Prise illégale d'intérêt : cinq associations d'élus alertent le gouvernement sur l'insécurité juridique entourant les élus locaux
Par A.W.
Exceptions trop nombreuses, situations ubuesques, mise à mal du bon fonctionnement des assemblées délibérantes, perte de sens… Au lieu de les sécuriser, la révision récente du cadre régissant la prise illégale d’intérêt a engendré « une très forte inquiétude » chez les élus locaux.
Dans un courrier adressé à la Première ministre, Élisabeth Borne, et daté du 9 juin, les présidents de cinq associations d’élus (Régions de France, Départements de France, AMF, France urbaine et Intercommunalités de France) ont décidé d’alerter le gouvernement en lui demandant d’« envisager » d’ores et déjà une « évolution » du cadre juridique actuel.
Risque d’une « crise des vocations »
Le risque, in fine, c’est que cette situation « qui préoccupe fortement » les élus conduise, « à terme », à générer une « crise des vocations », assurent ainsi Carole Delga, François Sauvadet, David Lisnard, Johanna Rolland et Sébastien Martin.
En cause, les modifications des règles encadrant ce type de délit qui ont été introduites, à quelques semaines d’intervalles, dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et la loi 3DS (pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification), respectivement adoptées en décembre 2021 et en février 2022.
La première a ainsi précisé la définition de la notion d’intérêt au sein de l’article 432-12 du Code pénal (qui définit cette notion). Si jusque-là, l’intérêt était qualifié de « quelconque », la nouvelle loi caractérise désormais le délit de prise illégale d’intérêt par le fait, pour un élu, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou une opération » dont il a la charge. Un délit puni de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, « dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».
« Pas de nature à sécuriser les élus locaux »
Malgré cet ajustement de la définition, les présidents d’associations estiment que « le délit de prise illégale d’intérêt continuera à être constaté par le juge dans un large spectre de situations, ce qui n’est pas de nature à sécuriser les élus locaux qui agissent, à de rares exceptions près, en toute bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions ».
De son côté, la loi 3DS a « tenté », soulignent les associations d’élus, de limiter les situations de déport des élus locaux lorsqu’ils siègent au sein de leur assemblée en revenant sur les règles relatives aux conflits d’intérêts. « Cette obligation de déport ne concernera pas les délibérations relatives aux relations avec les groupements de collectivités, les caisses des écoles, les centres communaux d’action sociale. Elle ne s’appliquera pas non plus au vote du budget ou de dépenses obligatoires », précisait, en février, le précédent exécutif dans un dossier sur la loi 3DS.
Mais si ce texte a bien produit des « avancées », concèdent les cinq présidents, dans les faits, les exceptions sont « si nombreuses » que « les cas dans lesquels les élus n’auront plus à se déporter ne seront pas significativement réduits par rapport au droit antérieur ». Sans compter que la loi « n’accorde pas le régime de protection légale à de nombreux organismes partenaires des collectivités constitués sous forme associative ».
Faire évoluer le droit actuel
En outre, les associations d’élus ont fait part au gouvernement des « situations ubuesques » auxquelles sont confrontées les collectivités et leurs groupements.
Elles rappellent ainsi que « les élus se voient confier des délégations dans le cadre de leur mandat, notamment parce qu’ils disposent de compétences et d’expertise, qui leur confèrent une légitimité dans les domaines délégués » et, « de la même façon, ils sont désignés dans des organismes extérieurs dont l’activité est dans la continuité de ces délégations ».
Cependant, par « crainte d’une sanction pénale et/ou administrative », les élus se trouvent « contraints de se déporter dans de trop nombreuses situations » (alors que « l’exigence de sortie de salle en cas de déport accroît l’exposition des élus au risque pénal » ) et « ne peuvent s’exprimer sur les dossiers importants relevant de ces organismes au sein de la collectivité ou du groupement de collectivités », déplorent-elles. Des situations qui « mett[e]nt à mal le bon fonctionnement des assemblées délibérantes et génèr[e]nt par là même des difficultés pour réunir le quorum nécessaire pour l’adoption des délibérations », ainsi qu’une « perte de sens » chez les élus. D’où le risque d’une « crise des vocations ».
Pour ces raisons, Carole Delga, François Sauvadet, David Lisnard, Johanna Rolland et Sébastien Martin estiment qu’il n’est « pas satisfaisant d’attendre que le cadre juridique actuel ait produit ses pleins effets au plan de la jurisprudence pour envisager son évolution » et ont ainsi demandé « une audience » auprès de la cheffe du gouvernement – dont la démission ce matin, au lendemain des élections législatives, a été refusée par Emmanuel Macron - afin « d’examiner ensemble les modalités d’évolution du droit en vigueur pour que nos élus puissent exercer leurs fonctions dans les meilleures conditions ».
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