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Édition du vendredi 19 septembre 2025
Économie sociale et solidaire

Économie sociale et solidaire : la Cour des comptes pointe « l'absence de vision d'ensemble » de son financement public

Alors que le monde associatif est en difficulté, la Cour des comptes pointe plusieurs « Ã©checs » dans la politique menée en faveur de ce secteur essentiel pour le déploiement des politiques publiques. Elle propose notamment de renforcer la coordination entre l'État et les collectivités territoriales.

Par A.W.

Après les journées des 10 et 18 septembre, ce sera au tour du monde associatif de se rassembler pour faire part de son mécontentement le 11 octobre prochain. Face aux défaillances des entreprises qui se multiplient et les difficultés rencontrées par l'ensemble du secteur, les inquiétudes reviennent avec, là aussi, les annonces de restrictions autour du budget 2026. Une impression de déjà-vu après l’année passée.

Dans ce contexte, la Cour des comptes a publié un rapport, hier, sur l’économie sociale et solidaire, en critiquant des financements publics déployés « sans stratégie d’ensemble », bien qu’importants. 

« Échec »  de la loi Hamon

Un secteur particulier qui cherche à « concilier activité économique et utilité sociale »  à travers des associations, fondations, mutuelles ou coopératives et qui regroupe un large ensemble d’acteurs représentant 10,6 % de l’emploi salarié (en 2021). Au total, l’ESS emploie plus de 2,7 millions de salariés dans quelque 150 000 entreprises et 200 000 établissements employeurs.

Si la loi de 2014 – initiée par l’ancien ministre socialiste Benoît Hamon – a permis de mieux définir ce mode d’entrepreneuriat, elle devait aussi permettre à l’économie sociale et solidaire d’entamer un changement d’échelle. Avec à la clef la création de plus de 100 000 emplois en cinq ans, d’après les projections de l’exécutif de l’époque. 

Dix ans plus tard, cet essor n’a pas vraiment eu lieu. C’est même un « échec », assure la Cour des comptes. « Le changement d’échelle attendu ne s’est pas produit », bien qu’elle constate « une progression de 5 % entre 2018 et 2021 »  du nombre d’emplois dans l’ESS, soutenue par « la dynamique positive du monde coopératif (+ 11 %) et des fondations (+ 15 %) ». 

Mais au final, la part de l’économie sociale et solidaire dans l’ensemble de l’économie est restée stable, à 10,6 % donc pour ce qui est de l’emploi salarié. Pire, la part de ses établissements a diminué de 10 % à 9 % entre 2018 et 2021.

Des données qui doivent, toutefois, être « analysées avec prudence, compte tenu des effets de la crise sanitaire ». En outre, les magistrats financiers rappellent que « la démarche d’évaluation de leur impact et de leur utilité sociale demeure complexe et cloisonnée entre les acteurs de l’économie sociale et solidaire ».

Le « pari manqué »  de l’agrément d’utilité sociale

Autre « pari manqué » : l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale »  (Esus), estime la Cour. Les entreprises du secteur qui acceptaient de se plier à certaines règles et dont l'activité présentait un impact social significatif obtenaient ainsi un agrément leur donnant droit à des allégements fiscaux, un accès à l'épargne solidaire ou encore un accès privilégié à la commande publique. 

Alors que cet agrément devait être un des instruments de soutien aux entreprises du secteur – et que « son octroi à un nombre croissant de sociétés commerciales »  devait permettre de « diffuser les principes de l’ESS au sein du système capitaliste »  – seules 2 888 structures en bénéficient à ce jour, alors que la loi prévoyait un objectif de 10 000 à 12 000 entreprises solidaires d’utilité sociale au 1 er janvier 2025.

« L’agrément pâtit d’une méconnaissance de son utilité et d’une confusion entre les sociétés commerciales de l’ESS agréées et non agréées et avec certains « labels »  de responsabilité sociétale des entreprises », expliquent les magistrats financiers, pour qui celui-ci n’apparaît « pas suffisamment lisible et attractif pour les sociétés commerciales ».

Résultat, 58 % des structures agréées sont constituées sous forme d’association et seulement 29 % prennent la forme d’une société commerciale.

« Co-construire »  une stratégie avec les collectivités

Reste que ce secteur est largement soutenu par la puissance publique : à hauteur de 16 milliards d’euros en 2024 de la part de l’État et de 6,7 milliards des collectivités territoriales en 2023. Ce qui illustre « le rôle central que les acteurs de l’économie sociale et solidaire jouent pour faire face à des besoins sociaux croissants », note la Cour.

En hausse de 4,7 % depuis 2018 au niveau de l'Etat, ce soutien passe essentiellement par des subventions (8 milliards d’euros) – qui bénéficient surtout aux associations et aux structures employeuses – qui doivent servir surtout pour l’hébergement d’urgence (18 % des subventions en 2024), le soutien à l’enseignement privé et à l’éducation (15 %), l’accompagnement social et l’aide alimentaire (13 %), l’accueil et l’orientation des réfugiés et des demandeurs d’asile (12 %).

Du côté des collectivités, les subventions sont aussi en forte progression sur la période (+ 25,7 %), malgré une légère baisse en 2023. Près de la moitié provenait du bloc communal et le tiers des régions, au bénéfice quasi exclusif des associations. Pour l’essentiel, ces aides étaient consacrées aux « arts, spectacles et activités récréatives », « autres activités de service », « santé humaine et action sociale »  et « enseignement ».

Cependant, ces soutiens financiers publics pour déployer des politiques publiques restent « sans stratégie d’ensemble », selon la Cour qui constate « l’absence de vision d’ensemble au niveau de l’État (qui) s’explique par l’instabilité politique de son pilotage ainsi que par la faiblesse du positionnement du délégué ministériel et des moyens du réseau des correspondants chargés du soutien à l’économie sociale et solidaire dans les préfectures ».

Cette dépendance aux financements publics et les restrictions budgétaires annoncées pour 2026 pourraient ainsi menacer le secteur. Hier, jour de la sortie du rapport de la Cour des comptes, Benoît Hamon, qui est désormais président de l’organisation de défense de l’économie sociale et solidaire ESS France, a accusé « le gouvernement [de vouloir] faire des économies sur la pauvreté » alors même que « l’ensemble du monde associatif est confronté à des difficultés ».

Alors que le secteur doit faire l’objet, d’ici fin 2025, d’une stratégie nationale pour promouvoir son développement (à la suite d’une recommandation du Conseil de l’Union européenne), les magistrats financiers jugent qu’elle « devra être co-construite avec les collectivités territoriales, notamment les régions et les intercommunalités au vu de leur rôle majeur dans son développement ». Et ceux-ci de proposer une dizaine d’autres recommandations pour soutenir le secteur.

Consulter le rapport.

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