Explosion du prix de l'énergie : les communes en première ligne
Par Franck Lemarc
L’inflation va « lourdement peser sur les perspectives financières de la seconde moitié des mandats entamés en 2020 et 2021. » C’est le constat peu réjouissant que dresse, en introduction de cette étude, le directeur adjoint de la Banque de financement et d’investissement, Serge Bayard.
« Incroyable complexité »
La première partie de l’étude est consacrée au rappel des règles qui ont gouverné à la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité dans les collectivités, ainsi que les compétences de ces dernières en la matière (gestionnaires des réseaux publics de distribution, mais aussi, désormais, possiblement productrices d’électricité).
Les auteurs de l’étude ne peuvent que déplorer « l’incroyable complexité du fonctionnement du marché de l’électricité depuis son ouverture à la concurrence », entre les collectivités encore autorisées à bénéficier des TRV (tarifs régulés de ventes) et celles qui ne le sont plus, composition quasiment incompréhensible du prix de l’électricité, taxes et contributions multiples, méthodes de tarification « par empilement », ce qui consiste à « additionner les coûts des différentes composantes de la filière » … Cette « complexité » fait que les pouvoirs publics « n’ont désormais que peu de moyens de régulation », ce qui explique pour partie l’actuelle flambée des prix.
Dépenses inégalement réparties
La deuxième partie de l’étude détaille les dépenses énergétiques des collectivités et aux éventuelles recettes qu’elles peuvent tirer en matière d’énergie.
La Banque postale évalue à 4,4 milliards d’euros les dépenses d’énergie dans les budgets 2021, tous niveaux de collectivités confondus, soit « 62 euros par habitant » (ce chiffre était de 53 euros par habitant en 2010, et l’on parle ici des chiffres de 2021, c’est-à-dire avant l’actuelle flambée des prix).
Ce sont les communes qui supportent l’essentiel de ces dépenses (69 %). C’est dix points de moins qu’en 2010, à la suite d’un certain nombre de transferts de compétences. Les régions assument aujourd’hui 3 % des dépenses énergétiques de l’ensemble des collectivités, les départements 8 %, les établissements publics (dont intercommunalités), 16 %.
Parmi les communes, ce sont les petites et moyennes villes (3 500 à 30 000 habitants) qui « supportent en moyenne le plus de dépenses d’énergie » : elles dépensent plus que les petites communes parce qu’elles supportent les charges de centralité, et plus que les grandes villes parce que celles-ci ont davantage la possibilité de transférer les équipements et services publics aux communautés urbaines et aux métropoles.
Les dépenses d’énergies varient également, bien entendu, en raison de critères géographiques : différences d’ensoleillement et de température conduisent à des différences de facture de lumière et de chauffage ; zones rurales qui conduisent à davantage de dépenses de carburant.
Parmi ces dépenses, c’est l’électricité qui se taille la part du lion (66 %), face au gaz (9 %) et aux fuels et carburants (24 %).
L’inflation sur les produits énergétiques (électricité, gaz et carburant) se fait donc très lourdement sentir dans les communes. La Banque postale remarque que la courbe des dépenses énergétiques des collectivités est presque parfaitement parallèle à celle de l’évolution des prix de l’énergie, ce qui signifie que les différents dispositifs d’écrêtement n’ont que peu d’effet. Quant à la crise actuelle, les collectivités la subissent de plein fouet, « le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement ne les concernant guère ».
Là où s’observent des différences entre les deux courbes (prix de l’énergie et dépenses énergétiques), c’est le fruit de démarches « volontaristes » des collectivités, qui ont procédé à des économies d’énergie contraintes du fait de la baisse de leurs ressources. Ce phénomène apparaît particulièrement entre 2014 et 2017, c’est-à-dire au moment de la baisse drastique des dotations décidée sous François Hollande. Ou encore, pour d’autres raisons, en 2020, où la crise épidémique a obligé les collectivités à fermer de nombreux services publics, occasionnant « une baisse de 7,2 % des dépenses d’énergie pour les collectivités ». « Mais derrière ces dépenses, c’est le bon fonctionnement des services publics qui est assuré. Du maintien de leur niveau dépend donc aussi la qualité de l’offre de service », observe avec bon sens la Banque postale.
L’étude fournit également des éléments intéressants sur la répartition de la dépense d’énergie des collectivités « par grandes fonctions ». Pour les différents postes de dépenses, ce sont différentes énergies qui sont utilisées, ce qui aura une influence sur de possibles démarches d’économies d’énergie. Par exemple, l’éclairage public ne requiert que de l’électricité, quand la part de celle-ci dans les services de voirie et de transports est beaucoup plus faible (respectivement 37 et 35 %, le carburant étant, dans ces domaines, la dépense majoritaire).
Recettes fiscales et production locale
Les auteurs de l’étude se penchent enfin sur les deux sources de recettes liées au secteur de l’énergie : la recette fiscale et la production locale d’énergie.
En matière fiscale, la Banque postale rappelle que cinq taxes sont assises sur une ressource énergétique (imposition sur les pylônes, Ifer, TICFE, TICPE et taxes sur les carburants, outre-mer). Ces taxes ont représenté en 2021 « 15 milliards d’euros de recettes », soit 9 % des recettes fiscales locales. En y ajoutant la part liée à l’énergie des autres recettes fiscales (TFPB, CFE, CVAE…), plus difficile à évaluer, la Banque postale évalue à un total de 17 milliards d’euros les recettes fiscales tirées par les collectivités du secteur de l’énergie.
Ces recettes sont très différenciées selon les strates de collectivités : si 95 % des recettes fiscales énergétiques des régions sont tirées de la TICPE, et à peu près autant de l’Ifer pour les établissements publics, pour les communes, les choses sont plus partagées : 20 % des recettes viennent de la taxe sur les pylônes, 60 % de la TICFE, le reste se partageant entre un peu d’Ifer et de taxe sur les carburants.
Reste la production locale d’énergie. Solaire, éolien, hydraulique, bioénergie, géothermie, de nombreuses possibilités existent, dans lesquelles les collectivités peuvent s’engager ou bien via des SEM, ou bien en participant au capital de société privées, ou bien en régie.
Il ne faut pas attendre de ces dispositifs des bénéfices mirobolants pour les collectivités : comme l’écrit la Banque postale, le retour sur investissement est davantage « écologique que financier ». En analysant les comptes 2020 de 61 régies d’électricité et de gaz, la Banque postale observe que seules 24 d’entre elles ont reversé des recettes à leur collectivité de rattachement, pour une dizaine de millions d’euros. Les collectivités peuvent également – notamment dans le cas des éoliennes – toucher des redevances d’occupation du domaine public, ou toucher des dividendes, dans le cas des entreprises publiques locales.
Mais la production locale d’énergie, conclut la Banque postale, a d’autres retombées positives, en matière d’emploi et de « valorisation des ressources locales ».
Accéder à l’étude de la Banque postale.
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