Fin de parcours pour la proposition de loi sur le mariage des personnes en situation irrégulière
Par Franck Lemarc

« Vous n’avez pas bien géré votre journée parlementaire. » Bien que cruelle, cette pique du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, au président du groupe UDR Éric Ciotti, n’est pas imméritée. Alors qu’un compromis paraissait envisageable sur certaines mesures de la proposition de loi Demilly, examinée hier dans le cadre de la « niche » parlementaire du groupe ciottiste, le choix de la faire examiner en dernier a empêché que les débats puissent aller à leur terme.
Évolution du texte
Revenons un peu en arrière. Le sénateur centriste de la Somme Christian Demilly avait, à l’origine, déposé un texte censé répondre à la situation du maire d'Haumont, Stéphane Wilmotte, puis celle du maire de Béziers, Robert Ménard, convoqué par la justice pour avoir refusé de marier un couple dont l’époux était en OQTF. La proposition de loi initiale disposait que « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. »
Il s’est immédiatement posé la question de l’inconstitutionnalité de cette disposition, dans la mesure où la Constitution garantit la liberté du mariage et que la jurisprudence des Sages est constante sur ce point : la liberté de se marier « n’est pas conditionnée à la régularité du séjour ».
En séance publique au Sénat, le texte a été largement récrit. L’article sur l’interdiction du mariage aux personnes en situation irrégulière a été conservé, mais d’autres articles ont été ajoutés, dans l’objectif de « protéger les maires », en leur donnant un certain nombre d’outils supplémentaires pour tenter de repérer des mariages arrangés : le Code civil permet, en effet, de ne pas procéder à un mariage s’il y a suspicion de « non-consentement ».
Le texte adopté par le Sénat prévoit donc que les futurs époux « fournissent à l’officier d’état civil (…) tout élément lui permettant d’apprécier leur situation au regard du séjour ». Ce qui ne résout pas tous les problèmes, du fait que si ces pièces ne peuvent être fournies, cela ne signifie pas automatiquement que le mariage est « arrangé ». Le texte prévoyait également de faire passer à deux moins renouvelables le délai laissé au procureur pour se prononcer, à la demande du maire, sur le fait de procéder au mariage ou pas ; et d’appliquer en la matière la règle du « silence vaut désaccord ».
La logique des sénateurs était claire : diviser le texte en deux parties, en laissant la possibilité au Conseil constitutionnel de censurer la phrase sur l’interdiction du mariage pour les personnes sans papiers, mais de maintenir les autres dispositions nouvelles. Ce qui aurait permis d’apporter, au moins en partie, la « solution juridique » demandée notamment par l’AMF.
En commission des lois de l’Assemblée nationale, le texte a été adopté conforme, c’est-à-dire sans modifications.
Fin de débat tronquée
C’est donc hier, lors de la niche parlementaire du groupe ciottiste UDR, que le texte a été présenté en séance publique. Il fallait s’attendre, sur ce texte très clivant, à ce que la gauche joue au maximum ses cartes pour retarder les débats, en sachant que, lors d’une niche parlementaire, les débats doivent obligatoirement et sans rémission s’interrompre à minuit, et qu’un texte dont l’examen n’est pas achevé à cette heure est abandonné.
Dans ce contexte, il paraissait bien imprudent de la part du groupe UDR de ne présenter la proposition de loi Demilly qu’en troisième position, avec un examen qui a démarré en milieu d’après-midi – d’où la petite pique adressée par Gérald Darmanin.
Le ministre de la Justice, tout comme le président de la commission des lois, Florent Boudié (Renaissance), ont adopté au début des débats une position équilibrée, assez conforme à celle du Sénat. Ce dernier a expliqué que les dispositions initiales de la proposition de loi étaient « frontalement contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ». Cet article n’était « pas conforme au droit français », Florent Boudié a demandé qu’il soit supprimé et « que l’on s’en tienne » aux autres dispositions qui, elles, « feraient droit à la demande légitime et forte des maires ».
Gérald Darmanin a jugé ces propos « excellents ». Il a fait part lui aussi de ses « réserves » sur l’article risquant d’être inconstitutionnel, mais a estimé que les autres mesures étaient « intéressantes » et « méritaient d’être adoptées à l’unanimité par le Parlement ».
Mais la gauche ne l’a pas souhaité. Les débats ont trainé en longueur – près de 300 amendements avaient été déposés – et chaque orateur a pris tout son temps pour s’exprimer.
Éric Ciotti, furieux, a demandé au représentant du gouvernement d’intervenir pour faire cesser cette « obstruction », exigeant que le gouvernement fasse appliquer l’article 44-2 de la Constitution, qui lui permet de limiter le nombre d’amendements examinés. Chose rarissime – et quelque peu douteuse sur le terrain de la séparation des pouvoirs –, Éric Ciotti a même annoncé en séance avoir « appelé le Premier ministre » et attendre sa réponse. Éric Ciotti a fustigé un « sabotage parlementaire » dont se seraient rendus complice Les Républicains – quasiment tous absents – et le gouvernement puisque, à 23 heures, Gérald Darmanin a annoncé qu’il ne ferait pas jouer l’article 44-2.
Dès lors, les choses étaient jouées : le groupe UDR a constaté qu’il ne restait plus assez de temps pour espérer pouvoir aller au bout du débat, et a quitté l’hémicycle, conduisant le président à mettre fin à la séance.
Les scrutins ayant eu lieu sur quelques amendements avaient montré qu’une majorité se dessinait pourtant pour adopter la solution prônée par le président de la commission des lois – rejeter l’interdiction du mariage pour les sans-papiers, mais conserver les « outils » pour les maires. Finalement, c’est tout le texte qui restera dans les cartons.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

Déficit public : le gouvernement annonce un nouveau gel de crédits de 5 milliards d'eurosÂ
Financement du sport : des signaux inquiétants pour les collectivités
Ni drapeau israélien ni drapeau palestinien au fronton des mairies, tranche la justice
La réforme des titres-restaurants suscite la colère des restaurateurs
