Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 20 octobre 2025
Élus locaux

Frais d'habillement des maires : la prudence est de mise

Avec la forte exposition médiatique de certaines pratiques liées aux frais de représentation des élus, ces dernières semaines, la question se pose encore et toujours de savoir ce qui peut et ne peut pas entrer dans cette enveloppe. Notamment sur la question des frais d'habillement. Le point avec le cabinet Seban, spécialisé dans le droit des collectivités. 

Par Franck Lemarc

Comme le rappelait Maire info le 3 octobre dernier, les règles fixées par la loi, en matière de frais de représentation, sont extrêmement peu précises : « Le conseil municipal peut voter, sur les ressources ordinaires, des indemnités au maire pour frais de représentation », dispose l’article L2123-19 du Code général des collectivités territoriales. Le Code ne donne aucune précision ni sur le montant de l’enveloppe, ni sur son usage. Ce n’est qu’au fil des réponses ministérielles que quelques précisions ont été données : ces frais de représentation ont pour objet de couvrir les dépenses « liées à l’exercice du mandat »  et « dans l’intérêt de la commune ». 

Pas de jurisprudence

Mais même avec ces précisions, on n’est guère plus avancé, selon Alexandra Aderno, chargée du secteur « vie des acteurs publics »  au sein du cabinet d’avocats Seban et associés. « D’abord parce qu’il n’y a pas, à ce jour, de jurisprudence précise sur laquelle s’appuyer », notamment sur la question de savoir si les frais d’habillement entrent, ou pas, dans ces frais de représentation. Ensuite parce que « pour beaucoup de maires, qui consacrent 150 % de leur temps à leur mandat, il est bien difficile de savoir où commence et où s’arrête ‘’l’exercice du mandat’’ ». 

Pour tenter d’y voir plus clair, le cabinet Seban a épluché les rapports des Cours régionales des comptes (CRC) qui se sont penchées sur les frais de représentation de certains maires – en sachant que ces avis des CRC n’ont « pas de valeur juridique contraignante ». La CRC de Paca, par exemple, a estimé qu’il pouvait être parfaitement admissible de se faire rembourser au titre des frais de représentation des vêtements achetés à l’occasion d’une « cérémonie particulière », comme une « tenue de gala par exemple ». Mais au-delà de ces cas évidents, « la question peut se poser »  pour des vêtements plus courants, « comme les costumes », estime Alexandra Aderno. Lorsqu’un maire, « dont ce n’est pas la tenue habituelle, achète un costume pour se rendre à des réunions ou à un déjeuner destiné à discuter d’un projet municipal », on peut considérer qu’il remplit bien la double condition d’une dépense « liée à l’exercice du mandat »  et « dans l’intérêt de la commune ». 

C’est donc à chaque fois « cas par cas »  qu’il convient d’examiner ces dépenses, en sachant que les CRC, qui ont eu à examiner « des enveloppes de frais de représentation de 10 000 à 15 000 euros dans plusieurs communes de la région parisienne, n’y ont la plupart du temps rien trouvé à redire », complète l’avocate. 

Notions trop « subjectives » 

Pour Alexandra Aderno, le problème est surtout que « le régime juridique est incompréhensible » : il est en particulier très compliqué, pour les maires, de savoir ce qui relève des frais de représentation et des autres formes de remboursement prévues par la loi – frais de transports liés à une réunion, frais liés à l’exercice d’un mandat spécial, etc. Pour mémoire, les frais engagés pour l’exécution d’un mandat spécial couvrent, selon le Conseil d’État, « toutes les missions accomplies avec l’autorisation du conseil municipal dans l’intérêt des affaires communales, à l’exclusion de celles qui lui incombent en vertu d’une obligation expresse ». Par exemple, des frais de déplacement et/ou d’hébergement concernant une manifestation de grande ampleur (congrès, festival…), un colloque, le lancement d’un chantier, une catastrophe naturelle… Comme l’indique la préfecture de Seine-et-Marne dans une note, « plusieurs conditions ont été posées par la réglementation et par la jurisprudence pour permettre cette prise en charge. Ainsi l’organe délibérant doit octroyer un mandat spécial à l’élu concerné, décrire avec précision la mission qui lui est confiée, justifier qu’elle revêt un intérêt public local et fixer les conditions et limites de remboursement ». 

Pour les frais de représentation, ces conditions n’existent pas, et nulle obligation n’est donnée de circonvenir précisément les dépenses qui entrent, ou pas, dans ce périmètre. Le législateur a, apparemment, « souhaité laisser une certaine souplesse aux maires », explique Alexandra Aderno. Mais le revers de la médaille est que les notions « d’intérêt communal »  et « d’exercice du mandat »  sont « subjectives », ajoute-t-elle. La souplesse laissée par la loi ouvre la porte non seulement à des erreurs de bonne foi, mais aussi à des « abus ». 

Référentiel 

D’où l’idée, de plus en plus fréquemment reprise aujourd’hui, d’un « référentiel »  qui listerait de façon claire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. L’Observatoire de l’éthique publique, en 2020, avait déjà proposé cette idée, en rappelant qu’un tel référentiel existe pour les frais de mandat des parlementaires. « Si l’on pouvait avoir une circulaire ou une instruction ministérielle, même si elle n’est pas exhaustive, qui expliquerait que telle dépense entre dans le champ des frais de représentation et que telle autre n’y entre pas, cela éviterait les erreurs commises, le plus souvent de bonne foi, par les élus », souligne Alexandra Aderno. 

En attendant, elle ne peut que conseiller aux maires d’être « prudents »  – d’une part, à cause de l’exposition médiatique des affaires actuelles, comme celles de la mairie de Paris, et, d’autre part, du fait de l’approche des élections municipales, dans un contexte où des notes de frais vestimentaires douteuses peuvent représenter un argument de poids pour l’opposition municipale.

Mais les élections de mars prochain sont aussi « une opportunité », pour l’avocate, « de remettre à plat ce qui n’a pas été complètement fait dans les règles de l’art et de repartir sur des bases saines ». 

D’autant plus que l’opinion publique est de moins en moins disposée à admettre, en particulier dans ces temps de rigueur budgétaire, des dépenses réalisées aux frais de la collectivité et qui ne seraient pas absolument nécessaires et justifiables. 

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