Second tour des législatives : un résultat en trompe-l'oeil ?
Par Franck Lemarc
Alors qu’il y a une semaine, les sondeurs donnaient une possible majorité absolue au Rassemblement national (RN) et que Jordan Bardella en était déjà à composer son gouvernement, c’est un tout autre résultat qui est sorti des urnes : au lendemain du second tour, c’est le bloc de gauche (Nouveau Front populaire ou NFP) qui obtient le plus grand nombre de sièges, avec 182 députés, auxquels il faut ajouter 13 candidats divers gauche hors NFP (selon les chiffres publiés ce matin par le journal Le Monde, les chiffres variant légèrement d'un média à l'autre, dans l'attente des résultats définitifs, d'une part, et de la constitution des groupes parlementaires, de l'autre)..
Le bloc présidentiel Ensemble (Renaissance, MoDem et Horizons) aurait autour de 168 sièges dans la nouvelle Assemblée. Juste derrière, le Rassemblement national et ses alliés ciottistes obtiennent 143 sièges. Enfin, les Républicains gardent 39 députés, auxquels il faut ajouter 25 députés divers droite et 2 UDI.
Le RN se renforce
Cette situation inattendue au regard des résultats du premier tour est la conséquence de la constitution d’un « front républicain » dans l’entre-deux-tours, avec le désistement systématique des candidats de gauche arrivés troisièmes dans leur circonscription et celui, moins systématique mais néanmoins massif, des candidats Ensemble dans la même situation.
Si cette configuration a permis de « faire barrage » au RN en termes de nombres de sièges, une analyse des résultats montre que, pour autant, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella n’est pas en perdition, loin s’en faut.
Il faut d’abord comparer les résultats d’hier à ceux du second tour des législatives de 2022. Le RN, on s’en souvient, avait alors fait élire 89 députés, ce qui était alors apparu comme un séisme politique, en recueillant quelque 3,6 millions de voix au second tour. Hier, le RN a recueilli, seul, 8,7 millions de voix, auxquelles il faut ajouter les 1,3 million de voix de ses alliés ciottistes, soit un total de 10 millions de voix. En deux ans, l’extrême droite a donc gagné 6,4 millions de voix.
Deuxième enseignement de ce scrutin : bien que donné perdant, puisque les résultats s’apprécient en nombre de sièges, le RN et son allié sont arrivés largement en tête de ce second tour en nombre de voix comme en pourcentage : leurs 10 millions de voix sont à comparer aux 7 millions recueillies par le NFP et aux 6,3 millions d’Ensemble. En pourcentage, la coalition d’extrême droite a fait 37 % des voix, contre 25,7 % pour le NFP et 23,4 % pour Ensemble.
On peut certes remarquer que l’extrême droite a fait un peu moins de voix qu’au premier tour (elle approchait alors les 11 millions), mais il ne faut pas oublier que 76 députés ont été élus au premier tour, soit autant de circonscriptions où le second tour n’a pas eu lieu. (C’est ce qui explique, d’ailleurs, que la participation a été presque exactement la même au premier et au second tour, autour de 66,7 %, avec 4 millions de votants en moins au second tour : à cause des circonscriptions qui n’ont pas pris part au vote du fait de l’élection d’un député au premier tour, le corps électoral de ce second tour était de 43,3 millions d’électeurs au lieu 49 millions au premier.)
Sur ce corps électoral légèrement restreint, le RN est passé de 29,26 % au premier tour à 32,05 % au second tour. Autrement dit, malgré les sondages qui, à partir du milieu de la semaine dernière, privaient le RN de tout espoir d’une majorité absolue, ses électeurs se sont tout de même massivement déplacés.
La dynamique du front républicain
Reste à comprendre comment le RN, avec nettement plus de voix que ses adversaires, a pu obtenir beaucoup moins de sièges qu’eux. La différence saute aux yeux : avec 8,7 millions de voix, le RN obtient 88 sièges, tandis qu’avec 7 millions de voix, le NFP en obtient 182 et Ensemble, avec 6,3 millions de voix, 163.
La réponse est à trouver dans la constitution du « front républicain » Ensemble/NFP, dont la dynamique a joué à plein. Les désistements ont été très nombreux (environ 200), alors que le RN s’est maintenu partout. Résultat, le RN avait beaucoup plus de candidats en lice que ses adversaires. Il est donc logique qu’il ait recueilli plus de voix à l’échelle nationale. Mais localement, il a perdu dans de nombreuses circonscriptions du fait de l’absence ou du candidat de gauche, ou du candidat Ensemble, et du bon report des voix des électeurs de ceux-ci sur le candidat restant. Ce qui, du reste, est un autre enseignement de ce second tour : on pouvait se demander si les électeurs de gauche allaient accepter de voter pour des candidats macronistes, ou si les électeurs macronistes allaient accepter de voter pour un candidat LFI. Les résultats montrent que la réponse est oui.
52 députés de plus pour la gauche
À gauche, le Nouveau Front populaire gagne une cinquantaine de députés par rapport à la Nupes (183 contre 131 en 2022). Les grands équilibres ne se sont pas modifiés dans la hiérarchie des partis : LFI reste le parti ayant le plus grand nombre de députés au sein du NFP, comme c’était déjà le cas dans la Nupes : elle obtient, selon les comptages, entre 71 et 76 députés sur 183. Néanmoins, la forte progression du Parti socialiste, qui obtient 24 ou 25 élus, rend la position de LFI nettement moins hégémonique. Cette progression du PS tient probablement au retour vers ce parti d’une partie de son électorat qui s’était, un temps, tourné vers le macronisme.
Les écologistes gagnent une dizaine de sièges par rapport à la précédente législature, passant de 23 à 33 ou 34 sièges. Le PCF, lui, est historiquement bas en nombre de sièges, avec 9 députés seulement.
Ensemble et LR se maintiennent
Le front républicain n’a pas profité qu’à la gauche : il a également permis à la coalition présidentielle, Ensemble, de sauver les meubles. Promis à un véritable effondrement au soir du premier tour, le groupe comptera finalement entre 163 et 168 sièges, et a recueilli 6,3 millions de voix. Ce résultat est toutefois à comparer aux 8 millions de voix obtenues au second tour de l’élection de 2022 (245 sièges).
Enfin, Les Républicains se maintiennent eux aussi, avec 1,4 million de voix contre 1,5 million au second tour de 2022. Ils obtiennent 39 sièges, auxquels s’ajouteront les 25 députés divers droite et 2 UDI.
Maire info reviendra, dans son édition de demain, sur le sort des grandes personnalités politiques dans ce scrutin, qui a, également, réservé quelques surprises.
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