Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 10 juin 2015
Transports

Versement transport : des centaines de millions d'euros en moins pour le transport public

Il y a les paroles et il y a les actes. Côté paroles, le gouvernement n’est pas avare de déclarations pour encourager la « mobilité durable », la « transition énergétique »  et le « transfert modal »  de la voiture vers les transports collectifs. Côté actes, les choses sont apparemment moins claires. Après avoir violemment amputé les dotations aux collectivités, avec les conséquences que l’on sait sur l’investissement, après avoir augmenté la TVA sur le transport, voici que Manuel Valls annonce une réforme du versement transport qui devrait, selon les calculs de plusieurs associations d’élus, priver les collectivités de 300 à 700 millions d’euros par an.
C’est dans le cadre de la présentation, hier, de son plan « Tout pour l’emploi dans les TPE et les PME »  que le Premier ministre l’a annoncé : « De manière pérenne, tous les seuils de 9 et 10 salariés seront relevés à 11 salariés ». Cela n’a l’air de rien, mais c’est une très mauvaise nouvelle pour les collectivités et pour le transport collectif. Car parmi ces fameux seuils, il y a celui qui déclenche le versement transport (VT) : toute entreprise employant (jusqu’à présent) plus de neuf salariés et étant située dans ce que l’on appelle un PTU (périmètre de transport urbain) devait verser à la collectivité une taxe, le versement transport, dont le taux peut aller de 0,55 % à 1,75 % de la masse salariale, en fonction de la taille de la collectivité (CGCT, art. L2333-67). Instauré en 1974, ce versement transport a financé tout le développement des transports collectifs dans le pays depuis plus de quarante ans, et il rapporte aujourd’hui 7,1 milliards d’euros aux collectivités concernées.
À partir de l’an prochain donc, si les annonces de Manuel Valls sont appliquées en l’état, seules les entreprises de 12 salariés et plus seront assujetties au VT. Le Gart (Groupement des autorités organisatrices de transport) a immédiatement fait ses calculs, et l’addition sera salée : jusqu'à 500 millions d’euros de recettes en moins pour les autorités organisatrices, sans la moindre compensation. Voire, selon d'autres sources, jusqu'à 700 millions. Et tout cela sans concertation : comme le rapporte ce matin la newsletter spécialisée Mobilicités, les élus croisés hier dans les allées du salon international du transport à Milan étaient stupéfaits, personne n’ayant été ni consulté ni prévenu de la mesure – pas plus d’ailleurs que les entreprises de transport public, tout aussi irritées ce matin.
Cette annonce est d’autant plus mal vécue par les élus qu’elle n’est pas la première à impacter lourdement le transport collectif : en octobre 2013 déjà, le passage de 7 à 10 % du taux intermédiaire de la TVA a amené un surenchérissement du poste « transports »  de quelque 300 millions d’euros par an pour les collectivités. Et le gouvernement avait alors obstinément refusé de répondre aux demandes des associations d’élus qui réclamaient que le taux de TVA sur les transports soit porté à 5,5 %, comme les autres produits de première nécessité.
En juillet 2014 ensuite, c’est au tour du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire de s’attaquer aux transports, en faisant sortir des milliers d’entreprises et organismes (mutuelles, hôpitaux privés, associations…) de l’assiette du versement transport. Manque à gagner : 500 millions d’euros encore, selon le Gart. 
En additionnant tout cela à la mesure annoncée hier, on en arrive donc à une ponction de 1,3 à 1,5 milliard  d’euros sur les transports en deux ans. Rien d’étonnant donc à ce que les associations d’élus (Gart, AMGVF, ACUF, ADCF) s’étranglent de colère depuis hier soir, parlant de « mesure catastrophique pour nos concitoyens et le secteur de la mobilité dans son ensemble ».
D’autant que tout cela s’ajoute à la baisse des dotations de l’État (28 milliards en cumulé entre 2014 et 2017), baisse qui a des conséquences concrètes sur l’investissement et les services. Certaines collectivités ont déjà annoncé qu’elles allaient diminuer leurs ambitions, dans les années à venir, en matière de transport, voire annuler des projets faute de moyens.
Jean-Luc Rigaut, maire d’Annecy et co-président du groupe de travail Mobilité/déplacement à l’AMF, se dit ce matin « interloqué »  par cette annonce. « Au moment où on essaye de faire la promotion du transport en commun, au moment où les collectivités sont privées des moyens de l’État dans le cadre de la baisse des subventions, abaisser encore les ressources des collectivités organisatrices de transport, c’est un très mauvais signal ! Sur le terrain, nous hésitons toujours à augmenter les impôts des entreprises, y compris le versement transport. Si l’assiette se réduit, cela va encore ajouter à nos difficultés. » Quant à l'autre co-président du groupe de travail, Martial Passi, le maire de Givors, il juge ce matin ces annonces « incompréhensibles, inacceptables et injustes ». « Ce serait un retour en arrière insupportable pour nos territoires », estime le vice-président de la métropole de Lyon, collectivité qui risque de perdre dans l'affaire « des dizaines de millions d'euros ». 
Alors, « tout pour l’emploi », annonçait hier Manuel Valls ? Sauf que le versement transport contribue à créer ou maintenir l’emploi dans des secteurs tels que « l’industrie ferroviaire, les bus, les autocars, le BTP et les opérateurs de transport », rappelait hier le Gart.
Combattre le chômage par une mesure qui pourrait bien coûter à terme plus d’emplois qu’elle n’en créera… on cherchera, en vain, la cohérence.
Franck Lemarc

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