Contrôle de légalité : le gouvernement reconnaît à son tour un manque de moyens humains
Par Franck Lemarc
Entre 2010 et 2020, les effectifs des préfectures ont chuté de plus de 11 000 équivalents temps-plein. Parallèlement, le nombre d’actes que les collectivités doivent faire contrôler par les préfets est en hausse constante (+ 22 % de 2015 à 2021), du fait de transferts de compétence de plus en plus nombreux. Moins de personnels en préfecture pour plus d’actes à contrôler : dans une telle situation, il relève de l’évidence que la qualité du contrôle – et même sa quantité – ne peut que se dégrader.
C’est un constat que la Cour des comptes a fait sans se payer de mots, en 2022 (lire Maire info du 30 novembre 2022), quand elle qualifiait « d’atrophié » le contrôle de légalité.
Le gouvernement, dans le rapport publié tout récemment, ne dit finalement pas autre chose, bien qu’avec des mots plus choisis.
Rescrit et déféré-suspension
Pour mémoire, le contrôle de légalité et le contrôle des actes budgétaires sont nés avec les lois de décentralisation de 1982, en remplacement du contrôle a priori qui existait auparavant – et constituait une tutelle de l’État sur les collectivités. Désormais, c’est après coup que les actes des collectivités sont contrôlés, ce qui peut conduire à trois situations : ou bien les actes sont conformes (ce qui est le cas dans 99 % des cas), ou bien ils ne le sont pas, ce qui conduit le préfet, dans les cas les moins graves, à adresser un recours gracieux à la collectivité ou, exceptionnellement, à aller devant le tribunal administratif.
Le rapport qui vient d’être publié traite des années 2019 à 2021, ce qui signifie que les données sont marquées par la crise du covid-19.
Il relève au passage une évolution notable dans le cadre juridique : l’introduction dans le Code général des collectivités territoriales, en 2019, de la procédure dite de rescrit, qui permet à un élu de demander au préfet, en amont de l’adoption d’un acte, une « prise de position formelle ». Si l’acte, par la suite, est conforme à la prise de position formelle, le préfet ne pourra plus le déférer au tribunal administratif. Cette nouveauté semble avoir eu du mal à infuser dans les collectivités puisqu’en 2021, le gouvernement n’a recensé que 54 demandes de rescrit auprès des préfectures.
Si le rescrit ne représente nullement le retour d’un contrôle a priori, mais plutôt une mission de conseil, il n’en va pas de même d’une autre nouveauté de cette période, le déféré-suspension préfectoral. Introduit par la loi confortant le respect du principe de la République, malgré la forte opposition des associations d’élus, le déféré-suspension en matière de laïcité et de neutralité des services publics permet au préfet de suspendre un acte et de le porter immédiatement devant un juge administratif. Rappelons que l’AMF s’est toujours opposée à ce dispositif, parce qu’il constitue une « présomption d’illégalité » et une forme de retour à un contrôle a priori.
Contrôle de légalité et covid-19
Une partie du rapport traite des conséquences de la pandémie de covid-19 et du confinement sur le contrôle de légalité. Le confinement a eu pour effet – de façon contre-intuitive – de faire très fortement diminuer la télétransmission des actes (divisée par trois) au profit de la transmission papier. Explication : la télétransmission s’effectue via un système sécurisé, et les agents des collectivités chargés de cette tâche, dans le cadre du télétravail, n’avaient souvent plus accès à celui-ci.
Cette période a été d’autant plus compliquée qu’elle a coïncidé avec les élections municipales (mars et juin 2020), qui entraînent toujours un fort afflux d’actes à contrôler par les préfets. Et parce que le confinement a été assorti de très nombreuses ordonnances dérogeant au droit commun dans toute sorte de domaines, ce qui a conduit à une plus grande incertitude juridique pour les élus.
La sortie du confinement a donc été marquée par un très fort surcroît d’activité au sein des préfectures pour traiter le stock d’actes à traiter.
Le rapport note au passage que cette période 2019-2020 a vu la mise en œuvre d’une des dispositions de la loi Notre, le 7 août 2020 : l’obligation pour les communes de plus de 50 000 habitants et les EPCI de transmettre les actes à contrôler par voie électronique. Malgré cette obligation nouvelle, un certain nombre de ces communes de plus de 50 000 habitants continuent de transmettre en version papier, notent les auteurs du rapport, ce qui est dû selon eux à « l’absence de moyens coercitifs » à ce sujet dans la loi.
80 % des actes non traités
Le rapport – comme l’avait fait la Cour des comptes en 2022 – relève une « augmentation continue » du nombre d’actes transmis par les collectivités : ils sont passés de 5,66 millions en 2019 à 6,28 millions en 2021. Une part de cette augmentation est due à des causes conjoncturelles – par exemple, le rattrapage des permis de construire à l’issue du confinement. Il est à noter que seuls les actes relatifs à la commande publique sont en diminution sur cette période, du fait du confinement, d’une part, mais aussi du relèvement du seuil de dispense de procédure de passation des marchés publics à 215 000 euros.
Mais le problème majeur reste, comme l’avait souligné la Cour des comptes, le faible taux de traitement des actes par les services des préfectures. Sur 6,28 millions d’actes transmis en 2021, 1,28 million ont été effectivement contrôlés. Autrement dit, 80 % des actes transmis ne sont pas contrôlés.
Comment s’en étonner ? Rappelons que les effectifs dédiés à cette tâche, en préfecture, sont d’environ 900 emplois à temps plein. Pour contrôler tous les actes, ces 900 agents devraient traiter… presque 7 000 actes par an, ce qui est évidemment impossible.
Même si l’on ne considère que les actes dits « prioritaires », l’objectif fixé par le gouvernement (taux de contrôle de 90 %) n’est pas atteint (entre 82 et 88 % sur les trois années considérées). Parmi les raisons mises en avant par le rapport pour expliquer ce résultat insuffisant, le gouvernement reconnaît « la faiblesse des effectifs affectés à l’exercice du contrôle de légalité ».
Rappelons qu’en 2022, la Cour des comptes – chose rarissime – avait demandé à l’État de renforcer ces effectifs, chiffrant les besoins à au moins 190 ETP. L’État n’a pas répondu à cette demande – et dans le contexte budgétaire actuel, il est peu probable qu’il le fasse à l’avenir.
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