition des députés LFI et écologistes qui ont déposés plus de 2 300 amendements sur ce texte.
Ceux qui sont accusés de vouloir détricoter la loi voire de tenter de « jouer la carte de l’obstruction » dénoncent des mesures dans ce texte qui selon eux constituent de véritables reculs en matière de protection de l’environnement, de bien-être animal, de la biodiversité et de la santé publique.
Un pesticide au cœur des dissensions
Le texte prévoit à son article 2 d’accorder au ministre de l’Agriculture le pouvoir de suspendre, dans certaines conditions, une décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en matière d’autorisation de produits phytosanitaires. Cet article introduit également l’usage de drones pour répandre les pesticides ; et surtout réautorise l’utilisation d’un insecticide à base d’acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018.
La commission des affaires économiques du Sénat a mis en exergue l’importance de cet insecticide pour les filières de la betterave ou de la noisette. « La question de la survie de la filière des producteurs de noisettes en France à très court terme est posée si l’interdiction de l’acétamipride demeure », estiment les rapporteurs de la loi au Sénat.
Pour les députés de gauche, le retour dérogatoire de l’acétamipride prévu dans ce texte est une menace non seulement pour les abeilles mais aussi pour l’avenir de l’agriculture. Interrogé de matin au micro de France info, le député écologiste Benoît Biteau estime que c’est « reculer pour mieux sauter que de vouloir encore utiliser cette molécule dangereuse pour l’environnement et la santé » et que la réponse « est dans l’agronomie ».
Même le gouvernement se divise sur cette épineuse question. Annie Genevard, ministre de l’Agriculture est pour la réintroduction dérogatoire de cet insecticide tandis qu’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, explique que l’ « on va se reposer la question dans quelques années parce qu’immanquablement une interdiction arrivera. » En effet, cet insecticide n’est autorisé sur le marché unique européen que jusqu'en 2033 – et l'Europe en a, d'ici là, fortement restreint l'usage, contrairement à ce qu'affirment les syndicats agricoles qui estiment que ce pesticide est librement utilisé dans les autres pays d'Europe, créant une concurrence déloyale.
Des mesures importantes sur l’élevage et l’eau
D’autres mesures font grincer des dents les associations de défense de l’environnement, comme l’article 3 qui revient sur certaines règles « qui assujettissent l’élevage à des procédures environnementales présentées par les filières comme un frein à leur développement ».
Ainsi, les activités d’élevage bénéficieraient d’une facilitation à l'agrandissement des bâtiments d'élevage. De plus, la taille des élevages soumis aux demandes d'autorisations environnementales serait réévaluée à la hausse. C’est-à-dire, par exemple, qu’une exploitation d'élevage de volailles ne devrait demander une autorisation qu'à partir de 85 000 poulets contre 40 000 aujourd'hui.
Les députés écologistes demandent de leur côté que soient prises « des mesures permettant de soutenir le modèle d'élevage familial français plutôt que de s'aligner sur le modèle industriel étranger, nocif pour les agriculteurs, les animaux et l'environnement. » « Si l’Etat ne protège pas l’élevage à taille humaine aujourd’hui, ces logiques nous emmènent vers un élevage industrialisé et mondialisé, qui aggrave le dérèglement climatique et cause des scandales sanitaires comme celui des algues vertes en Bretagne », ont précisé les députés écologistes dans l’un des 1 500 amendement déposés.
Par ailleurs, la très controversée question du stockage de l’eau fait aussi l’objet d’une disposition dans le texte. Ainsi, « les retenues de stockage d'eau à vocation agricole seront "présumées d'intérêt général majeur" au sens des directives européennes sur l'eau et les habitats, sous certaines conditions (dans les zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne compromettant le potentiel de production agricole, obligation d’une démarche territoriale concertée sur la répartition de la ressource en eau entre l’ensemble des usagers...) », peut-on lire sur le site Vie-publique.fr. Le gouvernement va proposer par amendement de réintroduire une mesure supprimée par le Sénat afin de « faciliter les projets de stockage de l'eau présentant un intérêt général majeur ».
Une motion de rejet pour contourner les débats
Accusés de faire de l’obstruction par les syndicats, les députés de gauche ayant déposés de très nombreux amendements expliquent, à l’instar de Benoît Biteau, que l’examen de ce texte est aussi « l’opportunité d’un débat sur l’agriculture pour tenter de l’élever et de faire des propositions alternatives » et que la plupart des amendements déposés sont argumentés et ne portent pas sur le changement « d’une virgule en point ».
De l’autre côté, pour s’assurer de gagner ce bras de fer, les partisans de ce texte pourraient voter une motion de rejet qui a été déposée ce week-end par le rapporteur de cette proposition en commission des affaires économiques, Julien Dive (LR).
Si cette stratégie peut paraître contre-intuitive, il faut rappeler qu'étant donné que le texte a déjà été voté au Sénat, si la motion de rejet est adoptée, elle permettrait d’abandonner le débat dans l’hémicycle et de convoquer directement la réunion d'une commission mixte paritaire pour tenter de trouver un accord entre députés et sénateurs. Le gouvernement a aussi le choix d'écarter défiinitivement le texte mais cette option apparaît comme peu probable.
Cette motion de rejet pourrait être votée par les partis du gouvernement et par le Rassemblement national. La droite étant en position de force au sein de la CMP, le texte pourrait même y être durci. C'est notamment ce qui s'était passé l'adoption de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration. Une motion de rejet avait été déposée par les écologistes à l'Assemblée nationale, et votée par le reste de la gauche, Les Républicains et le Rassemblement national. Au terme de la CMP, une version plus dure avait été arrêtée. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs largement censuré le texte.
Mais pour l’heure rien n’est joué et la séance publique qui démarrera à 16 heures aujourd’hui sera sans doute très suivie autant du côté des agriculteurs – qui sont appelés à manifester devant l'Assemblée nationale – que du côté des associations de défense de l’environnement.
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