Suppression de 10 milliards d'euros de crédits : les collectivités frappées à tous les étages
Par Franck Lemarc
Sitôt dit, sitôt fait. Le gouvernement n’a pas perdu de temps pour acter le plan de 10 milliards d’euros d’économies annoncé dimanche par Bruno Le Maire : un décret, publié ce matin au Journal officiel, donne le détail des coups de rabot, et sa lecture multiplie les très mauvaises surprises : de nombreux programmes budgétaires pourtant jugés hautement prioritaires par le gouvernement lui-même se voient privés de sommes se chiffrant en centaines de millions d’euros. Le budget de l’écologie, notamment, est amputé de plus de 2 milliards d’euros à lui seul.
Il faut noter au passage que le gouvernement, en décidant de supprimer 10 milliards d'euros de crédits, semble bien sortir des clous fixés par la LOLF (Loi d'orientation des finances publiques). Celle-ci prévoit en effet qu'un simple décret d'annulation de crédits « ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours » – au-delà de ce seuil, une loi de finances rectificatives est nécessaire. Or la somme totale des crédits ouverts en loi de finances pour 2024 est très précisément de 586 620 606 852 euros. Les 10 milliards ponctionnés par décret représentent 1,7 % de ce total, et non 1,5 %.
2 milliards en moins pour l’écologie
Bruno Le Maire l’avait promis dimanche soir : « Ce n’est pas la Sécurité sociale qu’on va toucher, ce n’est pas les collectivités qu’on va toucher. » À la lecture du décret « portant annulation de crédits » paru ce matin, on mesure qu’il y a loin de la parole aux actes. On s’en doutait depuis le début de la semaine (lire Maire info du 19 février), puisque le ministère de la Transition écologique avait déjà annoncé un coup de rabot de 500 millions d’euros sur le Fonds vert, levier essentiel du soutien à la politique de développement durable des communes et EPCI. Mais le Fonds vert est loin d’être le seul programme touché, et les choses sont bien pires que prévu.
C’est bien le ministère de Christophe Béchu qui paye le plus lourd tribut à ce plan d’austérité qui ne dit pas son nom. Ce sont 2,138 milliards d’euros qui sont supprimés d’un coup dans le budget de ce ministère, alors que l’exécutif ne cesse de répéter que le changement climatique est au cœur de toutes ses préoccupations. Outre le 500 millions d’euros retirés au Fonds vert, 56 millions d’euros sont amputés sur le programme « paysage, eau et biodiversité », 950 millions sur le programme « énergie, climat et après-mines ». Alors que les derniers mois ont été marqués par une accélération des catastrophes naturelles – sécheresses et inondations – même le programme « Prévention des risques » se voit privé de 60 millions d’euros.
L’éducation pas épargnée
L’enseignement est une autre victime directe de ce plan d’économies. L’école est sans doute « la mère de toutes les batailles », comme l’a dit le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de sa prise de fonction, mais c’est une bataille qui devra se passer de presque 700 millions d’euros. Tous les programmes budgétaires de l’Éducation nationale sont touchés : 138 millions de moins pour l’enseignement public du premier degré et 123 millions pour le second degré. À noter une très inquiétante baisse de plus de 260 millions d’euros du programme 230, dit « Vie de l’élève », qui comprend en particulier les crédits permettant de rémunérer les personnels d’assistance éducative et les AESH. Au moment où l’État s’est engagé à prendre en charge le paiement des AESH sur le temps de la pause méridienne (lire Maire info du 24 janvier), la nouvelle a de quoi semer le doute.
Quant à la recherche et l’enseignement supérieur, ils perdent plus de 900 millions d’euros. Alors que les associations et syndicats étudiants ne cessent d’alerter sur la dégradation des conditions matérielles d’existence des étudiants, notamment en matière de nourriture et de logement, le gouvernement a entériné une baisse de 125 millions d’euros du programme « vie étudiante », qui finance notamment les Crous.
300 millions de moins pour l’aide au logement
D’autres secteurs essentiels dans la gestion des collectivités locales sont touchés. L’un des points les plus saillants, alors que la « bombe à retardement » de la crise du logement a explosé, est la diminution des crédits dans ce domaine : l’aide au logement est amputée de 300 millions d’euros, et le programme « urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat », de 358 millions. Ce programme comprend notamment la lutte contre l’habitat indigne, l’amélioration du parc locatif ou encore le soutien à l’accession à la propriété.
La politique de la ville n’échappe pas au rabot, avec 49 millions d’euros en moins. Pas plus que les infrastructures et les services de transports, qui perdent 341 millions d’euros.
Quant à la sécurité, qui est pourtant là encore érigée en priorité maximale par le gouvernement, elle se voit également touchée – que ce soit le budget de la police nationale (moins 134 millions d’euros), de la gendarmerie (moins 20 millions) ou de la sécurité civile (moins 52 millions).
Le handicap et la dépendance subissent aussi une coupe claire, avec 230 millions d’euros d’annulation de crédits, tout comme le sport (moins 50 millions d’euros) ou la jeunesse et la vie associative (presque 130 millions d’euros de coupe). Même l’égalité entre les hommes et les femmes fait les frais de ce plan, avec 7 millions d’euros de diminution d’un budget déjà jugé dérisoire par beaucoup (77 millions d’euros dans le budget pour 2024).
20 % de baisse sur le Fonds vert, presque 40 % pour France Très haut débit
Ces chiffres sont naturellement insuffisants pour mesurer l’ampleur de ces coupes, puisqu’il faut surtout les comparer aux sommes qui étaient budgétées dans la loi de finances pour 2024. En se référant à « l’état B » de la loi de finances, qui liste les crédits affectés à chaque programme pour l’année à venir, on mesure que certaines diminutions ne sont que symboliques, au regard du budget engagé, alors que d’autres représentent une considérable diminution du budget.
Ainsi, il apparaît que la diminution de près de 140 millions d’euros du programme « enseignement scolaire du premier degré » ne représente qu’une baisse de 0,5 % sur les sommes votées en loi de finances. De même, la diminution de l’aide au logement, pour malheureuse qu’elle soit en pleine crise du logement, ne représente que 2,2 % des sommes initialement affectées.
Mais d’autres coupes sont bien plus significatives : la diminution des crédits alloués aux infrastructures et services de transport est de plus de 7 %, celle du programme égalité entre les femmes et les hommes, de 9 %. L’eau et la biodiversité perdent quasiment 10 %.
D’après les calculs de Maire info, les coupes les plus drastiques concernent la jeunesse et la vie associative (- 14,4 %), l’énergie et le climat (- 16 ,3 %), l’urbanisme et l’amélioration de l’habitat (- 18,7 %), le Fonds vert (- 20 %). Quant au plan France Très haut débit, c’est la plus grande victime de ce plan d’économies : avec 37 millions d’euros supprimés sur 97 millions, il perd 39 % de ses crédits.
Du côté de l'AMF, ce matin, on dénonce la « contradiction » entre ces suppressions de crédits et « les priorités d'action annoncées par le gouvernement ». « La politique du logement continue d’être affaiblie », tandis que les crédits affectés à la transition écologique « payent un lourd tribut ». « Mais c’est le quotidien des Français qui sera également lourdement impacté par ces réductions de crédits », notamment à travers la baisse de budget de France Très haut débit, de celui de la jeunesse et de la vie associative, ou du sport – sujet sur lequel l'AMF émet des doutes quant à « l'ambition de la Grande cause nationale annoncée au dernier Congrès des maires ».
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