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Édition du lundi 10 juin 2024
Élections

Après la large victoire du Rassemblement national aux européennes, Emmanuel Macron dissout l'Assemblée nationale

Le scrutin européen qui s'est tenu hier s'est conclu sur un coup de théâtre, avec l'annonce par le président de la République de la dissolution de l'Assemblée nationale, à la surprise générale, y compris celle de son propre camp.

Par Franck Lemarc

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© Ass. nat.

Après la victoire du Rassemblement national aux élections européennes – la liste conduite par Jordan Bardella a recueilli plus de deux fois plus de voix que celle du parti présidentiel – Emmanuel Macron a choisi de trancher le nœud gordien né des élections législatives de 2022, en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale. 

Le RN gagne 2,5 millions de voix

Le résultat de ce scrutin n’est pas une surprise, tant il est conforme à ce qu’indiquaient tous les sondages depuis plusieurs semaines : une large victoire du RN et une liste Renaissance (Valérie Hayer) loin derrière, au coude-à-coude avec celle du Parti socialiste (Raphaël Glucksman). C’est en regardant les résultats de la précédente élection européenne que l’on mesure à quel point la situation politique a évolué : en 2019, le RN et Renaissance avaient fait des scores à peu près similaires, avec chacun autour de 5 millions de voix (5,27 millions pour Jordan Bardella et 5,08 millions pour Nathalie Loiseau). En cinq ans, il apparaît que le RN a gagné 2,5 millions de voix (il en a obtenu 7,76 millions hier) et que Renaissance en a perdu 1,5 million (3,6 millions de voix hier). 

Selon les derniers résultats publiés ce matin par le ministère de l’Intérieur, le RN totalise 31,36 % des voix, contre 14,60 % pour la liste conduite par Valérie Hayer. À cette poussée du RN, il faut ajouter les 5,47 % (1,35 million de voix) réalisés par Marion Maréchal.

La liste PS de Raphaël Glucksman connaît une importante progression par rapport à 2019, passant de 1,4 à 3,4 millions de voix (13,83 %). Il semble que c’est essentiellement chez les écologistes que Raphaël Glucksman a pris des voix, puisque la liste Europe écologie a perdu plus de 1,7 million d’électeurs entre 2019 et aujourd’hui, passant de 3 millions de voix (13,48 %) à 1,3 million (5,5 %). 

La liste LFI conduite par Manon Aubry a également progressé, en gagnant un million de voix. Elle frise les 10 %, contre 6,3 % en 2019. 

Enfin, la liste conduite pour Les Républicains par François-Xavier Bellamy se maintient peu ou prou (1,9 million de voix en 2019, 1,8 million hier). Elle réunit 7,24 % des suffrages.  

Il faut également noter que la participation à ce scrutin a été en hausse notable par rapport à 2019, avec une participation de 51,5 %. 25,4 millions d’électeurs se sont déplacés aux urnes – c’est un peu plus de 2 millions de plus qu’il y a cinq ans.

Annonce surprise

Quelques minutes après l’annonce de ces résultats, le président de la République a pris solennellement la parole pour annoncer qu’il avait décidé de « redonner (aux Français) le choix de notre avenir parlementaire par le vote ». Le chef de l’État a dissous l’Assemblée nationale hier soir, et annoncé que des élections législatives se tiendront le 30 juin et le 7 juillet. 

Pour justifier de ce choix, Emmanuel Macron a évoqué une extrême droite qui atteint « presque 40 % des suffrages exprimés » . « C’est une situation à laquelle je ne peux me résoudre. Je ne saurais, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était ». Il a également fait référence à « la fièvre » , au « désordre qui s’est emparé du débat parlementaire », à un moment où la situation de crises multiples appelle « la clarté dans les débats » . Reconnaissant que cette décision est « grave, lourde », le chef de l’État l’a qualifiée « d’acte de confiance » : « (J’ai) confiance en la capacité du peuple français de faire le choix le plus juste. Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. » 

Cette annonce a provoqué une certaine stupéfaction chez les responsables politiques présents sur les plateaux de télévision hier soir – y compris ceux de la majorité, voire ministres, qui n’étaient pas au courant, la décision ayant visiblement été prise dans un cénacle très restreint autour du chef de l’État. 

Les porte-parole du Rassemblement national, Marine Le Pen en tête, ont aussitôt salué cette décision qu’il appelaient de leurs vœux, et se sont dits prêts « à exercer le pouvoir ». 

Discréditer le RN au pouvoir ?

Reste à savoir les raisons profondes de ce choix du chef de l’État, qui place le pays devant la perspective de voir, en juillet, Jordan Bardella entrer à Matignon, si le scrutin donne une majorité au Rassemblement national. Cela fait en réalité plusieurs mois qu’il se murmure, dans l’entourage du président de la République, qu’un tel choix est envisagé, à trois ans de l’élection présidentielle. Avec un objectif : empêcher l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République en laissant le RN se discréditer au pouvoir d’ici à 2027. 

Si c’est bien le calcul du chef de l’État, c’est un pari plus que risqué, qui a été aussitôt qualifié de « dangereux »  et « d’irresponsable »  par de nombreux responsables politiques. Mais quoi qu’il en soit, le président de la République ne semble plus décidé à laisser perdurer la situation politique actuelle, avec une majorité trop faible à l’Assemblée nationale pour pouvoir faire passer sa politique autrement qu’à coups de 49-3. 

Les grandes manœuvres vont maintenant commencer, en sachant que le calendrier ultra-resserré choisi par Emmanuel Macron oblige à un dépôt des candidatures dès cette semaine. De l’issue de ces grandes manœuvres dépendra en partie le résultat des élections : les partis de gauche vont-ils s’unir comme ils l’ont fait en 2022, du PS à la France insoumise – mais alors que la situation politique a largement changé en deux ans et que le fossé s’est creusé entre les uns et les autres ? Quelle sera l’attitude des Républicains, face aux triple choix qui se pose à eux entre rester seuls, s'allier à Emmanuel Macron ou se rapprocher du Rassemblement national ? Le « front républicain », qui depuis 2002 a régulièrement conduit les différentes tendances politiques du pays à « faire barrage »  à l’extrême droite va-t-il se maintenir – autrement dit, la gauche peut-elle encore appeler à voter pour des candidats macronistes, ou des macronistes peuvent-ils appeler à élire, par exemple, des députés LFI ? Rien n’est moins sûr. 

L’annonce du chef de l’État, hier, est un coup de tonnerre dont on ne mesure pas encore toutes les implications Les jours à venir seront cruciaux, notamment sur l'attitude que les différentes tendances politiques vont adopter dans ce contexte inédit. 

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