Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 28 février 2023
Eau et assainissement

Sécheresse : Christophe Béchu appelle les préfets à ne pas avoir « la main qui tremble »

Le ministre de la Transition écologique a réuni hier les préfets coordonnateurs de bassin, avant de rencontrer les préfets de département la semaine prochaine. Il estime que des restrictions sont inévitables pour ne pas que « 2 000 communes » se retrouvent privées d'eau potable cet été. 

Par Franck Lemarc

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C’est un tableau bien sombre qu’a dressé Christophe Béchu, invité ce matin sur RMC pour rendre compte de cette réunion. Cinq départements sont déjà en vigilance renforcée sécheresse (Bouches-du-Rhône, Var, Isère, Pyrénées-Orientales, Ain). Il y eu un déficit de pluie et de neige sur l’ensemble du territoire pendant les mois d’hiver et à ce jour, selon le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), 60 % des nappes phréatiques sont à un niveau inférieur à la normale. Pour mémoire, il y a un an, ce chiffre était de 25 %. « On a deux tiers des cours d’eau qui sont en-dessous de leur étiage normal, et même 18 % qui sont sous la décennale sèche », a détaillé ce matin le ministre. « Dans trois régions, l’humidité des sols, en cette fin février, est comparable à la fin d’un mois de mai ! »  (il s’agit de l’Occitanie, d’Auvergne-Rhône-Alpes et Paca). 

Conflits d’usage

La « priorité »  de Christophe Béchu est « d’anticiper le risque de sécheresse cet été ». Il a rappelé que l’été dernier, déjà, alors qu’il n’y a pas eu de sécheresse hivernale, « on a eu 700 communes qui se sont retrouvées à un moment ou un autre sans eau potable ». Il s’agit donc de tenter d’éviter que cette situation touche, l’été prochain, « 1 500 ou 2 000 communes ». Le ministre propose donc d’agir à court et à long terme.

Dès le mois de mars, il a demandé aux préfets de bassin de réunir, dans chaque département, les comités départementaux de la ressource en eau, de « prendre une photographie de la situation et, partout où il y en a besoin, de prendre des arrêtés de restriction ». Il a appelé les préfets à ne pas avoir « la main qui tremble », sous peine d’être rapidement confrontés à « des conflits d’usage ». Le ministre a également appelé chaque citoyen à « ne pas attendre les arrêtés de restriction »  pour faire des économies d’eau, notamment sur les usages non indispensables comme le lavage des voitures. 

La question des fuites

À plus long terme, le gouvernement est en train de mettre la dernière main à son « Plan eau », annoncé samedi dernier par le président de la République au Salon de l’agriculture. « C’est la fin de l’abondance », a encore répété Emmanuel Macron, comme il l’avait fait l’été dernier à propos de l’énergie. « On va se doter d’une planification sur la sécheresse, a poursuivi samedi le chef de l’État, pour mieux utiliser nos eaux et avoir moins de fuites. » 

Les maires attendront donc sans doute avec impatience ce « Plan eau », qui doit être dévoilé dans les prochains jours, pour savoir ce que l’État propose pour régler une question qui les concerne directement – celle des fuites dans les réseaux d’eau potable. Rappelons que l’Observatoire des services d’eau et d’assainissement chiffre à un milliard de mètres cubes la quantité d’eau perdue, chaque année, du fait des fuites, soit l’équivalent « de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants ». La recherche et la réparation de ces fuites représentent un investissement colossal – chiffré par l’État autour de 800 millions d’euros il y a une dizaine d’années – qui dépasse, de loin, les capacités financières de nombreuses collectivités. Il faudra donc attendre la publication du plan pour savoir si l’État accepte enfin de soutenir les collectivités au niveau nécessaire sur ce sujet.

Ajoutons toutefois que l’eau qui s’écoule par les fuites des réseaux, si elle représente un véritable gâchis puisqu’elle est, bien souvent, déjà traitée, n’est pas pour autant « perdue », puisqu’elle retourne, tôt ou tard, aux nappes phréatiques. 

Réutilisation et stockage

Une partie du plan eau sera également, a annoncé Christophe Béchu, consacrée à la réutilisation des eaux – véritable serpent de mer, en débat depuis des années. On sait que la France, qui jusqu’à présent n’a pas eu à faire face à une pénurie d’eau chronique, ne réutilise que très peu les eaux usées traitées – la réutilisation serait autour de 1 % dans le pays, contre 10 % en Italie et 20 % en Espagne. Cela pourrait changer, mais là encore, au prix d’investissements colossaux. 

Il est certes assez aberrant, en soi, d’utiliser de l’eau potable pour alimenter les toilettes (environ un tiers de l’eau potable produite en France passe dans les chasses d’eau). D’où l’idée, pour certains usages, de ne pas utiliser l’eau potable mais des « eaux grises »  traitées (les eaux grises, ou eaux ménagères, étant les eaux faiblement polluées, issues par exemple des lavabos, des lave-linge, etc.). Problème : les réseaux d’évacuation, en France, ne sont pas forcément séparatifs : les réseaux dits « unitaires »  transportent aussi bien les eaux grises que les « eaux vannes »  (issues des toilettes) et les eaux pluviales. Généraliser la réutilisation des eaux usées traitées supposerait donc de généraliser les réseaux séparatif, ce qui aurait un coup extrêmement élevé. Il sera intéressant de découvrir ce que le gouvernement envisage en la matière. 

Enfin, le débat va certainement se poursuivre sur la question du stockage de l’eau, via des rétentions collinaires ou des « bassines »  – autant de pratiques qui opposent, parfois violemment, les « pro »  et les « anti ». Le gouvernement, en tout cas, a choisi son camp : le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a récemment indiqué que « 60 projets de réserves d’eau »  entreront en service d’ici au mois de juin prochain. 

Au-delà des restrictions qui risquent d’entrer en vigueur très prochainement dans de nombreux départements, c’est donc toute l’économie de l’eau – fuites, réutilisation, stockage – qui pourrait devoir être remise à plat, si la France, comme cela semble se dessiner, change peu à peu de climat. 

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