Réforme de la PAC : Julien Denormandie cherche à rassurer les agriculteurs sur les « éco-régimes »
Par Franck Lemarc
En fin de matinée hier, les agriculteurs appelés à manifester par la FNSEA et les jeunes agriculteurs (JA) forçaient, à l’aide d’engins agricoles, le portail de la Dreal à Dijon. Toute la journée, des affrontements entre agriculteurs et forces de l’ordre ont eu lieu, avec à la clé plusieurs interpellations et quelques blessés. En fin de journée, le maire de Dijon, François Rebsamen, publiait un communiqué pour dénoncer les « débordements » et exprimer sa « solidarité avec les fonctionnaires agressés ».
Au cœur de cette manifestation : la PAC. « On veut une PAC forte », scandaient les manifestants. Mais ce qui inquiète le plus les agriculteurs mobilisés hier, c’est la mise en place, prévue par l’Union européenne, des « éco-régimes », c’est-à-dire la modulation de certaines aides en fonction de critères environnementaux.
Virage écologique de la PAC
La nouvelle mouture de la PAC va entrer en vigueur en 2023. Mais c’est aujourd’hui que se décident les grandes orientations : chaque État membre doit élaborer, d’ici l’été, un « plan stratégique national » (PSN) pour décliner les orientations qu’il a choisie, dans le cadre des règles adoptées en octobre dernier par l’Union européenne. Les 27 se sont alors accordés sur un virage plus écologique de la PAC : des objectifs chiffrés de préservation de la nature, du climat, de la biodiversité, qui devront être atteints par chaque État membre. Et, surtout, la mise en place des éco-régimes : une partie des aides de la PAC seront « conditionnalisées », c’est-à-dire qu’elles seront réservées aux agriculteurs qui respectent un certain nombre de critères environnementaux. Les plans stratégiques nationaux élaborés par les États – qui devront ensuite être approuvés par l’UE – doivent présenter la stratégie prévue par chaque État pour atteindre les objectifs environnementaux fixés.
Plan stratégique national
En France, le PSN a fait l’objet d’un débat public qui s’est achevé, le 5 février, par la remise d’un rapport. Le 3 avril, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a signé une décision – publiée au Journal officiel – prenant acte des conclusions du débat national et assurant que « l’État tiendra compte des enseignements de ce débat public ». « Le PSN intégrera, écrit le ministre, les enjeux économiques, environnementaux, sociaux et territoriaux mis en lumière par le débat public. » Il comportera, parmi ses « enjeux prioritaires », « un objectif d'accompagnement de la transition agro-écologique des exploitations, au travers d'une ambition environnementale renforcée en mobilisant, en cohérence, les différents leviers de l'architecture environnementale de la politique agricole commune, notamment la conditionnalité des aides, l'éco-régime. »
Reste à savoir à quelle échelle. Rappelons que pour la prochaine campagne de la PAC, ce sont 63 milliards d’euros qui seront attribués à la France, au titre du premier pilier (aides directes affectées en fonction de la surface agricole exploitée) ou du second pilier (développement rural et aides aux zones désavantagées, comme les zones de montagne). Sur l’ensemble de ces sommes, quelle sera la proportion qui sera soumise à « l’éco-conditionnalité » ? Le Parlement européen souhaite un taux de 30 %, tandis que le Conseil européen des ministres de l’Agriculture préfèrerait un taux de 20 %. Les négociations continuent sur ce sujet.
Conséquence : un certain nombre d’agriculteurs français, notamment les céréaliers qui pratiquent l’agriculture intensive, craignent de perdre gros dans la mise en place de ce nouveau régime. A contrario, les agriculteurs qui ont déjà misé sur des exploitations plus petites ou sur l’agriculture « bio », dont ceux représentés par la Confédération paysanne, espèrent que le taux sera le plus élevé possible.
Inquiétudes sur les éco-régimes et les zones intermédiaires
Quelle part des aides reçues la France va-t-elle consacrer aux éco-régimes ? Combien d’exploitation agricoles pourraient-elles en bénéficier ? Ces questions sont ouvertes et, de l’aveu même du ministre de l’Agriculture, elles ne sont absolument pas tranchées. Elles ont été posées, hier, à l’Assemblée nationale, à Julien Denormandie, par le député LR de l’Indre Nicolas Forissier. Selon lui, « 70 % des agriculteurs » ne pourraient pas bénéficier des éco-régimes. Le député s’est également inquiété des rumeurs concernant les aides aux élevages bovins allaitants, qui selon lui pourraient diminuer de moitié, ainsi que de la répartition des aides de la PAC dans ce que l’on appelle les « zones intermédiaires » - une bande d’une vingtaine de départements allant de la Moselle aux Charentes-Maritimes en passant par la Bourgogne et le Centre-Val-de-Loire. Ces inquiétudes sur les zones intermédiaires étaient d’ailleurs, logiquement, au centre de la manifestation d’hier, à Dijon, et la présidente de la région Bourgogne-Franche-Compté, Marie-Guite Dufay, s’est récemment exprimée pour demander que la PAC « consacre une enveloppe financière conséquente » à ces zones intermédiaires.
Le ministre se veut rassurant
Julien Denormandie a répondu en contestant les chiffres donnés par le député : « Vous avez dit que 70 % des agriculteurs n’auraient pas accès à l’éco-régime. Or (…) la première évaluation dit strictement l’inverse : au niveau national, 70 % des agriculteurs sont éligibles à ce dispositif. » Le ministre a affirmé « travailler à livre ouvert, en donnant accès à tous les scénarios et à toutes les options envisagées ». Et d’accuser : « Quand certains sélectionnent les mauvaises lignes et les additionnent toutes sans que cela corresponde à un seul des scénarios réellement envisagés, cela crée une tension – je le constate ; cette tension repose sur de fausses informations. »
Julien Denormandie a défendu le système des éco-régimes, qu’il considère comme « une victoire française » : « Nous avons obtenu que ce nouveau mécanisme d’agroécologie soit obligatoire pour tous les États membres et pas seulement pour la France, afin d’enfin lutter contre cette compétition déloyale qui faisait que les principales pratiques vertueuses étaient respectées dans notre pays sans l’être dans d’autres. »
Reste que les agriculteurs sont toujours dans l’expectative et que personne ne sait, aujourd’hui, ni le taux qui sera retenu ni le nombre réel d’exploitations qui seront impactées par le nouveau régime.
Sur les zones intermédiaires, le ministre a pris hier un « engagement » : celui de les « préserver », c’est-à-dire « de ne pas réitérer les transferts qui ont eu lieu lors des deux précédentes réformes de la politique agricole commune ». À suivre.
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