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Édition du mardi 17 septembre 2024
Élections

Le Cevipof met en lumière la forte poussée du vote pour l'extrême droite chez les fonctionnaires

Une étude du Cevipof analyse les résultats des élections européennes et législatives et tire une conclusion claire : traditionnellement ancrés à gauche, les électeurs des trois fonctions publiques sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le Rassemblement national. 

Par Franck Lemarc

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© BFM-TV

L’étude du chercheur au CNRS Luc Rouban, pour le Cevipof, porte ses conclusions dans son titre : Le vote des fonctionnaires aux élections de 2024 ou la fin de la gauche d’État. Le chercheur s’est appuyé sur les résultats de la vaste enquête électorale menée conjointement par le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès, l’Institut Montaigne, le journal Le Monde et Ipsos auprès de quelque 11 200 électeurs. Cet échantillon a été divisé par catégorie d’emploi : salariés du privé et fonctionnaires, avec une distinction entre les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière). Au sein de certains versants, notamment pour la fonction publique de l’État, l’enquête distingue, par exemple, enseignants et policiers, qui ne votent pas du tout de la même façon. 

Triplement des scores du RN chez les fonctionnaires en sept ans

Cette approche permet de comparer l’évolution des votes selon que les électeurs appartiennent au privé ou au public, et confirme que la vague de vote pour le Rassemblement national ne s’est nullement arrêtée aux portes de la fonction publique, y compris dans les corps les plus ancrés à gauche, comme les enseignants. 

Les chiffres sont éloquents : en sept ans, c’est-à-dire depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, le score des candidats d’extrême droite aux législatives est passé, dans la fonction publique territoriale, de 10 à 32 % (de 12 à 30 % dans la fonction publique de l’État, et de 17 à 35 % dans l’hospitalière). Ces chiffres sont très semblables à ce que l’on constate dans le privé (passage de 15 à 38 % sur la même période). Comme l’écrit Luc Rouban, « sur le long terme, et malgré des soubresauts conjoncturels, le vote de gauche a sensiblement diminué au profit du centre et de la droite et, au sein des droites, le vote en faveur du Front national puis du Rassemblement national n’a cessé de s’affirmer ». Alors que l’ancrage à gauche était « la caractéristique socioprofessionnelle des fonctionnaires la plus ancienne et la plus partagée (…), historiquement avérée par de nombreux travaux »  – le corps des employés de la fonction publique est longtemps resté le plus important réservoir de voix du Parti socialiste, notamment – le curseur s’est à présent fortement déplacé. Le vote à gauche n’a, évidemment, pas disparu de la fonction publique, loin s’est faut, mais il a fortement diminué.

Élections européennes

La première partie de l’étude analyse les résultats des élections européennes du 9 juin 2024. Ce scrutin a confirmé une tendance déjà constatée en 2022 : « Le vote des fonctionnaires se différencie de moins en moins de celui des salariés du secteur privé. »  Les employés de la fonction publique ont voté à 39 % pour l’extrême droite aux européennes (RN et Reconquête), ceux du privé à 40 %. Dans les deux cas, on constate une différence importante entre le vote des cadres et celui des employés. Dans la fonction publique, 29 % des cadres ont voté pour l’extrême droite, soit 10 points de moins que les employés. 

À gauche, les européennes ont été marquées par une division qui ne s’est pas retrouvée aux législatives : les partis qui composeront plus tard le Nouveau front populaire s’étaient présentés séparés (LFI, PCF, Les Écologistes et Parti socialiste-Place publique). L’auteur de l’étude note que le phénomène constaté à droite (radicalisation avec un déplacement vers l’extrême) ne se produit pas à gauche, au contraire : les partis les plus radicaux (extrême gauche et LFI) ont perdu du poids au profit du PS, qui se présentait sur une ligne « sociale-libérale ». L’auteur note que la gauche radicale, qui avait recueilli 30 % des voix en 2022, est tombée à 12 % aux européennes. 

Par ailleurs, les votes populaires, dans le public comme dans le privé, se sont de plus en plus nettement détournés du macronisme, pour aller ou vers le RN ou vers le PS, aux européennes, ce qui est très probablement une conséquence, en particulier, de la réforme des retraites. 

Élections législatives

La dissolution surprise et le choix opéré par la gauche de s’unir pour le premier tour des législatives de juin et juillet a stoppé cette « dynamique »  en faveur de la gauche modérée, note Luc Rouban : le NFP a obtenu 32 % des suffrages au premier tour, soit nettement moins que les 38 % obtenus par l’ensemble des partis de gauche, séparés, aux européennes – et ce malgré une participation beaucoup plus importante. La dynamique de l’union de la gauche n’a donc pas réellement fonctionné. Il est possible qu’un certain nombre d’électeurs de la gauche modérée ont choisi de ne pas voter pour une coalition conduite par LFI, et se sont reportés sur les candidats macronistes. 

Là encore, les scores sont assez similaires entre employés du public (26 % ont voté NFP, et 31 % dans la seule fonction publique territoriale) et du privé (24 %). Le corps enseignant reste la catégorie la plus ancrée à gauche, avec 40 % de votes pour le NFP. À l’inverse, les policiers et les militaires n’ont voté qu’à 7 % pour la coalition de gauche… et à 60 % pour l’extrême droite (RN, Reconquête et listes « ciottistes » ). 

Chez les employés de la fonction publique, au premier tour des législatives, le vote pour l’extrême droite a un peu diminué par rapport aux européennes (35 contre 39 %), mais reste à des niveaux historiquement hauts. 

Le second tour marque, selon l’auteur de l’étude, « le triomphe de la droite » : derrière une victoire de la gauche (en nombre de sièges) en trompe-l’œil, c’est bien le Rassemblement national qui a réalisé le plus grand nombre de voix, ne devant son échec à remporter une majorité absolue qu’à des accords de désistement entre la gauche et les macronistes. 

Lors de ce second tour, le RN a réalisé des scores historiquement hauts dans la fonction publique, symbolisée par le fait que « même »  les enseignants lui ont donné 20 % des voix, ce qui eût semblé parfaitement inimaginable il y a seulement quelques années (pour mémoire, moins de 5 % des enseignants avaient voté RN en 2017). 

Les employés des trois fonctions publiques ont voté à 41 % pour des candidats d’extrême droite au second tour (39 % pour la seule FPT), contre 22 % pour le NFP (25 % dans la FPT). Ces chiffres illustrent de façon saisissante le basculement politique qui s’est produit ces dernières années. 

Chez les policiers et militaires, le vote RN a atteint les 67 % au second tour. 

Luc Rouban écrit, en conclusion de son étude : « L’ampleur des transformations politiques qui se sont réalisées en un peu plus d’une décennie vient (…) confirmer le déclin du statut social de fonctionnaire (…). L’importance du vote RN comme de l’ensemble des votes de droite parmi les fonctionnaires signifie que la gauche d’État qui servait de ressource et de point d’appui aux partis politiques de gauche des années 1980 a largement disparu, y compris au sein du monde enseignant. (…) La réorientation du vote des fonctionnaires vers les droites, et notamment vers le RN, constitue l’expression sur le terrain politique d’un affaiblissement de leur statut social mais aussi de l’appareil d’État tout entier. » 

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