Plan France ruralités : de nombreuses idées mais des financements encore modestes
Par Franck Lemarc
Lors d’un discours prononcé en pleins champs, hier à Saulgé, dans la Vienne – département dont elle a été préfète –, Élisabeth Borne a dévoilé le nouveau plan du gouvernement pour la ruralité, quatre ans après l’Agenda rural d’Édouard Philippe.
Ce nouveau plan s’appuiera sur « quatre piliers » : l’ingénierie, le patrimoine, la différenciation et l’attractivité. Il donnera, a promis la Première ministre, une grande place aux maires, indispensables « pour réussir ». Mais les moyens financiers semblent assez en-deçà des ambitions.
« Villages d’avenir »
Élisabeth Borne a insisté sur « les préoccupations » des habitants des campagnes, dont il faut bien constater que ce sont les mêmes que celles décrites, il y a quatre ans, par Édouard Philippe : « Je pense à l’accès aux soins, au distributeur bancaire, à la station-service, à la pharmacie la plus proche, parfois à 10 ou 30 kilomètres. Je pense bien sûr à la dépendance à la voiture, à l’enclavement… » La cheffe du gouvernement a dit « ne pas vouloir se résoudre au sentiment d’abandon, de relégation » ressenti par les habitants des communes rurales.
Le premier axe du plan France ruralités a été baptisé Villages d’avenir. C’est un programme d’ingénierie spécifiquement destiné aux communes rurales parce que, comme l’a martelé la Première ministre, trop de maires « se sentent empêchés de développer leur territoire, à défaut d’avoir l’ingénierie nécessaire ». Villages d’avenir consiste à installer dans les sous-préfectures des territoires ruraux « 100 chefs de projets de l’ANCT » (Agence nationale de la cohésion des territoires). Sans se substituer à l’ingénierie locale existante, ces chefs de projet doivent être vus comme « des assistants techniques locaux » destinés à aider les élus « à concevoir et porter leur projet ».
Pour bénéficier de cet appui, les élus devront faire labelliser leur commune « Village d’avenir ». Ce dispositif apparaît donc comme le complément, dans les territoires ruraux, des programmes Petites villes de demain ou Action cœur de ville. Mais aucune somme n’a été annoncée sur les moyens que le gouvernement compte mettre dans le dispositif.
Dotation biodiversité
La valorisation du patrimoine constitue le deuxième axe du plan. Il s’agit de valoriser les fameuses « aménités rurales », c’est-à-dire les avantages d’un territoire constitués par son paysage, son environnement, etc. Ces aménités rurales seront bientôt « définies et reconnues dans la loi », annonce le gouvernement, et elles seront « rémunérées » : l’actuelle dotation biodiversité va être réformée « pour la rendre plus incitative à l’entretien et à la valorisation des aménités rurales » ; et elle sera portée, à partir de l’an prochain, à 100 millions d’euros. Il faudra attendre plus de précisions sur cette réforme, notamment pour comprendre quelles communes pourront désormais toucher cette dotation : pour l’instant, elle est réservée à celles qui sont situées dans un parc national, un parc naturel régional ou dans les zones Natura 2000. Il semble acquis que ces critères vont être élargis puisque, selon le dossier de presse du gouvernement, la nouvelle dotation sera « destinée aux communes rurales faisant preuve d’un engagement résolu dans la démarche de valorisation de leurs ressources naturelles ».
Des enveloppes plutôt minces
Le troisième axe du plan (différenciation) est celui qui touche le plus de domaines concrets : il s’agit d’une série de mesures visant à répondre aux problématiques de santé, de mobilité, de « vie quotidienne des élus locaux », de logement, etc.
Exemple en matière de mobilités : une enveloppe de 90 millions d’euros sur trois ans, soit 30 millions par an, va être débloquée pour « accompagner les autorités organisatrices des mobilités rurales dans le déploiement d’une offre de mobilité durable ». À première vue, cette enveloppe paraît très faible.
En termes de « vie quotidienne des élus », là aussi l’ambition ne paraît pas démesurée : outre « la revalorisaiton des métiers de gardes-champêtres et de secrétaires de mairie », déjà engagée par ailleurs, il sera proposé aux maires de réaliser des « diagnostics de sûreté environnementale » et de « positionner les gendarmes comme le point d’entrée du maire pour tout acte de délinquance environnementale ». Il est, pour l’instant, difficile de savoir précisément ce que cela signifie.
En matière d’éducation, en revanche, une annonce qui ne ravira pas l’AMF : le dispositif des Territoires éducatifs ruraux (TER), qui n’existait pour l’instant qu’à titre d’expérimentation, va être « généralisé » sans avoir été évalué. Le président de l’AMF, dans un courrier du 2 mars, avait pourtant demandé au ministre de l’Education nationale des précisions sur les perspectives de développement des TER et d’articulation avec les conventions de ruralité, outil de dialogue dans les départements ruraux qui visait à donner de la visibilité aux maires sur les perspectives d’ouvertures et de fermetures de classes sur plusieurs années.
De plus, l’expérimentation de ces TER a été marquée par un manque d’engagement financier de l’État dans ce dispositif. Une fois généralisé, en sera-t-il autrement ? Le dossier de presse ne donne aucun élément chiffré.
Quelques montants sont en revanche donnés sur d’autres dispositifs, et ils n’apparaissent, là encore, pas vraiment exceptionnels : 15 millions d’euros pour « accompagner les communes » sur la revitalisation du territoire et de l’habitat ; 12 millions d’euros pour financer l’installation de commerces dans les communes qui en sont dépourvues (elles sont au nombre de 20 000) ; 2 millions d’euros pour développer « des lieux de convivialité innovants » …
En matière de santé enfin, la Première ministre a confirmé « le doublement du nombre de maisons de santé » d’ici 2027, avec l’objectif d’arriver au nombre de 4000, programme financé à hauteur de 45 millions d’euros sur trois ans. Une offre nouvelle va être proposée « en lien avec les collectivités territoriales », les « Médicobus », qui seront lancés d’ici à la « fin 2024 » pour « apporter une offre de soins de proximité dans les territoires les plus touchés par la raréfaction médicale ».
ZRR : encore un peu de patience
Reste, enfin, la question très attendue des ZRR (zones de revitalisation rurale). Ceux qui attendaient, hier, des annonces concrètes, sont restés sur leur faim : si la Première ministre a confirmé ce que l’on savait déjà, à savoir que le dispositif sera pérennisé, il semble que le gouvernement n’a pour l’instant pas tranché sur les modalités et en particulier sur le nouveau zonage. Les nouvelles règles seront annoncées « à l’automne », a indiqué Élisabeth Borne, après « concertation avec les élus, les parlementaires et les acteurs économiques ». La Première ministre a précisé que cette réforme des ZRR « imposera des mesures législatives », sans préciser si elles feront l’objet d’une loi à part ou si elles seront intégrées dans le projet de loi de finances pour 2024.
Ce report des annonces n’est pas une surprise, le cabinet de Dominique Faure ayant prévenu l’AMF que le gouvernement souhaitait prendre le temps de la concertation pour parvenir à une solution qui fasse consensus, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.
Il reste donc à savoir dans quelle mesure le gouvernement s’appuiera sur les propositions faites par la mission Poveda-Rochette lancée par l’AMF, qui a rendu ses conclusions en octobre dernier, ou encore sur la proposition de loi déposée au Sénat le 30 mai dernier, qui reprend en grande partie les propositions de l’AMF.
La Première ministre n’a pas confirmé (ni infirmé) les propos tenus par la ministre Dominique Faure, début mai, qui expliquait que la nouvelle géographie des ZRR se ferait « à la maille intercommunale », contrairement à ce que souhaite l’AMF qui plaide pour un retour à l’échelle communale. Réponses, donc, « après concertation », à l’automne.
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