Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 12 avril 2024
Violences urbaines

Émeutes de juin 2023 : une reconstruction encore loin d'être achevée, malgré les dispositifs exceptionnels

Dans leur rapport sur les conséquences des émeutes de l'été dernier, les sénateurs de la commission des lois ont fait le bilan des dispositifs législatifs mis en place pour la reconstruction, dont ils déplorent le caractère « tardif » et l'usage « modeste ». 

Par Franck Lemarc

Au-delà de leurs nombreuses propositions sur l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre (lire Maire info d’hier), les sénateurs de la mission d’information créée par la commission des lois du Sénat ont fait le bilan de la reconstruction. Il apparaît que neuf mois après les événements, et malgré un dispositif législatif ultra-dérogatoire, tout est loin d’être réglé. 

Des ordonnances trop tardives

Le bilan matériel des émeutes de la fin juin 2023 a été particulièrement lourd pour les 672 communes touchées : 2 508 bâtiments dégradés ou détruits, dont 105 mairies. Le nombre d’écoles ou établissements scolaires dégradés est plus flou, et plusieurs chiffres sont cités dans le rapport : 243, selon l’Éducation nationale cité p. 41 du rapport ; 168, selon le ministère de l’Intérieur, cité p. 138 du rapport. 

Quoi qu’il en soit, le gouvernement et le Parlement se sont mobilisés pour adapter l’appareil législatif à l’urgence de reconstruire. Un projet de loi a été déposé au Sénat par le gouvernement dès le 13 juillet, avec pour objectifs « d’écraser les délais », et a été adopté en quelques jours. Ce texte autorisait le gouvernement à prendre des ordonnances pour permettre de déroger à plusieurs règles d’urbanisme, de commande publique et de financement. Les délais habituels en matière d’urbanisme ont été fortement raccourcis, il a été autorisé de passer des marchés publics sans publicité pour des travaux jusqu’à 1,5 million d’euros au lieu de 100 000 en temps normal, et de passer des marchés uniques non allotis. Ces mesures, selon le gouvernement, devaient permettre un gain de « 4 semaines à quatre mois »  par rapport aux procédures habituelles. Rappelons que l'AMF recommandait alors un seuil de 3 millions d'euros pour la commande publique, estimant que le seuil de 1,5 million était trop bas.

Enfin, le Parlement a validé le principe d’un versement anticipé du FCTVA (fonds de compensation de la TVA) pour les travaux liés à la reconstruction, d’une suppression de la règle des 20 % d’autofinancement, permettant d’aller jusqu’à 100 % de subvention, et enfin, d’une dérogation aux règles de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités. 

Ce texte autorisait le recours aux ordonnances, et celles-ci ont bien été prises par le gouvernement. Mais tardivement : en dehors de celle sur la commande publique, qui a été prise dès le 25 juillet, les deux autres n’ont été prises que le 13 septembre. Ces délais « interrogent »  la mission sénatoriale, dans la mesure où les textes sont parus après la rentrée scolaire, « alors même que l’un des objectifs principaux du texte d’urgence était de permettre l’initiation rapide des travaux de reconstruction, en particulier de ceux des écoles endommagées ». Résultat, le gain de temps permis par ces dispositifs dérogatoires a été grandement amoindri. 

Selon la mission, c’est ce « temps de latence »  qui explique « le faible usage »  des dérogations qui ont été permises par les ordonnances : bon nombre de maires n’ont pas attendu la rentrée pour engager des travaux mais ont agi tout de suite, quitte à ne pas bénéficier des dispositifs dérogatoires. Parmi la cinquantaine de communes interrogée par la mission, seules 12 ont dit avoir fait usage des dérogations. 

Plusieurs maires ont par ailleurs expliqué à la mission que les dérogations « ne leur sont pas apparues utiles, notamment du gain de temps somme toute limitée qu’elles permettaient, en comparaison de la mise en place de procédures nouvelles et temporaires, notamment en matière de commande publique, qu’elles nécessitaient ». 

Reconstruction « inachevée » 

La mission fait également le point sur les aides qui ont été débloquées pour la reconstruction, en dehors des indemnités des assurances : 100 millions d’euros par l’État, annoncés en octobre ; plus de 50 millions d’euros engagés par les régions ; 15 millions d’euros de la métropole du Grand Paris, 5 millions pour celle d’Aix-Marseille. Au total, les aides publiques ont « dépassé les 200 millions d’euros ».

Cette mobilisation financière a permis « d’afficher un taux de réparation ou de reconstruction des bâtiments publics élevé » : 60 % des bâtiments détruits ont été remis en état six mois après les émeutes, selon le gouvernement. Selon l’estimation du Sénat, ce chiffre serait aujourd’hui de 80 %. Mais on reste souvent dans le provisoire, ou dans une situation de réparation incomplète : « L’immense majorité (approximativement 90 %) des communes interrogées par la mission d’information a indiqué ne pas avoir achevé les travaux de réhabilitation à la date du 1er mars 2024 », indique le Sénat. 

La reconstruction est donc « bien engagée »  mais « inachevée », de nombreuses communes n’ayant toujours pas réussi à reconstruire intégralement ce qui a été détruit, et certaines estimant que ce ne sera pas le cas avant « fin 2025 ». 

La mission note enfin que les formalités liées à la reconstruction ont occasion un lourd surcroît de travail pour les communes, « auquel celles-ci n’ont pas forcément les moyens de faire face ». Plusieurs maires demandent, en la matière, une aide de l’État en ingénierie, « pour permettre aux services de la ville de mener à bien les formalités, notamment en matière de commande publique, liées à la réhabilitation des lieux détruits ou incendiés ». 

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