« Maltraitances » dans les crèches : l'Igas appelle chaque acteur à prendre ses responsabilités
Par Lucile Bonnin
C’est un rapport qui avait été commandé à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) par le ministre des Solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées après le décès d’un bébé au sein d’une crèche privée à but lucratif en juin 2022. Le but : « Faire la lumière sur les éventuelles fragilités du système », « disposer de propositions concrètes » et « assurer une amélioration substantielle de la qualité d’accueil venant nourrir le volet qualité de la réforme du service public de la petite enfance. »
Plus que des « fragilités », le rapport rendu public hier met en lumière des « maltraitances » et « négligences » qui sont notamment dues à des conditions de travail dégradées, une insuffisance de formation et à une culture insuffisante du signalement.
Le rapport présente les observations des inspecteurs qui ont visité 36 établissements, ont interrogé environ 5 000 directeurs, 12 000 salariés de crèches et 27 000 parents. La mission a également auditionné les acteurs nationaux du secteur (administrations, collectivités locales, fédérations, syndicats, gestionnaires, chercheurs et experts) et s’est rendue dans 8 départements au total.
Le rapport pointe essentiellement une « qualité d’accueil particulièrement hétérogène » , « le secteur présentant des établissements de grande qualité, portés par une réflexion pédagogique approfondie, comme des établissements de qualité très dégradée. »
Des témoignages inquiétants
La publication de ce rapport rappelle amèrement celle de l’enquête intitulée Les Fossoyeurs publiée l'an dernier par le journaliste Victor Castanet. Les auteurs font d’ailleurs très clairement le lien entre la maltraitance qui existe dans les Ehpad et celle qui existe dans ces établissements pour les jeunes enfants : « Les zones de risque et les faits remontés sont identiques à ceux que l’on constate dans tout accueil de personnes vulnérables et dépendantes : négligence du fait de contraintes de l’organisation qui priment les besoins de la personne accueillie, non-respect des rythmes individuels, dévalorisation, humiliation, forçage, violence verbale et physique... ».
Malheureusement, les exemples concrets ne manquent pas. La mission a en effet recueilli plus de 2 000 témoignages de situations de maltraitance. Il est utile de préciser que cela ne signifie « pas qu’un quart des établissements connaîtraient des faits de maltraitance » mais ces cas précis permettent d’identifier les « zones de risque et des types de maltraitance possibles dans le secteur. »
« Des enfants laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement » ; « enfermer un enfant dans la salle de change pour qu’il se calme » : l’absence de réponse aux pleurs est une pratique courante. Le rythme de l’enfant n’est également pas toujours respecté et les soins se font parfois rares voire absents : « bébés comme plus grands au lit à midi, que l’enfant ait dormi le matin ou non » ; « privation d’eau » ; « dans une micro-crèche privée la directrice évitait le plus possible de changer les couches des enfants pour économiser (c’était sa structure) ».
D’autres témoignages dépassent l’entendement : « Une pro traite un enfant de "connard" les yeux dans les yeux après l’avoir sèchement assis sur la table de change » ; « attacher des enfants dans une chaise pour punir » ; « forcer les enfants à manger jusqu’aux vomissements » … La violence physique est aussi parfois présente : « Mettre une claque à un enfant qui ne voulait pas faire pipi aux wc » ; « plaquer les enfants dans leur lit en leur criant dessus » ; « enfants soulevés par les cheveux à hauteur d’adulte » ; « fessée, obliger l’enfant de rester sur le pot sans vouloir (presque 1h !), douche froide pour calmer un enfant énervé » …
« Maltraitance institutionnelle »
Pour traiter au plus vite les maltraitances lorsqu’elles sont constatées, le rapport pointe la nécessité d’une plus grande lisibilité, à la fois pour les familles et pour les professionnels, du circuit d’alerte et de signalement des maltraitances. A ce sujet, les maires, attachés à l’expertise des services de PMI, rappellent la nécessité d’un renforcement des moyens qui leur sont alloués pour mettre en œuvre leurs missions d’évaluations et de contrôle des crèches.
Comme le souligne le rapport, « les maltraitances individuelles ne peuvent être détachées de la maltraitance institutionnelle » à l'égard des personnels, définie comme résultant « au moins en partie, de pratiques managériales, de l’organisation et/ou du mode de gestion d’une institution ou d’un organisme gestionnaire, voire de restrictions ou de dysfonctionnements au niveau des autorités de tutelles sur un territoire » » .
Il est ainsi rappelé que « des conditions de travail dégradées peuvent constituer un risque de premier plan du point de vue des dérives dans les pratiques professionnelles » . Les auteurs pointent aussi « un manque de recul et de réflexion sur les pratiques » du fait notamment de formations insuffisantes et « des difficultés de repérage et de traitement des actes maltraitants » avec une « banalisation de faits de violence qui finissent, à force d’être intégrés dans les équipes, par être perçus comme "ordinaires" ».
De ce côté non plus les exemples choquants ne manquent pas. Un anonyme dénonce notamment « le côté commercial beaucoup trop présent et l’équipe prisonnière des protocoles trop lourds à mettre en place au détriment de l’accueil et l’accompagnement des enfants » . D’autres verbatims montre la détresse de certains professionnels : « Nous ne répondions qu’aux besoins primaires et souvent nous finissions la journée en pleurs, en train de donner un biberon à un enfant par frustration de mal faire notre travail » ; « Des collègues qui pleurent dans les couloirs, à cause de la fatigue et du stress accumulé » …
Cette situation n'excuse en rien, naturellement, la maltraitance contre les enfants – et l'Igas insiste sur la nécessité de ne jamais mettre la poussière sous le tapis en la matière. Pour traiter au plus vite les maltraitances lorsqu’elles sont constatées, le rapport pointe la nécessité d’une plus grande lisibilité, à la fois pour les familles et pour les professionnels, du circuit d’alerte et de signalement des maltraitances. À ce sujet, les maires, attachés à l’expertise des services de PMI, rappellent la nécessité d’un renforcement des moyens qui leur sont alloués pour mettre en œuvre leurs missions d’évaluations et de contrôle des crèches.
« Agir rapidement »
Le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe a publié dans la foulée un communiqué pour « agir rapidement » face à ces constats et suivre « l’ensemble des recommandations » . Ces recommandations, qui sont au nombre de 39, visent à « accompagner la montée en qualité du secteur et renforcer sa capacité à répondre pleinement aux besoins des enfants » .
Parmi elles, beaucoup visent à augmenter les évaluations et les contrôles, d’autres à repenser les formations professionnelles et enfin à garantir une présence effective et sécurisante auprès des enfants.
Le ministère indique également dans son communiqué que « le comité de filière « Petite enfance » va accélérer ses travaux pour lutter contre la pénurie de professionnels » – problématique sur laquelle l’AMF alerte l’État depuis bien longtemps. C’est ce qu’a rappelé Clotilde Robin, première adjointe au maire de Roanne et co-présidente du groupe de travail Petite enfance à l’AMF, interrogée ce matin par Maire info.
« Les maires et présidents d’intercommunalités sont des acteurs de proximité et premiers gestionnaires des établissements, a t-elle indiqué. Les élus sont tous très attachés à la qualité et à la sécurité de l’accueil dans les EAJE mais aussi à la qualité de travail des agents. D’ailleurs beaucoup n’hésitent pas à geler des berceaux, au risque de ne pas satisfaire toutes les demandes. Mais la qualité de l’accueil est la priorité pour les maires, ce n’est pas un débat » . C’est notamment pour cela que l’AMF émet « beaucoup de réserves sur le récent arrêté qui permet à des personnes non qualifiées à travailler dans les établissements d'accueil du jeune enfant » (lire Maire info du 2 septembre)
La co-présidente a rappelé que l’AMF demande, notamment, que les filières de formation soient plus accessibles financièrement et géographiquement à proximité des zones en tension. L’AMF, qui a toujours insisté pour que la réponse à cette pénurie ne se traduise pas par une baisse des exigences de qualification, plaide aussi pour un véritable plan métier et la révision de la prestation de service unique (PSU) « qui pousse les gestionnaires à optimiser et pèse sur le travail des professionnels ».
Clotilde Robin reconnait qu’il y a « un vrai sujet sur les métiers du soin » et elle a à cœur de préciser que le secteur de la petite enfance compte une majorité de « professionnels très investis et engagés à accueillir les enfants dans les meilleurs conditions possibles ». La profession ayant « beaucoup évolué », il faut désormais accompagner cette évolution au mieux, et l’AMF rappelle que la résorption de la pénurie de professionnels est l’un des prérequis qu’elle a fixés avant toute mise en œuvre d’un service public de la petite enfance.
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