Couvre-feu : ce qu'en dit le Conseil scientifique
À quelques heures de l’intervention télévisée du président de la République, ce soir, il semble de plus en plus probable que des mesures de couvre-feu pourraient être imposées dans certaines grandes villes. Dans son dernier avis, fin septembre, le Conseil scientifique avait déjà envisagé cette option, tout en redoutant ses conséquences en termes « d’acceptabilité » par la population.
Le dernier avis du Conseil scientifique est daté du 22 septembre – même s’il n’a été rendu public qu’une semaine plus tard, comme c’est le cas depuis le début de la crise. (Notons à ce sujet que les sénateurs, dans le cadre de la discussion sur le projet de loi prorogeant certaines mesures d’urgence, demandent que les avis du Conseil scientifique soient désormais publiés « sans délai ».) Il date donc d’un moment où la tendance était certes inquiétante, mais où les indicateurs n’avaient pas encore atteint les niveaux actuels dans de nombreuses régions.
À cette date, le Conseil relevait « entre 9 000 et 13 000 cas confirmés chaque jour ». Même les experts notaient que ces chiffres sont « sous-estimés », puisqu’une partie des personnes atteintes, asymptomatiques, ne se testent pas. Il estimait donc réaliste de les doubler, « le nombre réel se situant probablement autour de 25 000 nouvelles contaminations par jour ». En appliquant le même raisonnement à la période actuelle, où les chiffres de Santé publique France indiquaient, le 10 octobre, presque 27 000 contaminations confirmées, on approcherait donc en réalité les 50 000. Le nombre de contaminations doublant toutes les deux semaines, il n’est pas inenvisageable d’atteindre, d’ici 15 jours, le chiffre des 100 000 cas quotidiens estimé pendant le pic de l’épidémie au printemps.
Rien d’étonnant donc à ce que le Conseil scientifique juge la situation « alarmante » et insiste sur « l’urgence d’agir ». Selon ses projections, le débordement des capacités hospitalières pourrait intervenir, si les choses continuent d’évoluer à ce rythme, dès le 1er novembre dans certaines régions.
Quatre options
Les experts examinent donc « quatre options », allant d’un statu quo (« aucune intervention supplémentaire n’est déployée » ) à « des mesures fortes et potentiellement contraignantes, type couvre-feu ». Tout comme le gouvernement, le Conseil scientifique n’envisage à aucun moment un reconfinement généralisé.
L’option 4 n’était, alors, pas celle qui était privilégiée par les experts : ils préconisaient le scénario « 3 », « une option reposant sur une addition de mesures modérées, faisant appel à l’adhésion volontaire et, en cas de besoin, à des mesures contraignantes ». Ce scénario s’appuyait sur « une protection renforcée des personnes à risque de forme grave », un plan de protection des Ehpad, un renforcement du télétravail et le fait « d’inviter » les personnes à limiter volontairement le nombre de leurs contacts sociaux.
L’option 4, qui n’avait le 22 septembre pas la préférence des experts, consistait à préconiser, d’une part, des mesures de « confinement territorial » ; et, d’autre part, des « couvre-feux » semblables à celui qui a été instauré en Guyane pendant l’état d’urgence sanitaire. Si le Conseil n’envisageait pas de proposer cette option le 22 septembre, il disait « ne pas pouvoir en exclure l’utilisation en cas de dégradation ultérieure ».
Il semble que l’on soit arrivé à ce stade.
Dans son avis, le Conseil listait les avantages et les inconvénients de cette mesure. Au chapitre des avantages, « l’efficacité » : « En favorisant un contrôle de la circulation du virus, cette stratégie a des effets positifs sur la mortalité. » D’autre part, « plus les actions sont précoces et fortes, plus l’intervention peut être efficace et limitée dans le temps (et donc avantageuse sur un plan économique par rapport à des interventions plus tardives) ».
Mais les inconvénients sont de taille : « L’adhésion de nos concitoyens serait probablement faible, avec des effets préjudiciables en termes de cohésion sociale et de confiance. Des mesures fortes et précoces peuvent être difficiles à accepter tant qu’il n’y a pas de crise visible. Inversement, s’il y a une nouvelle crise, ne pas avoir mis en place ces mesures serait sans doute reproché a posteriori. »
Par ailleurs, note le Conseil, « le coût économique est à la fois majeur et indifférencié à court terme. Il est d’autant plus grand qu’il intervient après une première période de confinement et qu’il alimente des anticipations économiques négatives aux effets potentiellement désastreux. »
Voilà, parfaitement résumé, le dilemme auquel est confronté l’exécutif : prendre des mesures impopulaires en amont, ou attendre et prendre le risque, demain, de se voir reproché son inaction. On saura dès ce soir comment de quelle manière le chef de l’État aura tranché face à ce choix difficile.
Franck Lemarc
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