Réduction des dépenses : les comptes des collectivités se dégradent, le gouvernement leur demande davantage d'« efforts »
Par A.W.
Avec un déficit à 5,5 % du PIB en 2023, contre 4,9 % initialement prévu, « l'objectif n’a pas été atteint ». Si le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a sobrement commenté les chiffres du déficit public, rendu publics hier par l’Insee dans le cadre de la présentation des comptes nationaux des administrations publiques, il en a rapidement « tiré les conséquences » en ciblant, dans la foulée, les dépenses sociales et les collectivités comme vecteurs principaux de ses pistes d’économies. Dans le but de redresser les comptes de l’État.
Pourtant, les données révélées par l’Insee ne laissent pas apparaître une santé financière éclatante des administrations publiques locales (Apul), qui regroupent pour l’essentiel les collectivités, mais aussi les organismes divers d’administration locale (Odal), tels que la Société des grands projets, Île-de-France Mobilités ou les CCAS, et représentent 20 % de la dépense publique.
Dégradation portée par les communes et les départements
Alors que l’État a vu son déficit une nouvelle fois progresser et que les administrations de sécurité sociale ont, elles, accru leur excédent, les Apul ont fini l’année 2023 avec un besoin de financement en hausse.
Ce dernier s’est ainsi creusé de 8,9 milliards d’euros (pour s’établir à près de 10 milliards d’euros, contre 155 milliards d’euros pour celui de l’État), conséquence de l’accélération des dépenses, d’un côté, et du ralentissement des recettes, de l’autre.
L’Insee pointe notamment le « net repli des droits de mutation à titre onéreux » (DMTO) affectés aux communes et aux départements « après plusieurs années de grand dynamisme » et le retournement du marché immobilier. Et ce, malgré « une nouvelle hausse de la taxe foncière ».
Résultat, « l’essentiel de la dégradation du solde est porté par les communes (- 2,6 milliards d’euros) et les départements (- 4,8 milliards d’euros) », le solde des organismes divers d’administrations locales (Odal) s’étant dégradé « plus modérément » (- 500 millions d’euros).
S’agissant de la dette, l’Insee signale que les administrations publiques locales ont vu la leur augmenter de 5,8 milliards d’euros, principalement du fait « des titres de long terme ». Une hausse qui serait due « à la fois aux collectivités locales (+ 2,4 milliards d’euros) et aux organismes divers d’administration locale (+ 3,1 milliards d’euros) ».
« On nous dit que les collectivités seraient tellement en bonne santé qu'elles devraient être visées par une nouvelle cure d'austérité. Ces chiffres nous prouvent que non », a ainsi commenté, hier à l’AFP, le président du Comité des finances locales (CFL), André Laignel.
Si l’Insee ne fournit, toutefois, pas de précisions supplémentaires sur les finances des collectivités elles-mêmes, on peut rappeler que, dans une note publiée la semaine passée, le rapporteur du budget à l’Assemblée Jean-René Cazeneuve (Renaissance) a constaté que l’épargne brute des collectivités avait plongé dans le rouge l'an passé (8,3 %).
Malgré cela, il estimait que les finances locales avaient connu une année 2023 « plutôt positive », assurant que les capacités d'autofinancement du bloc communal avaient atteint « des niveaux records » (+ 9,8 %), contrairement aux départements (- 22,1 %) et aux régions (-4,6 %), tout comme leur « trésorerie ». Mais l'AMF a critiqué la méthode du député du Gers qui comparait la situation actuelle avec celle de 2017 pour étayer son argumentation.
Reste que ce dernier reconnaissait que « l’exercice 2023 a mis en lumière l’existence des fragilités financières de certaines collectivités » et invitait « à la plus grande prudence » pour 2024 du fait « du contexte économique et des tensions internationales ».
Les dépenses des collectivités ciblées
Dans ce contexte de dérapage des comptes publics, Bruno Le Mairea immédiatement appelé à « une prise de conscience collective », hier sur RTL, estimant que « ça ne peut plus être open bar ».
À ses yeux, « il y a nécessité à faire des choix dans les dépenses publiques », dans « toutes les dépenses » que ce soit « celles de l’État, les dépenses sociales et des collectivités locales », mais sans « piocher dans les poches des Français ». « C’est ce que je propose, ce n’est pas un serrage de ceinture mais c’est faire des choix » et des « efforts supplémentaires », a-t-il assuré, confirmant les récents signaux émis par Emmanuel Macron.
« Il faut voir la magnitude, la raison de ce dérapage et voir derrière d'où il vient et donc qui y contribue », a ainsi déclaré le chef de l’État, la semaine dernière à l’occasion du Conseil européen, insistant sur le fait que « la dépense publique n'est pas faite que de la dépense d'État ». Un ciblage implicite des collectivités locales et des dépenses sociales, notamment celles de santé et de l’assurance-chômage.
Bruno Le Maire a, cependant, indiqué, hier lors d'un point presse, qu’« il ne s'agit pas de contraindre les finances publiques locales et les collectivités locales », mais de les inviter à mettre en œuvre « librement » des mesures d'économies dans le cadre d’une « concertation », et alors qu’une réduction de 10 milliards d’euros de crédits sur les dépenses de l’État a été annoncée pour 2024 et qu’une autre de 20 milliards d’euros est déjà prévue pour 2025.
« Aucune raison » d’être mis à contribution
Une proposition pas vraiment au goût de ces dernières. « La baisse cumulée de la dotation globale de fonctionnement, en euros constants, a représenté un effort de 70 milliards d'euros depuis 2014 », a ainsi réagi André Laignel.
« Nous avons déjà beaucoup participé à la solidarité financière, donc nous n'avons aucune raison d'être mis à contribution d'un dérapage budgétaire manifeste qui est de la seule responsabilité de l'Etat », a fustigé le premier vice-président délégué de l’AMF, avant de souligner que la dette des collectivités pèse « moins de 10 % de la dette publique ».
« Faire les poches des collectivités, c'est quand même une drôle de méthode de la part de Bruno Le Maire. Cela reviendrait presque à nous reprocher d'être en bonne santé », a déclaré de son côté Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, quand Régions de France a rappelé que « depuis 30 ans la dette des collectivités rapportée au PIB est stable » et que leurs finances sont « forcément équilibrées, sinon elles risquent la tutelle ».
À noter que les sénateurs sont également montés au créneau. « Depuis septembre dernier, nous savons que le gouvernement va dans le mur. Maintenant que l’on se crashe, on va se laisser le temps de rencontrer les collectivités pour avancer petit à petit ? Je n’y crois pas », a ainsi déploré Thierry Cozic (PS), vice-président de la commission des finances, en assurant que « l’autonomie financière des collectivités est déjà remise en question, elles n’ont plus de marge de manœuvre ».
« C’est impensable et inacceptable », a confirmé, pour sa part, la présidente de la commission des affaires économiques Dominique Estrosi Sassone (LR), estimant que l’« on ne peut pas faire des demandes d’économies à l’emporte-pièce, les collectivités sont déjà dans une situation difficile ».
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