Maire-info
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Édition du mercredi 1er mars 2023
Guerre en Ukraine

Accueil des réfugiés ukrainiens : la Cour des comptes fait le bilan et demande à l'État de mieux « anticiper »

Tout juste un an après le déclenchement de la guerre, la Cour des comptes vient de rendre un rapport sur l'accueil en France des réfugiés ukrainiens. Si les magistrats saluent la réactivité de tous les acteurs, ils pointent un manque de « visibilité » sur le financement des mesures d'aides aux réfugiés. 

Par Franck Lemarc

La France a accueilli environ « 115 000 personnes, principalement des femmes et des enfants », depuis le début de la guerre en Ukraine, indique la Cour des comptes dans un rapport « flash »  (https://www.ccomptes.fr/fr/documents/63541) rendu public ces derniers jours. 

C’est un peu plus que l’estimation initiale du gouvernement, qui chiffrait au départ à 100 000 le nombre de personnes susceptibles d’être accueillies en France au titre de la protection dite « temporaire »  accordée par l’Union européenne. La Cour des comptes se félicite de la bonne coordination qui s’est très rapidement mise en place entre tous les échelons – cellule de crise interministérielle, préfectures, collectivités locales –  et qui a permis « une véritable mutualisation »  des moyens. 

« Coopérations inédites » 

La majorité des personnes accueillies (80 000) l’ont été « dans les grandes métropoles et les territoires frontaliers de l’est de la France ». 87 000 places d’hébergement ont été créées, parfois dans des structures conventionnelles (accueil de première urgence, hôtels), parfois dans des conditions plus inhabituelles, comme à Marseille où l’État a réquisitionné un ferry-boat de la compagnie Corsica Linea. « Ces lieux ont permis des coopérations inédites entre acteurs associatifs et humanitaires, bénévoles, collectivités (centres communaux d’action sociale), ministère de l’intérieur, Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), agences régionales de santé (ARS), caisses d’allocations familiales, services de l’éducation nationale et de Pôle emploi ».

Par ailleurs, « l’hébergement citoyen »  a représenté « un renfort indispensable », puisqu’il représentait à la fin de l’été dernier « 43 % des solutions d’hébergement ». 

La Cour constate toutefois que l’hébergement d’urgence financé par l’État a représenté un coût unitaire équivalent « au double de celui des dispositifs offerts aux demandeurs d’asile classiques ».

Dérogations

Les réfugiés ukrainiens ont également pu bénéficier d’un certain nombre d’aides dans des conditions « exceptionnellement favorables », notent les magistrats financiers, qui rappellent qu’il leur a par exemple été versé le montant additionnel de l’Ada (allocation pour demandeurs d’asile), dans des conditions dérogatoires, jusqu’au 1er octobre 2022. 

Fin décembre 2022, 45 000 ménages ukrainiens, soit 82 000 personnes, bénéficiaient de l’Ada. Par ailleurs, à la suite d’une circulaire ministérielle du 10 mars 2022, plusieurs droits sociaux ont été ouverts aux réfugiés d’Ukraine :  APL, allocations familiales, complément familial, AEEH, etc. Il s’agit là encore de mesures dérogatoires, note la Cour des comptes, puisque les APL par exemple « sont normalement réservées aux personnes étrangères qui possèdent un titre de séjour en cours de validité, ce qui n’est pas le cas des demandeurs d’asile ». 

Pour ce qui concerne la scolarisation, les magistrats constatent que « une grande partie des enfants ukrainiens ont pu être scolarisés »  (19 236 à ce jour). Il n’a toutefois pas été nécessaire d’ouvrir de nouvelles classes pour cela, ce mouvement s’étant fait en parallèle d’une diminution du nombre d’élèves français. 

Chiffrer et anticiper

La Cour des comptes pose la question de la prise en charge de ces réfugiés dans la durée, et des nouveaux arrivants : si le flot s’est largement tari en fin d’année 2022, les rumeurs d’une nouvelle offensive russe au printemps obligent à envisager de nouvelles arrivées massives dans les mois à venir. Concernant les personnes déjà présentes, il va falloir « adapter des dispositifs conçus comme temporaires à une inscription dans un temps plus long, alors même que leur public ne manifeste pas nécessairement davantage de projet d’installation pérenne ». Les magistrats estiment possible, à l’avenir, de faire participer les réfugiés aux frais d’hébergement, lorsqu’ils ont un emploi. 

La Cour estime également qu’une démarche de « desserrement géographique »  soit envisagée, de façon à corriger les importants déséquilibres entre les territoires qui accueillent de nombreux réfugiés et ceux qui n’en accueillent pas – non par mauvaise volonté mais parce que les réfugiés manifestent en général le désir de rester dans les métropoles. La Cour juge néanmoins qu’« un recours plus systématique aux transferts vers des régions et départements disposant d’une offre de logements de qualité hors des zones tendues devra être développé ».

Les magistrats estiment que le coût de la protection temporaire offerte aux Ukrainiens s’est élevé à quelque 634 millions d’euros en 2022, pour l’État et la Sécurité sociale (ce chiffre ne prend pas en compte les dépenses engagées par les collectivités territoriales). Ils notent avec étonnement que la loi de finances pour 2023 « ne prévoit aucun crédit pour financer les actions en faveur des publics ukrainiens accueillis ». « À ce défaut de sincérité budgétaire de la part de l’État s’ajoute une absence de visibilité quant au financement des dispositifs, porteuse de risques pour certains des intervenants, notamment les associations. » 

La Cour des comptes, au titre de ses recommandations, propose donc d’« assurer la visibilité du financement budgétaire en faveur des réfugiés ukrainiens pour l’année 2023 et de prévoir les crédits nécessaires », ce qui pourrait se faire via une loi de finances rectificative. Elle appelle également à « anticiper et clarifier les conditions de fin de prise en charge des bénéficiaires de la protection temporaire » : le Conseil européen n’a en effet ouvert ce droit à la protection temporaire que pour trois ans maximum, donc jusqu’au 4 mai 2025. « Il serait souhaitable, en dépit de toutes les incertitudes liées à la durée du conflit, qu’une réflexion soit engagée sur les conditions d’expiration de ce statut », conclut la Cour des comptes. 

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