Maire-info
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Édition du mardi 17 juin 2025
État civil

À l'Assemblée nationale, la commission des lois adopte la proposition de loi interdisant le mariage des étrangers en situation irrégulière

À l'issue d'un vif débat sur un sujet politiquement clivant, la commission des lois de l'Assemblée a adopté, hier, la proposition de loi du sénateur Stéphane Demilly visant à « lutter contre les mariages simulés ou arrangés ». Le texte sera débattu en séance publique le 26 juin.

Par Franck Lemarc

Cette proposition de loi a suivi un chemin législatif assez particulier. À l’origine, le texte déposé par le sénateur UDI de la Somme Stéphane Demilly était assez lapidaire, puisqu’il ne contenait qu’un seul article ; modifiant le Code civil : « Le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. » 

Évolution du texte

Dès son examen par la commission des lois du Sénat, ce texte a été rejeté. Les sénateurs ont en effet rappelé qu’il était, en l’état, inconstitutionnel, puisque le Conseil constitutionnel a maintes fois rappelé que le droit de se marier est une liberté fondamentale et que cette liberté de mariage « n’est pas conditionnée à la régularité du séjour ».

Le texte a donc été en grande partie récrit lors de son passage en séance publique au Sénat, afin d’en modifier partiellement la finalité. L’article sur l’interdiction du mariage aux personnes en situation irrégulière a certes été conservé, mais d’autres articles ont été ajoutés, dans l’objectif de « protéger les maires » . Le titre même du texte a été modifié : initialement intitulé « proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire », il est devenu « proposition de loi visant à renforcer les prérogatives des officiers de l’état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés ».

La logique est simple : si la Constitution ne permet pas d’interdire un mariage au seul motif de la situation irrégulière d’un des époux, le Code civil fixe tout de même un certain nombre de restrictions à la liberté de se marier, dont l’absence de « consentement » . Le texte tel qu’il a été voté par le Sénat vise donc à donner davantage d’outils aux maires pour repérer d’éventuels mariages arrangés. En particulier, il est prévu que les futurs époux « fournissent à l’officier d’état civil (…) tout élément lui permettant d’apprécier leur situation au regard du séjour » . Mais c’est à la fois là où le bât blesse : cette disposition permettrait peut-être au maire de repérer un éventuel problème sur la régularité de la situation de l’époux… mais cela ne suffit pas à qualifier pour autant, mécaniquement, le mariage « d’arrangé »  – puisque l’on peut être en situation irrégulière et parfaitement consentant au mariage. Tout au plus, le caractère irrégulier du séjour peut-il être regardé comme « un indice sérieux »  d’un mariage arrangé, a estimé le Conseil constitutionnel en 2003.

Autre modification proposée : allonger le délai dans lequel le procureur, s’il est saisi, doit se prononcer, et appliquer la règle du « silence vaut désaccord ». Rappelons les règles actuelles : si le maire saisit le procureur, celui-ci a 15 jours pour se prononcer, soit en faisant procéder au mariage, soit en s’y opposant, soit en décidant d’un sursis d’un mois au mariage, renouvelable une fois. La proposition de loi double le délai de sursis, le faisant passer à deux mois renouvelables, afin de laisser au procureur davantage de temps pour mener son enquête. Elle dispose également qu’une absence de réponse du procureur – ce qui est le cas le plus fréquent, selon les maires – vaut désaccord.

Deux parties clairement séparées

Le nouveau texte est donc clairement divisé en deux parties : l’une qui fixe de nouvelles règles pour les maires et les procureurs, l’autre qui interdit le mariage aux couples dont l’un des époux n’a pas de titre de séjour. Il semble probable que si le texte est adopté en l’état, le Conseil constitutionnel censure la deuxième partie mais valide la première, ce qui permettrait une « clarification juridique »  souhaitée par de très nombreux maires.

Sauf – ce qui n’est pas impossible non plus – si les Sages changent d’avis. C’est en tout cas ce que souhaite très clairement le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui a appelé au Sénat le Conseil constitutionnel de « réexaminer sa position »  sur la liberté du mariage pour les personnes en situation irrégulière, afin « d’adapter aux réalités du temps ».

L’AMF demande une « solution juridique » 

En attendant, le débat en commission des lois de l’Assemblée nationale a abouti à l’adoption de ce texte « conforme », c’est-à-dire sans modification par rapport à la version du Sénat.

Les débats ont été les mêmes qu’au Sénat, avec une gauche vent debout contre le texte, mais qui n’a pas réussi à convaincre les autres formations politiques. Les députés de gauche ont répété qu’ils saisiraient le Conseil constitutionnel et qu’ils avaient la certitude que la seconde partie du texte serait censurée. Mais ils ont également cherché à faire supprimer la première partie, qui concerne les maires et les procureurs. Un amendement écologiste, par exemple, s’oppose au fait d’obliger les personnes étrangères à « révéler leur situation administrative à l’officier d’état civil », jugeant que ce n’est pas aux maires d’être « arbitres de la légitimité matrimoniale » . D’autres amendements font valoir que ces dispositions feraient « courir des risques »  aux maires.

À l’inverse, les défenseurs du texte estiment que celui-ci est « protecteur »  pour les maires, puisqu’il leur éviterait de se mettre dans la situation où s’est trouvée le maire de Béziers, Robert Ménard, poursuivi par la justice pour avoir refusé de marier un couple dont un des époux était sous OQTF.

Notons au passage que le rapporteur du texte, le ciottiste Éric Michoux, a affirmé pendant les débats que l’AMF est « à fond derrière ce texte ».

Les choses sont un peu plus nuancées que cela. Du côté de la direction de l’AMF, on explique ce matin à Maire info que l’association, certes, « ne défend pas le fait que les maires soient obligés de marier des étrangers en situation de maintien illégal sur le territoire »  et constate que « la grande majorité des maires n’est pas d’accord avec l’injonction qui lui est faite de respecter le droit au bénéfice de personnes qui ne le respectent pas ». Néanmoins, l’association se dit également « consciente de la complexité juridique »  de la question, et souhaite qu’une « solution juridique soit apportée, sous l’autorité des parquets ».

Cette « solution juridique »  sera-t-elle apportée par ce texte ? Réponse d’abord le 26 juin, à l’issue du débat en séance publique à l’Assemblée nationale. Puis, sans doute courant juillet, lorsque le Conseil constitutionnel donnera son avis sur ce texte.

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