Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 4 mars 2019
Société

Le Conseil d'État et l'Académie française se positionnent sur l'usage du féminin

Deux informations concernant le bon usage du masculin et du féminin dans la langue française ont été divulguées la semaine dernière : d’une part, le Conseil d’État a confirmé la légalité d’une circulaire du Premier ministre proscrivant l’usage de l’écriture « inclusive »  dans les documents administratifs ; d’autre part, l’Académie française a (enfin) ouvert la porte à la féminisation des noms de métiers et de fonction.

« Respecter les règles en vigueur » 
Le Conseil d’État avait été saisi par une association intervenant sur les questions de genre à propos d’une circulaire d’Édouard Philippe de novembre 2017 (lire Maire info du 28 novembre 2017). Cette circulaire donnait la doctrine du gouvernement en matière de règles « de féminisation et de rédaction », en particulier sur l’usage de l’écriture dite inclusive. Rappelons que celle-ci consiste notamment à accorder le verbe avec le sujet le plus proche au lieu de donner la primauté au masculin (il faudrait alors écrire : « un garçon et une fille étaient présentes » ) et surtout à utiliser un signe typographique appelé le « point milieu »  pour mettre chaque mot à la fois au féminin et au masculin : les élu·e·s, les électeur·rice·s. Si cette façon de rédiger a ses partisans, elle a aussi ses détracteurs, qui estiment qu’un texte ainsi rédigé est bien plus difficile à lire et donc, justement bien peu « inclusif ».
Dans sa circulaire, le Premier ministre proscrivait l’emploi de ces règles dans les textes officiels, arguant qu’il n’existe à ce jour qu’une seule forme de grammaire et de syntaxe et qu’il convient de s’y conformer tant que d’autres formes n’ont pas été adoptées : « Les administrations relevant de l'État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d'intelligibilité et de clarté de la norme. » 
L’association qui avait attaqué cette circulaire estimait qu’il y avait là une atteinte à la liberté d’expression des agents publics et demandait donc son annulation pour « excès de pouvoir ». Sans succès : le Conseil d’État, dans un arrêt rendu le 28 février, a estimé que le Premier ministre « s’est borné à donner instruction aux administrations de respecter, dans la rédaction des actes administratifs, les règles grammaticales et syntaxiques en vigueur ». Il ne saurait donc « être sérieusement soutenu que la circulaire attaquée (...) aurait porté atteinte à la liberté d'expression des agents de l'État chargés de cette rédaction ».

« Madame la maire » 
Le même jour, l’Académie française, pourtant souvent considérée comme relativement lente à prendre en compte les évolutions sociétales, publiait un rapport sur « la féminisation des noms de métiers et de fonctions », reconnaissant qu’il existe sur cette question « un décalage entre les réalités sociales et leur traduction dans le langage ». L’Académie admet donc – bien qu’avec quelques réticences – que la féminisation des noms de métiers et de fonctions va dans le sens de l’Histoire et qu’elle est recevable. (Notons d’ailleurs que des linguistes qui se sont exprimés ces derniers jours préfèrent parler de « démasculinisation »  que de « féminisation », pour marquer le fait que la plupart des noms de métiers avaient déjà une forme féminine au Moyen âge, « masculinisée »  de force à partir du XVIIe siècle).
L’Académie relève un fait incontestable : la féminisation des noms de métiers et de fonctions décroît de façon inversement proportionnelle à l’échelle sociale : si « ouvrière »  et « boulangère »  sont parfaitement courants, il n’en va pas de même pour des fonctions telles que « ministre », « juge »  ou « chef » : bien des femmes occupant des postes à responsabilité, note l’Académie, souhaitent être appelées « madame le maire »  ou « madame le ministre ». Et si de nombreux restaurants emploient des cuisinières, les femmes y sont en revanche encore « chefs de rang ».
L’Académie recommande donc de féminiser les noms de métiers ou de fonctions, tout en estimant que « dès lors que certaines femmes exerçant des fonctions longtemps et, aujourd’hui encore, souvent tenues par des hommes, expriment leur préférence à être désignées dans leur fonction au masculin, aucune raison n’interdit de déférer à ce souhait ». Ce qui n’est pas sans être quelque peu contradictoire avec l’arrêt du Conseil d’État qui confirme qu’il n’existe qu’une seule grammaire et que les règles devraient être les mêmes pour tout le monde…
L’Académie donne par ailleurs un certain nombre de pistes pour déterminer les formes les plus adéquates de féminin : faut-il écrire « doctoresse »  ou « docteure », « auteure »  ou « autrice » ? Pourquoi le féminin d’entraîneur est-il « entraîneuse »  et celui de directeur, « directrice » ?
Pour les maires, en tout cas, la règle est assez simple : les mots qui se terminent par un « e »  muet (architecte, artiste, juge, comptable, maire…) « se prêtent naturellement à ne pas changer de forme au féminin », l’article « suffisant à marquer la forme féminine ». Il faut donc bien dire « la maire », « la juge ». La forme « mairesse »  n’est toutefois pas incorrecte, mais plutôt « désuète ». En l’espèce, l’argument du caractère « inesthétique »  de cette forme (« ce n’est pas joli » ) n’est en revanche guère recevable. La terminaison en « -esse »  est en effet parfaitement courante et ne choque personne dans les mots maîtresse, duchesse ou prêtresse…
F.L.
Télécharger le rapport de l’Académie française.

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