« Décret son » : une question de vie ou de mort pour les festivals et le spectacle musical vivant
Par Franck Lemarc
C’est un texte encore peu connu des élus : le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, dit « décret son », met pourtant en place une réglementation extraordinairement restrictive sur la diffusion du son, qui pourrait, si le décret était appliqué strictement, mettre en péril de très nombreux évènements et faire peser un grave danger juridique sur les élus. La commission culture de l’AMF abordera d’ailleurs ce sujet lors de sa prochaine réunion le mercredi 18 mai après-midi (1).
L’association AGI-SON, qui regroupe des organisations liées au spectacle vivant, milite pour que ce décret soit retravaillé, afin que, « après deux ans de mise à l’arrêt » due au covid-19, ce décret ne vienne pas « mettre un terme aux retrouvailles tant attendues entre les Français et le spectacle vivant musical ».
Qu’est-ce que le décret son ?
Le décret de 2017, entré en application au plus tard en octobre 2018, est issu de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, et notamment de son article 56 qui dispose que « les activités impliquant la diffusion de sons à un niveau sonore élevé, dans tout lieu public ou recevant du public, clos ou ouvert, sont exercées de façon à protéger l'audition du public et la santé des riverains ». Un objectif que partage pleinement l’association AGI-SON, dont la directrice, Angélique Duchemin, explique à Maire info que « la préoccupation d’améliorer les choses, du point de vue des risques pour la santé, tant pour le public que pour les riverains et les professionnels du spectacle » fait partie des raisons d’être d’AGI-SON.
Mais derrière les louables intentions de la loi, le décret paru en 2017 est tout simplement « inapplicable et totalement inadapté aux réalités du terrain ». Il impose, « dans tous les lieux ouverts au public ou recevant du public », une limitation du niveau sonore « à 102 décibels (dB) pondérés A et 118 dB pondérés C », qui plus est mesurée à tout endroit accessible au public – ce qui reviendrait à « installer des capteurs partout », relève AGI-SON. L’association demande la définition de nouvelles méthodes et la fixation de seuils plus élevés pour le niveau en dBC (124),
pour respecter les œuvres des artistes qui jouent sur les basses fréquences, afin que ces seuils soient « acceptables par les professionnels, mais restant dans un standard qui ne pose pas de problème de santé publique ».Valeurs d’émergence
Pire, le décret fixe des « valeurs limites d’émergence » extrêmement basses. Cette notion « d’émergence » recouvre la différence entre le bruit résiduel, c’est-à-dire habituel, d’un lieu, et le bruit mesuré pendant un événement particulier. Le décret interdit que cette différence soit supérieure à… 5 dB pondérés A le jour et 3 la nuit ! Cette disposition est qualifiée « d’incohérente et intenable »
par la directrice d’AGI-SON, qui relève qu’elle s’applique aussi bien aux concerts et festivals qu’à « tous les événements en plein air recourant au son amplifié, comme les meetings politiques et sportifs, les fêtes foraines, etc. ». Une application stricte de cette disposition « condamnerait, tout simplement, tous les événements de plein air ». L’association AGI-SON réclame donc la modification du décret : « Il est normal de protéger les riverains, ajoute Angélique Duchemin, mais avec des seuils qui soient tenables. »Études d’impact : le gouffre financier
Autre point de friction dans le décret : celui-ci impose à tous les « exploitants (…) ou responsables légal du lieu ouvert au public ou recevant du public, clos ou ouvert (…) ou les responsables d’un festival », de réaliser une EINS (étude d’impact des nuisances sonores) … qui devrait être « mise à jour en cas de modification des aménagements des locaux (…) ou de modification du système de diffusion sonore » ! « Pour les collectivités et les gestionnaires de salles, c’est totalement intenable financièrement », s’alarme Angélique Duchemin. Cas
typique : les salles de type Zénith, ou certaines salles des fêtes municipales, louées « nues » aux organisateurs de concert, pour lesquelles chaque événement voit l’installation d’un nouveau système de son. Si l’on s’en tient à la lettre du décret, le gestionnaire devrait, presque chaque jour ou chaque semaine, remettre à jour son EINS en fonction du système de diffusion.D’autres dispositions du décret, comme l’obligation de fournir des équipements de protection auditive à tout le public, sont « totalement floues » et demandent d’urgence « des précisions », ajoute la directrice d’AGI-SON.
Insécurité juridique pour les maires
Ce décret est resté relativement ignoré en 2018 et 2019. Puis est venue la crise épidémique, qui a mis le spectacle vivant à l’arrêt pendant presque deux ans. Mais maintenant que l’heure de la reprise est venue, les professionnels d’AGI-SON sont extrêmement inquiets sur les conséquences de cette nouvelle règlementation, qui pourrait permettre à n’importe quel riverain ou collectif de riverains de saisir le préfet pour faire arrêter un festival, saisir le matériel et même condamner les organisateurs ! La situation n’a rien de fantasmagorique : elle est en train de se produire dans le cadre de la préparation d’un festival qui doit se tenir en juin dans la région Paca.
Le texte met de surcroît les maires dans une situation de grande insécurité juridique, comme le craignait l’AMF lors de la concertation sur le projet de décret, qui demandait une meilleure prise en compte de la spécificité des activités musicales organisées par les communes et leurs groupements. Angélique Duchemin relate le cas d’une commune de Normandie qui organise, depuis des années, un festival de rue au printemps, et a demandé à un cabinet d’expert de lui réaliser la fameuse étude d’impact exigée par le décret. Outre que le cabinet a annoncé que la facture s’élèverait à « 40 000 euros », il a très honnêtement prévenu le maire qu’il ne pourrait conclure qu’à la non-conformité de l’événement eu égard à la nouvelle réglementation. Que doit alors faire le maire ? Annuler un événement très apprécié de la population et important pour l’économie et l’attractivité locale … ou prendre le risque de le maintenir en se sachant en non-conformité avec la norme, et qu’en cas de contentieux un juge administratif ne pourrait que conclure à la faute ?
AGI-SON demande donc, d’urgence, une remise à plat du dispositif. L’association prône, avant tout, « un travail essentiel de médiation et de concertation avec les riverains, avant l’événement », qui est pour elle la condition de réussite d’un événement et de l'acceptation de nuisances ponctuelles par les riverains.
Mais elle demande aussi que le décret soit à la fois révisé, pour en retirer les aspects les plus « inapplicables », et « précisé », partout où règne le flou. Et pour que, en passant, certaines assurances données oralement par les ministères concernés soient écrites noir sur blanc. À commencer par celle que la nouvelle règlementation ne concernerait pas les fêtes de village, fêtes votives, ni même la Fête de la musique. « Sauf que ce n’est écrit nulle part », s’inquiète Angélique Duchemin.
À l’approche de l’été et au moment où débute la saison des festivals, AGI-SON demande au prochain gouvernement de se pencher d’urgence sur la question : « Nouveau quinquennat, nouvelle opportunité ! ».
(1) Renseignements et inscriptions auprès de dasoces@amf.asso.fr.
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