Dépenses des collectivités : David Lisnard déplore « une manoeuvre agressive et dilatoire »
Par Propos recueillis par Franck Lemarc
Dépenses des collectivités, comptes publics, autonomie financière des collectivités, le maire de Cannes livre son éclairage sur la situation économique des collectivités et de l’État, sans oublier la crise politique qu’il juge particulièrement préoccupante.
Le gouvernement a lancé ces derniers jours une offensive contre les collectivités locales, qu’il accuse d’être responsables de la dégradation du déficit de l’État, estimant que « le dérapage de leurs dépenses » aurait creusé le déficit de « 16 milliards d’euros ». Comment réagissez-vous à ces accusations ?
Je pense que les ministres démissionnaires auraient dû s’abstenir de cette manœuvre agressive et dilatoire. Je parle de manœuvre, d’abord parce que les chiffres annoncés n’ont absolument pas été documentés, qu’ils se fondent sur des modes de calcul qui ne sont pas partagés et qui restent opaques. D’où sortent ces chiffres ?
Mais surtout, je parle de manœuvre parce que le problème le plus grave des comptes publics est ailleurs, il est dans les comptes de l’État – et qu’il s’agit pour eux d’essayer de faire oublier cette réalité. Évidemment, il y a des collectivités mal gérées, mais quand on regarde la réalité des chiffres, elle est implacable et accablante pour l’État, dont les dépenses courantes augmentent de façon inconsidérée et qui est en déficit de fonctionnement croissant.
Les collectivités, de leur côté, sont obligées de respecter la règle d'or, c'est à dire d'avoir des budgets à l'équilibre. Elles n'empruntent que pour de l'investissement, et ces emprunts, qui constituent la dette des collectivités, ont légèrement diminué depuis 30 ans à un peu plus de 8 % du PIB. Autrement dit, plus de 90 % de la dette publique totale est du ressort de l'État.
Alors, oui, il est temps que le gouvernement s'intéresse aux comptes publics de façon sérieuse. La dégradation des comptes publics en France depuis 2019 est nettement plus importante que dans le reste des pays européens, qui ont pourtant, eux aussi, connu le covid-19 et la guerre en Ukraine. Pendant cette période, la dette publique en France a augmenté de 15 points de PIB, pendant qu’elle augmentait de 4 points en Italie ou de 3 points en Allemagne. Ce chiffre devrait alimenter le débat politique. La dette de l’État, en France, a augmenté deux fois plus vite que la richesse produite. C’est insoutenable dans la durée.
Dans ce contexte de dégradation des finances publiques, les gouvernements successifs ont commencé par diminuer de façon brute les dotations aux collectivités, dans les années 2010. Aujourd’hui, les dotations sont stabilisées, mais le gouvernement veut réduire, parfois de façon coercitive, les dépenses des collectivités. Estimez-vous qu’il y a lieu aujourd’hui de demander aux collectivités de diminuer leurs dépenses ?
Les dépenses des collectivités territoriales représentent 19 % de la dépense publique. Je rappelle tout d’abord qu’en moyenne, dans la plupart des pays européens, décentralisés comme fédéraux, ce chiffre tourne autour de 35 %.
Évidemment, il faut toujours faire des efforts de gestion. Mais cela, c’est aux exécutifs locaux d'en décider, avec les habitants qui les désignent, selon le principe de libre administration. Cela s'appelle la démocratie. Le problème de la France est dans son excès de centralisation, pas dans le pouvoir locaux.
Là où il y a un vrai problème, à mon sens, c’est dans les dépenses de l’État. Celles-ci augmentent de façon constante, et pourtant, on a des services publics d'État qui sont de plus en plus défaillants, des fonctionnaires qui ne sont pas bien traités – du fait de l’hypercentralisation qui génère des effets de bureaucratie, de déperdition financière. J’estime que c’est à cela que devraient s’atteler les ministres, qu'ils soient démissionnaires ou pas.
Par ailleurs, je rappelle que depuis quinze ans, les gouvernements successifs ont prélevé 71 milliards d’euros dans les finances publiques communales. Pour quel résultat ? Les comptes de l’État ont continué de se dégrader. Plus l’État prélève sur les collectivités, moins il fait les efforts qu’il demande aux autres.
Par ailleurs, c’est tout de même un comble de nous reprocher d'avoir engagé des dépenses que l'État nous a imposées ! Un certain nombre de nos dépenses n’ont pas été choisies par les maires, mais par les gouvernements. C’est vrai pour ce qui concerne la masse salariale, avec l’augmentation du point d’indice. C’est vrai également pour la petite enfance, pour le périscolaire, et tant d’autres. Sans même parler des augmentations vers lesquelles l’État nous pousse, par exemple dans le domaine de la sécurité. Regardez : à chaque fois qu’il se commet des actes graves de délinquance dans une commune, le ministre de l’Intérieur enjoint le maire de mettre plus de caméras et plus de policiers municipaux. Or ce n’est pas une compétence décentralisée, on est au cœur du régalien !
Parallèlement à cette hausse contrainte des dépenses, les gouvernements successifs ont privé les collectivités de nombreuses recettes propres, en supprimant des impôts locaux. Comment, dans ces conditions, assurer l’autonomie financière des collectivités ?
Oui, c’est une dimension importante de l’équation. Nos dépenses sont de plus en plus contraintes, mais nos recettes aussi. Pourtant, ce n’est pas nous qui avons demandé à être dépendants de l’État en la matière : il y a eu un mouvement de recentralisation financière qui fait que désormais, l'argent local passe par l'État avant d'être redistribué localement, [par exemple sous la forme de part de TVA - ndlr]. Les dernières expressions de cette réalité sont la nationalisation de la taxe d’habitation et la réforme de la CVAE.
C’est un problème de fond. Pour ma part, c’est aux habitants de ma commune, aux contribuables qui m’incitent à la sobriété fiscale que je préfère rendre des comptes, plutôt qu’à des technocrates hors sol.
Dans ces conditions, l’autonomie financière sur laquelle vous m’interrogez est de plus en plus un leurre. La véritable autonomie financière, c’est lorsque vous avez une personne responsable, identifiée, qui rend des comptes. Il faut que les présidents des exécutifs locaux, et en particulier les maires, aient un levier fiscal qui permette de rendre des comptes aux contribuables. Ce sont alors les contribuables qui peuvent les inciter à la performance, à la sobriété. Aujourd’hui, au contraire, tout est dilué. Les collectivités territoriales perdent de la liberté et de la responsabilité fiscale… alors que les prélèvements obligatoires ne cessent d’augmenter.
De façon plus générale, alors que le pays en est à son 51e jour sans gouvernement, quel regard portez-vous, en tant que président de l’AMF, sur la situation politique ?
Elle devient extrêmement problématique, parce que chaque jour qui passe enlève une marge de manœuvre au futur gouvernement pour élaborer et faire voter le budget, dans un contexte budgétaire et financier explosif où il est indispensable de commencer à remettre en ordre les comptes publics.
Plus généralement, la situation dans laquelle se trouve le pays est une démonstration par l’absurde de ce que nous, l’AMF, disons depuis des années : le pays est bloqué par excès de centralisation. Cette dissolution infondée, absurde, démontre plus que jamais que nous avons raison d'appeler à la subsidiarité et à la décentralisation pour oxygéner le pays, pour le libérer de contraintes inutiles. Une des façons de résoudre la crise, à long terme, sera de libérer les collectivités territoriales de l’excès de centralisation. La liberté locale est une source de solutions pour la nation, pour l’État, qui pourrait alors se recentrer sur ses missions de justice sociale, de sécurité… Je reçois, sans cesse, des messages de maires de toutes typologies de communes et de toutes tendances, qui me disent : « Que l’État, enfin, nous donne un pouvoir réglementaire, et on va régler les problèmes, on va alléger, soulager l’État ! ».
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation grave. On ne s’en rend peut-être pas compte encore, parce que l’on sort de l’été et des JO – qui ont été une incontestable réussite, et bravo à l’État pour cela ! – mais maintenant, il faut un budget, il faut des directives, il faut des lignes directrices, pour pouvoir faire face au contexte géopolitique, aux défis de la compétition mondiale, aux défis écologiques, au combat des libertés qu’il faut mener. Comment gérer ces défis ? Il faut une ligne de conduite, faute de quoi, nous allons vers un échec collectif.
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