Organisation des élections : les propositions d'évolution de la Cour des comptesÂ
Par Franck Lemarc
Le dispositif d’organisation matériel des élections en France est « robuste », juge la Cour des comptes, mais pourrait être amélioré. Les magistrats financiers dressent un état des lieux précis de ce sujet, cinq ans après la mise en place du répertoire électoral unique (REU), dont ils saluent les effets bénéfiques à plusieurs titres.
Dans un rapport d’une centaine de pages, la Cour des comptes cherche à donner des pistes pour améliorer l’organisation des scrutins en France, dans un contexte marqué par la hausse de l’abstention voire, dans certains pays, la contestation systématique des résultats électoraux. Les questions budgétaires et environnementales font également leur entrée dans le débat : en période d’austérité budgétaire, il n’est pas inutile de s’interroger sur de possibles gisements d’économies en la matière ; et certaines pratiques – comme l’envoi à domicile de la propagande électorale et des bulletins de vote – ont un impact sur l’environnement qu’il convient d’interroger.
Le répertoire électoral unique
En premier lieu, la Cour des comptes salue la réussite de la profonde réforme qui a mené à l’instauration du répertoire électoral unique (REU), qui a constitué « un réel progrès » : accroissement de la fiabilité des listes, possibilité de s’inscrire plus tard sur les listes électorales, création de plusieurs services en ligne très utiles, comme l’inscription en ligne.
Si la Cour juge « difficilement réalisable en l’état » un dispositif d’inscription automatique de toute la population, elle estime que le système pourrait encore utilement évoluer, par exemple en simplifiant la procédure au moment où un électeur change de commune, en lui permettant de ne pas avoir à fournir de nouveau des pièces déjà fournies lors d’une précédente inscription. La Cour recommande aussi de « suspendre les radiations pour perte d’attache communale dans la période entre la date limite d’inscription en vue d’une élection nationale et la tenue de cette élection, afin d’éviter qu’un électeur se retrouve privé de toute inscription sur une liste électorale à l’approche d’une telle élection ».
Les magistrats de la rue Cambon espèrent également que la dématérialisation intégrale de la procédure de demande de procuration va continuer de se développer, après avoir donné des résultats « prometteurs » pour les deux scrutins de 2024 (plus de 100 000 procurations réalisées de façon entièrement dématérialisée cette année). Rappelons que cette procédure n’est ouverte qu’aux détenteurs d’une carte d’identité format « carte de crédit », dont l’obtention pourrait être facilitée dès l’an prochain (lire Maire info du 31 octobre).
Par ailleurs, les rapporteurs proposent de réduire fortement l’envoi des cartes électorales, dont l’utilité est jugée « limitée » : ils préconisent de ne les envoyer « qu’aux électeurs nouvellement inscrits et à ceux qui changent de bureau de vote ».
Propagande électorale
L’envoi de la propagande électorale à domicile est également jugé assez sévèrement par la Cour des comptes : « Le coût et les efforts » nécessités par cet envoi systématique ne paraissent « plus justifiés » à l’heure d’internet, d’autant plus que ce dispositif a un impact environnemental très important. La Cour ne préconise toutefois pas de renoncer à tout envoi, eu égard « aux difficultés d’accès aux outils numériques d’une partie de la population ». Elle propose donc une « dématérialisation partielle », consistant à permettre aux électeurs qui le souhaitent de demander à ne pas recevoir la propagande au format papier. Cette réforme devrait s’accompagner d’une vaste campagne de communication pour promouvoir le site – fort peu connu – du ministère de l’Intérieur permettant d’accéder à toutes les professions de foi des candidats.
Sur les bulletins de vote, en revanche, les magistrats financiers sont plus fermes : ils préconisent la suppression pure et simple de l’envoi à domicile de ceux-ci, dans la mesure où ils « font doublon » avec ceux mis à disposition dans les bureaux de vote.
Mode de scrutin
Les rapporteurs rejettent clairement la piste – pourtant souhaitée par plusieurs partis et ayant fait l’objet de nombreuses propositions de loi – de l’instauration du vote par internet ou du vote par correspondance : « Le système français du vote à l’urne apporte des garanties, (…) le recours à l’isoloir permet d’assurer le secret du vote et l’absence de pressions », sans parler du dépouillement public qui permet aux électeurs de s’assurer de la sincérité de celui-ci.
En revanche, les magistrats demandent au ministère de l’Intérieur de sortir du statu quo en ce qui concerne les machines à voter : le moratoire instauré en 2008 est hautement problématique, puisqu’il place les 63 communes qui utilisent ces machines (environ 1 500 bureaux de vote et 3 % du corps électoral) dans l’impossibilité de remplacer leur matériel. La Cour des comptes – comme l’AMF – demande donc une sortie du moratoire.
La Cour se penche également sur les difficultés « croissantes » rencontrées par les communes pour constituer les bureaux de vote – particulièrement marquées pendant la crise sanitaire, mais qui ne se sont pas réellement améliorées après. La Cour s’est interrogée sur l’hypothèse de supprimer la condition d’inscription sur les listes électorales de la commune pour être assesseur, afin de permettre aux communes, notamment les plus petites, « de faire appel à un vivier plus large ». Le ministère de l’Intérieur, toutefois, n’y est pas favorable, dans la mesure où cela conférerait aux maires « un pouvoir de désignation allant au-delà de leur commune ».
Coût pour les communes « non connu »
Enfin, la Cour relève un problème de « connaissance et de transparence des coûts » de l’organisation des élections. Les indicateurs ne retracent en effet « qu’une partie du coût » des élections, puisque par exemple ils ne prennent pas en compte les dépenses de personnel de l’administration centrale ou des bureaux des élections des préfectures, pas plus que celles liées aux personnels de l’État « ponctuellement mobilisés lors des scrutins » – policiers et gendarmes chargés de contrôler les procurations ou de transmettre les procès-verbaux, par exemple. Par exemple, il faut se rendre compte que pour le transport des plis aux communes isolées et des procès-verbaux, la gendarmerie a effectué en 2022 plus de 4 500 trajets représentant 171 000 kilomètres, ce qui a mobilisé plus de 5 800 gendarmes. Cela représente un coût estimé à 16 millions d’euros en 2022, non comptabilisé dans le coût des élections.
Reste la question du coût pour les communes, que la Cour des comptes estime tout simplement « non connus ». On se rappelle que l’État verse aux communes une compensation appelée « dotation pour frais d’assemblée électorale », gelée depuis 2006, qui s’élève à 44,73 euros par bureau plus 0,10 euro par électeur. Selon l’AMF, ce montant ne couvre que 15 % du coût réel d’un scrutin. Panneaux électoraux, mobilisation du personnel municipal le dimanche pour l’installation et la remise en état des bureaux de vote, etc., les coûts pour les communes sont en réalité bien plus élevés que les quelque 15 millions d’euros versés, au total, par l’État. Il conviendrait, souligne la Cour, que l’État se livre à une réelle évaluation de ces coûts. Et, peut-on se permettre d’ajouter, revalorise enfin cette dotation parfaitement étale depuis 18 ans, comme si ni l’inflation ni le point d’indice n’avaient bougé depuis.
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