Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 20 décembre 2023
Aménagement numérique du territoire

Subventions des technologies alternatives à la fibre : la fausse bonne idée qui pénalise les collectivités et les abonnés

Les subventions annoncées dimanche dernier pour aider les foyers n'ayant pas la fibre ont du mal à convaincre du côté des collectivités. In fine, ces nouvelles aides publiques profitent avant tout aux opérateurs.

Par Lucile Bonnin

Dimanche, le ministre chargé du Numérique Jean-Noël Barrot a annoncé que les foyers les plus modestes n'ayant pas encore accès à la fibre pourront obtenir une subvention allant de 300 à 600 euros (lire Maire info du 18 décembre). 

Pour rappel, le gouvernement a décidé d’étendre le dispositif qui concernait jusqu’ici toutes les communes de la zone d'initiative publique à l’ensemble du pays. Ainsi, trois niveaux de soutien ont été débloqués pour tous les foyers n’ayant pas la fibre : un montant de 150 euros dans les territoires ultra-marins pour du Bon haut débit, une aide de 300 euros en France métropolitaine pour du Très haut débit, et jusqu'à 600 euros pour les foyers modestes, notamment les bénéficiaires du RSA.

Si le ministre a présenté cette nouvelle mesure comme étant « un pas de plus vers le très haut débit pour tous » , les associations d’élus ne l’entendent pas de cette oreille. Dans un communiqué de presse commun diffusé hier, l’Avicca, la FNCCR et Départements de France dénoncent « le revirement opéré par l’État ».

Financement des aides sur fonds publics

La première chose que contestent les associations d’élus réside dans le fait que « l’État a décidé, de façon unilatérale, d’étendre à la zone d’initiative privée les aides publiques pour des solutions palliatives à l’absence de fibre optique. »  Les associations dénoncent le fait que ce financement des aides se fasse sur fonds publics, « fonds de surcroît dévolu aux projets numériques des collectivités ». 

De surcroît, la demande de longue date des associations d’élus de mettre en place un fonds de péréquation a été « une énième fois »  rejetée par l’État dans le cadre du projet de loi de finances 2024. « Ce fonds devait permettre de favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales au niveau des ressources, de réduire, dans un esprit de solidarité, le fossé entre les territoires les plus rentables et ceux qui le sont moins pour un accès équitable à Internet, partout en France » 

En juillet dernier, l'État avait ouvert une consultation publique en vue de prolonger le dispositif de cohésion numérique jusqu'en décembre 2025, avec quelques modifications. Les trois associations demandaient à l’État « d’encadrer les mesures palliatives par les technologies alternatives envisagées, qui s’avèrent hélas utiles, d’une façon plus stricte notamment en veillant à ne pas « détourner l’argent public nécessaire à la cohésion des territoires » . Cette aide nouvellement annoncée va « à l’encontre de toutes les demandes faites par les collectivités et leurs représentants », en plus d’être une surprise. 

« Un cadeau »  aux opérateurs 

D’abord, les associations d’élus rappellent que cette extension du bénéfice des aides de l’État aux solutions alternatives était, déjà en 2019, « un terrible aveu d’échec de l’encadrement de l’initiative privée pour le déploiement du très haut débit ».

Aujourd’hui que le dispositif s’applique partout, l’État semble jouer le jeu des opérateurs au détriment des collectivités. En effet, du point de vue des représentants des collectivités, « l’État préfère subventionner les conséquences des défaillances des opérateurs privés plutôt qu’aider les collectivités porteuses de réseaux publics à assurer la viabilité économique de leur service public ».

Le sentiment d’injustice exprimé dans le communiqué s’explique aussi car « la position des opérateurs privés va à l’encontre de toute logique d’aide publique » . « Ces derniers craignent le risque de devoir surdimensionner le réseau et ainsi de devoir consentir des investissements supplémentaires »  et veulent donc « bien de la subvention publique, mais ne veulent pas engager d’investissements en contrepartie. La subvention devient dès lors sans objet ».

Concrètement, l’État se place avant tout du côté des opérateurs. 

Des solutions moins confortables que la fibre 

Et le consommateur dans tout ça ? Toujours selon les associations, cette aide menace aussi les citoyens qui attendent toujours la fibre. Ces subventions « risquent d’inciter les opérateurs privés à ne jamais déployer la fibre sur les communes qu’ils se sont réservés puisque des technologies alternatives sont possibles » . Il faudra donc définitivement dire adieu à la fibre.

De plus, comme Maire info l’expliquait lundi, la fermeture du réseau cuivre pourrait se faire même sans le 100 % fibre et « l’opérateur Orange peut y trouver une des conditions fixées par le cadre réglementaire pour fermer le réseau ». 

Sans fibre et sans ADSL, les abonnés n’auront d’autres choix que de se tourner vers les solutions alternatives qui peuvent s'appuyer sur la boucle locale radio, la 4G fixe ou encore le satellite. Si l’on s’intéresse de plus près à ces technologies alternatives, on remarque très vite que ces dernières sont loin de rivaliser avec la fibre optique. 

Du côté de la boucle locale radio par exemple, le principe est le suivant : le signal arrive par voie hertzienne, depuis une antenne émettrice qui peut être située à plusieurs kilomètres du logement. Comme l’indique l’UFC-Que choisir, pour en bénéficier, il faut que la zone soit couverte par un réseau Wimax (développé généralement à l’initiative des collectivités locales), ce qui n’est pas le cas partout, et « le débit peut varier en fonction de la météo » . Pour la box 4G, de nombreuses zones géographiques ne peuvent pas en profiter notamment en milieu rural. De plus, selon l’association de défense des consommateurs, « il ne faut pas être trop exigeant, d’une part parce qu’elle ne permet pas de recevoir la télé et d’autre part parce que le débit réel varie en fonction du nombre d’utilisateurs simultanés de la 4G dans le quartier ».

Enfin, concernant l’offre satellite – offre la plus plébiscitée –, elle nécessite l’installation d’une antenne parabolique qui peut être assez coûteuse même si certaines collectivités locales prennent en charge une partie de la facture. Les tarifs des abonnements sont aussi conséquents. Selon un article de 01net.com, « Orange demande 49,99 € par mois à ses clients (…). Il faut également prendre en compte les coûts annexes. Orange facture 8 euros par mois pour la location de la parabole. Il est aussi possible de l’acheter pour la somme de 299 euros. On y ajoute 50 euros de frais d’activation et éventuellement 299 euros si vous souhaitez qu’un professionnel vienne installer l’antenne chez vous à votre place ». Notons aussi que le décodeur TV n’est pas compris dans cette offre. 

Starlink évincé du dispositif 

Le dispositif de subventions du gouvernement s’appuie sur les offres d’opérateurs préalablement labellisées par l’État. D’ailleurs, la liste des opérateurs labellisés est disponible sur le site de l'ANCT. Starlink, la solution par satellite de SpaceX, n'est pas concerné par ces aides. Fin 2022, le fournisseur d’accès à Internet comptait pourtant déjà 10 000 clients français. 

Pour faire concurrence à cette offre, Orange a également lancé une offre satellite qui, elle, est éligible aux subventions. Mais comme le souligne 01net, l’offre Starlink est moins chère sur une année (620 euros) que l’offre d’Orange (745 euros) mais elle offre surtout une connexion plus performante avec un temps de latence plus court : « Orange annonce une latence élevée de 700 ms, contre seulement 40 à 60 ms de ping pour Starlink. »  Privés d’accès à la fibre qu'on leur avait pourtant promis, les abonnés vont devoir se contenter d’une offre plus chère (même si remboursée en partie) et devront faire une croix sur la plus efficace sur le marché à ce jour… 
 

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