Énergie : Olivier Dussopt écarte un soutien de l'État aux collectivités, au nom de « l'autonomie financière »
Par Franck Lemarc
Les collectivités ont été, ces derniers mois, relativement protégées contre la hausse des prix de l’énergie – en tout cas sur l’électricité et le gaz – parce que nombre d’entre elles ont conclu des contrats à prix bloqué avec des opérateurs alternatifs. Mais, comme Maire info l’expliquait dans son édition du 18 janvier, elles sont peu à peu rattrapées par le problème : celles qui arrivent en période de renouvellement de leur marché d’énergie sont confrontées, d’une part, à des offres dont les tarifs ont explosé ; et, d’autre part, à une concurrence en raréfaction, puisque de nombreux opérateurs ne sont même plus en mesure de s’approvisionner sur le marché international, les prix y étant trop élevés.
Dépenses supplémentaires
Les collectivités sont également confrontées directement à une autre hausse, celle des prix du carburant, qui affecte directement des services tels que le transport collectif, la collecte des déchets, etc. Et qui touche aussi, ce qui n’est pas moins problématique, les agents, dont certains ont de plus en plus de difficultés pour faire le plein de leur véhicule afin de se rendre au travail. Récemment, la députée du Puy-de-Dôme Christine Pires Beaune expliquait, lors d’une audition, qu’un CIAS de son département s’était vu amené à verser une prime spécifique aux agents pour les aider à faire face à cette hausse des prix du carburant – ce qui constitue une dépense supplémentaire non prévue.
La même députée donnait, lors de cette audition, l’exemple de la région Bretagne, qui a annoncé récemment que la hausse du prix de l’énergie avait représenté, pour la seule gestion des lycées, une dépense supplémentaire de 5 millions d’euros l’an dernier.
Lors de la même audition, des députés ont aussi signalé le problème concomitant de la hausse des prix des matières premières, qui accroît de façon préoccupante le coût des chantiers et affaiblit les capacités d’investissement des collectivités.
Nouvelles recettes ?
L’AMF et la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédées et régies) alertent sur le problème depuis plusieurs mois. Elles vont interpeller, aujourd'hui, le Premier ministre sur le sujet, et une réunion a été calée, en début de semaine prochaine, avec la ministre Jacqueline Gourault. Auditionné ce matin par la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, le président de l’AMF, David Lisnard, a demandé que « le gouvernement protège les collectivités » face à l’augmentation du prix de l’énergie. « L’augmentation des coûts risque de remettre en cause la réalisation de projets locaux. Les mesures prises par l’Etat concernent les particuliers. Il faut des mesures adaptées aux collectivités », a souhaité le maire de Cannes.
Quelles solutions peuvent être envisagées ?
À court terme, la solution la plus rapide serait une mesure de soutien direct de l’État, sous la forme d’une compensation. Interrogé sur ce sujet avant-hier par la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, le ministre chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, s’est montré plus que réservé. « C’est une logique dans laquelle je ne souhaite pas entrer trop rapidement », a déclaré l’ancien maire d’Annonay, qui s’y est opposé non pour des raisons budgétaires mais plus institutionnelles : « J’entends beaucoup d’appels à l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Mais les mêmes qui demandent l’autonomie financière viennent demander une compensation par l’État » d’une hausse liée aux soubresauts « du marché international », autrement dit, une hausse dont l’État n’est pas responsable.
L’argument paraît difficilement recevable, parce qu’il faut rappeler que ce ne sont pas les collectivités qui ont décidé de la libéralisation du marché de l’énergie, dont elles payent aujourd’hui, parfois lourdement, le prix.
Autre argument avancé par le ministre : les dépenses supplémentaires pour les collectivités sont déjà compensées par une hausse des recettes. Explication : l’inflation est intégrée dans le calcul des bases locatives (dispositif de coefficient de revalorisation forfaitaire des valeurs locatives). Avec plus de 3 % d’inflation en 2021, le gouvernement a annoncé un coefficient de 3,4 % qui sera appliqué en 2022 pour la revalorisation des valeurs locatives. Avec donc, à la clé, une hausse des recettes fiscales pour les collectivités. Mais une hausse probablement sans commune mesure avec celle des prix de l’énergie.
« Financiarisation »
D’autres solutions sont envisageables. L’AMF et la FNCCR demandent au gouvernement une réflexion sur la possibilité, pour les collectivités locales, de pouvoir revenir sans conditions au tarif réglementé ; et, à plus long terme, que celles-ci puissent passer des contrats avec des producteurs locaux d’énergies renouvelables.
Sur le même sujet, le gouvernement a annoncé, le 13 janvier, un déplafonnement du volume d’électricité qu’EDF peut vendre à prix réduit à ses concurrents dans le cadre de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Il s’agit de permettre à des petits fournisseurs de bénéficier d’une électricité à prix réduit pour diminuer leur exposition aux prix du marché international. Les volumes accessibles seront déplafonnés à hauteur de 20 % supplémentaires.
C’est un coup dur pour EDF, qui devrait perdre, selon son PDG, 8 milliards d’euros dans l’affaire. Plusieurs sénateurs, hier, pendant la séance de questions au gouvernement, ont regretté cette décision, accusant le gouvernement de « faire les poches d’EDF » voire « sacrifier » l’entreprise. C’est le sénateur socialiste de la Sarthe Thierry Cozic qui a eu les mots les plus durs sur la nouvelle organisation du marché de l’énergie : « Le marché de l'énergie en France est devenu le royaume de la financiarisation. Sur 40 fournisseurs, plus de 35 sont des fournisseurs virtuels qui ne produisent pas un kilowatt mais spéculent à partir des approvisionnements garantis par EDF, tout en empochant la différence, et que l'on retrouve domiciliés dans des paradis fiscaux. Quand arrêterez-vous de subventionner une concurrence factice qui ne contribue qu'à l'enrichissement privé ? »
Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, a répondu, sans vraiment convaincre : « Personne ne s’en mettra plein les poches, nous y veillerons avec la Commission de régulation de l’énergie. »
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