Maire-info
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Édition du lundi 27 octobre 2025
Élections

Vers un répertoire national des personnes inéligibles ?

Le Sénat va débattre, le 6 novembre prochain, d'une proposition de loi visant à instaurer un « fichier national des personnes inéligibles ». Objectif : empêcher que des élections doivent être annulées du fait de la présence de candidats inéligibles, quelle qu'en soit la raison. Explications. 

Par Franck Lemarc

30 juin 2024 : quelques semaines après que le président de la République a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale, le premier tour des élections législatives anticipées a lieu, après une campagne express lors de laquelle les partis ont dû, en quelques jours, trouver des centaines de candidats. Dans la 2e circonscription du Jura, la députée Marie-Christine Dalloz (LR), recueille 38,59 % des suffrages. En deuxième position, le candidat du RN, Thierry Mosca, obtient 32,76 % des voix. Arrivée troisième, la candidate du Nouveau Front populaire Évelyne Ternant se désiste au profit de Marie-Christine Dalloz, au nom du « front républicain ». La députée sera finalement élue au second tour. 

Problème : le candidat du RN, Thierry Mosca, n’avait absolument pas le droit de se présenter à ce scrutin, ayant été placé sous curatelle renforcée par le juge des tutelles le 23 novembre 2023, pour une durée de deux ans. Or le Code électoral est parfaitement clair : les majeurs sous tutelle ou curatelle sont inéligibles, et ne peuvent se présenter à aucune élection. 

Quelques mois plus tard, en février 2025, la candidate du NFP obtient du Conseil constitutionnel l’annulation de cette élection, au motif que « la présence irrégulière de M. Mosca au premier tour de scrutin a, compte tenu du nombre de suffrages qu’il a recueillis, affecté de manière déterminante la répartition des suffrages exprimés par les électeurs », et que « cette irrégularité doit être regardée comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin ».

Recommandation de la Cour des comptes

C’est pour éviter ce type de situation ubuesque que la sénatrice RDSE Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues ont déposé, en septembre, une proposition de loi visant à « créer un fichier national des personnes inéligibles » . En effet, indépendamment même de la question de savoir si le RN a présenté un candidat inéligible en connaissance de cause, c’est bien au niveau de l’enregistrement de la candidature en préfecture qu’une erreur a été commise – les services de la préfecture n’étant pas au courant de l’inéligibilité du candidat. 

La Cour des comptes, qui a rendu il y a un an un rapport sur l’organisation des élections, a constaté le problème : le contrôle de l’inéligibilité par les préfectures est, actuellement, sinon impossible du moins très difficile, notamment lors des scrutins qui mobilisent un très grand nombre de candidats (élections municipales) ou qui se déroulent dans des délais très contraints (cas d’une dissolution). La Cour des comptes constatait que « le casier judiciaire national n’est pas équipé pour assurer une transmission automatisée »  des bulletins n° 2 du casier judiciaire, où figurent les peines d’inéligibilité, aux préfectures. 

La Cour des comptes a donc recommandé, dans ce rapport, que soit créé un « répertoire national des personnes inéligibles », accessibles aux services préfectoraux.

Un fichier limité au strict nécessaire

Cette recommandation prend forme avec la proposition de loi sénatoriale : il est proposé de créer un fichier national recensant les personnes inéligibles aux élections locales, législatives, européennes et présidentielle. Il ne s’agit pas, explique la sénatrice, de répertorier les inéligibilités dites « fonctionnelles »  (par exemple celle d’un agent communal qui ne peut être candidat au conseil municipal de la commune qui l’emploie), mais seulement les trois cas suivants : les personnes condamnées à la perte de leur droit d’éligibilité par un tribunal pénal ou administratif ; celles dont l’inéligibilité a été décidée par le Conseil constitutionnel ; et enfin les personnes inéligibles du fait d’une tutelle ou d’une curatelle (majeurs protégés).

Ce fichier ne serait accessible qu’aux services préfectoraux chargés d’enregistrer les déclarations de candidature, et, si besoin, aux tribunaux et au Conseil Constitutionnel. Le fichier ne contiendrait que les données nécessaires : état civil, motif et durée de l’inéligibilité et mandats électifs concernés. 

L’Intérieur plutôt favorable

Côté gouvernement, on se montre tout à fait ouvert à cette proposition : le ministère de l’Intérieur avait, dès le rapport de la Cour des comptes, indiqué qu’il était favorable à cette recommandation et avait déjà entamé « des échanges exploratoires »  avec le ministère de la Justice pour étudier la faisabilité de ce répertoire. Côté ministère de la Justice, on s’est montré un peu plus circonspect, indiquant qu’une « étude plus approfondie »  était nécessaire avant de se prononcer. 

Il n'est donc pas exclu que la proposition de la sénatrice Briante Guillemont trouve un écho favorable du gouvernement, lors des débats qui auront lieu le 6 novembre au Sénat. Pendant les débats, la faisabilité d’un tel fichier devra être interrogée – d’abord en regard de son coût, qui ne sera pas neutre. Ensuite, parce que dans le cas des élections municipales notamment – celles qui brassent le plus grand nombre de candidats –, il n’est pas certain que les services préfectoraux aient le temps matériel de consulter le fichier pour chacun des quelque 950 000 candidats qui se présentent en général. Sauf à imaginer une procédure automatisée, ce qui pourrait poser d’autres problèmes. 

Quoi qu’il en soit, alors qu’en 2024 le ministère de l’Intérieur disait à la Cour des comptes espérer que ce système puisse entrer en vigueur avant les élections municipales de 2026, il paraît aujourd’hui peu imaginable que ce soit le cas : il faudra certainement, même si la proposition de loi va au bout de son parcours parlementaire, plusieurs mois, voire plusieurs années, pour en assurer la faisabilité.

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