Pas de majorité à l'Assemblée nationale, le risque d'un pays ingouvernable
Par Franck Lemarc
Il y a deux ans, au lendemain des élections législatives de 2022, la France renouait avec une situation depuis longtemps inconnue : l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Mais à l'époque, le courant le plus fort au Palais-Bourbon – la coalition macronistes/MoDem/Horizons – disposait de 245 sièges, soit seulement 44 de moins que la majorité absolue (289). On a vu, durant ces deux années, à quel point il a été difficile de gouverner avec une majorité si restreinte.
Ce rappel permet de mesurer l'ampleur des difficultés qui attendent le futur gouvernement : bien loin des 245 sièges obtenus par la « macronie » en 2022, le courant bénéficiant du plus de sièges aujourd'hui est le Nouveau Front populaire (NFP) avec 182 sièges seulement. Même en y ajoutant les 13 députés de gauche élus en dehors du NFP, on reste à 94 sièges en dessous de la majorité absolue.
La coalition macroniste obtient, rappelons-le, entre 163 et 168 sièges, le RN 143 et les LR et divers droite 66.
Impossible gouvernement de coalition ?
Première conclusion, évidente : aucun de ces groupes ne pourra gouverner seul. La dissolution de l'Assemblée nationale, qui devait, selon Emmanuel Macron, aboutir à une « clarification » , n'a donné lieu au final qu'à une situation plus instable encore que la précédente. Mais pendant au moins douze mois - puisque la Constitution interdit toute nouvelle dissolution pendant un an - il va falloir trouver le moyen de gouverner le pays, ce qui ne pourra se faire qu'à travers des coalitions dont on peine, ce matin, à dessiner les contours.
Seule certitude : le Premier ministre, Gabriel Attal, va déposer dans la journée sa démission sur le bureau du chef de l'État. Les certitudes s'arrêtent là, car rien ne dit que le président de la République l'acceptera, dans un premier temps du moins. Gabriel Attal s'est d'ailleurs dit, hier, « disponible » pour continuer à conduire le gouvernement pour faire face aux échéances immédiates, au premier rang desquelles l'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques, dans moins de 20 jours maintenant.
Rappelons que le président de la République n'a absolument aucune obligation constitutionnelle concernant le choix de son Premier ministre. Le fait de choisir un nom parmi le groupe le plus puissant à l'Assemblée nationale est une tradition républicaine et non une obligation fixée dans la Constitution. Si Emmanuel Macron respecte celle-ci, il devrait donc choisir le Premier ministre qui lui sera proposé par le groupe Nouveau Front populaire. Qui sera-t-il ? Impossible de le prévoir, à l'heure où nous écrivons. La bataille fait rage au sein de la coalition de gauche sur la désignation de ce Premier ministre. La France insoumise, parti qui a le plus grand nombre de députés dans la coalition, estime que le Premier ministre devra sortir de ses rangs. Les trois autres partis (PS, Les écologistes et PCF) jugent au contraire que le futur locataire de Matignon doit être désigné par un vote de l'ensemble des députés NFP, ce qui aboutirait probablement à faire sortir un nom qui ne serait pas issu de LFI.
À supposer que le chef de l'État accepte de nommer un Premier ministre NFP, quel choix fera celui-ci pour composer son gouvernement ? Deux possibilités, là encore. Ou bien, comme l'a déclaré Jean-Luc Mélenchon, il s'agira de faire appliquer « le programme du NFP, tout le programme et rien que le programme », ce qui veut dire que le gouvernement ne serait composé que de ministres de gauche. Ou bien, comme d'autres voix à gauche le proposent, le Premier ministre ouvre son gouvernement à d'autres courants. Arithmétiquement, la solution la plus solide semble une coalition entre le NFP et Ensemble (marcronistes) : à eux deux, ces deux blocs ont la majorité absolue. Mais l'arithmétique et la politique ne font pas toujours bon ménage : mettre en place une telle coalition supposerait, pour la gauche, de renoncer aux points clés de son programme, comme l'abrogation de la réforme des retraites, le blocage des prix ou la hausse du smic à 1 600 euros net, autant de mesures auxquelles les macronistes sont totalement opposés.
On sait que La France insoumise est farouchement contre cette possibilité d'un gouvernement de coalition. Mais le Parti socialiste, de son côté, n'y semble pas non plus très favorable : le Premier secrétaire de ce parti, Olivier Faure, a déclaré hier que son parti ne se prêtera à « aucune coalition des contraires ».
Il ne resterait donc, dans ce contexte, que la possibilité d'un Premier ministre et d'un gouvernement de gauche qui, à la première occasion, risquerait de se retrouver mis en minorité, voire renversé à l'Assemblée nationale, dont il ne représenterait qu'un tiers des sièges. Si, sur certains projets, des majorités improbables pourraient se dessiner - comme sur l'abrogation de la réforme des retraites, dont l'Insoumis Éric Coquerel a déclaré ce matin qu'elle pourrait être votée avec les voix du RN -, sur bien d'autres, la gauche trouvera en face d'elle, à l'inverse, une coalition des macronistes, de la droite et du RN.
L'option d'un « gouvernement technique »
Une autre option possible serait celle d'un « gouvernement technique ». Si ce modèle n'a jamais véritablement été testé en France, il l'a été dans d'autres pays, comme l'Italie avec le gouvernement dirigé par l'économiste Mario Draghi en 2021.
Un gouvernement « technique » est composé non d'élus et de responsables politiques, mais d'experts (économistes, hauts fonctionnaires...), avec pour objectif de permettre aux institutions de continuer à fonctionner et de proposer un nombre minimal de lois, dont au moins le budget. La nomination d'un tel gouvernement suppose toutefois l'accord de l'Assemblée nationale, faute de quoi celui-ci serait également renversé à la première motion de censure.
Ces différentes options seront peut-être toutes tentées au fil des semaines et des mois à venir. La seule chose certaine, à cette heure, est que la période qui s'ouvre sera marquée par une instabilité politique profonde et, peut-être, une impossibilité réelle de gouverner autrement qu'en gérant les affaires dites « courantes ». Quant à la démission du chef de l'État - réclamée par un certain nombre de ténors - elle ne réglerait strictement rien : quel que soit le nom de celui qui sortirait vainqueur d'une éventuelle élection présidentielle anticipée, il n'aurait pas le droit de dissoudre l'Assemblée nationale élue hier avant un an.
Les grandes manœuvres vont donc commencer, avec une première date butoir : la nouvelle Assemblée nationale se réunira pour la première fois dans dix jours, le jeudi 18 juillet prochain. Ce sera déjà un premier test. Comment vont se dérouler les élections aux postes clés de cette assemblée sans majorité ? Quel courant en fournira le président ? Comment décider du président de la commission des finances, qui revient de droit au principal groupe d'opposition... sans que l'on sache qui est l'opposition ? Ces premières nominations, dans dix jours, donneront probablement le ton des mois à venir.
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