Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 6 octobre 2020
Laïcité

Projet de loi « renforçant la laïcité » : nouvelles précisions sur le rôle des maires

Hier, lors d’une rencontre avec la presse, les ministres qui portent le projet de loi qui s'appelait, à l'origine, « contre les séparatismes », ont donné des précisions sur le texte à venir. Les précisions de Gérald Darmanin et Marlène Schiappa permettent d’y voir plus clair sur les « outils »  qui seront mis à disposition des élus, en complément des annonces faites vendredi par le chef de l’État (lire Maire info d’hier). Ce matin, le ministère de l'Intérieur a indiqué renoncer au terme de « séparatisme »  dans l'intitulé du texte. Il devrait donc s'appeler : « Projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ».

L’obligation de neutralité sera-t-elle étendue aux collaborateurs occasionnels du service public ? 
Non. Le ministre de l’Intérieur a clairement rejeté cette option et indiqué que le gouvernement « s’opposera à tout amendement allant dans ce sens ». Rappelons que le texte à venir va étendre l’obligation de neutralité, qui ne s’applique actuellement qu’aux agents publics, aux salariés des entreprises privées titulaires d’une délégation de service public. En revanche, ce que l’on appelle plus ou moins improprement les « collaborateurs occasionnels du service public »  (car cela ne correspond à aucune catégorie juridique) ne sont pas concernés. Les accompagnatrices de sorties scolaires, par exemple, ne seront donc pas soumises à une interdiction de porter le voile. Gérald Darmanin a rappelé que ce texte ne visait pas une religion en particulier : « Notre sujet, c’est la neutralité et l’ordre public, uniquement ». 

Associations : comment fonctionnera la « charte de la laïcité » ?
Le gouvernement va intégrer dans la loi l’obligation, pour les associations qui souhaitent obtenir une subvention publique (de l’État ou d’une collectivité) de signer une « charte de la laïcité », ou plutôt un « contrat d’engagement des valeurs de la République et des exigences minimales de la vie en société ». Si par la suite il apparaît que ce contrat n’est pas respecté, les subventions pourront être supprimées, voire la collectivité ou l’État pourront en exiger le remboursement. Les ministres ont expliqué qu’une fois la loi en vigueur, le formulaire Cerfa de demande de subventions contiendra une mention à ce contrat. « Toute association qui demande des subventions s’engagera à avoir pris connaissance de ce contrat et à le ratifier », a précisé Marlène Schiappa. Quant au contenu de ce contrat d’engagement, il sera défini par « un décret en Conseil d’État ». Il sera rédigé « en concertation avec les associations concernées »  et défini « en même temps que la loi ». 
Reste à savoir comment sera contrôlé le respect de ce contrat. Interrogée sur ce sujet, Marlène Schiappa a répondu que « ce n’est pas tellement une question de contrôle mais d’outils juridiques. Quand on est un élu local, on connaît les associations, et on sait très bien celles qui peuvent poser problème. Avec ce dispositif, les élus auront un outil juridique très fort. » 

Quels seront les nouveaux outils de contrôle des dirigeants des associations dont pourront se servir les maires ?
Le ministre de l’Intérieur a relevé qu’aujourd’hui, « un maire n’a aucun moyen de savoir si le dirigeant d’une association cultuelle a déjà été condamné pour des faits liés à une radicalisation ». La loi devrait y remédier. 
D’abord, le gouvernement entend mieux distinguer les types d’associations, entre les associations « loi 1901 »  et les associations cultuelles (loi 1905). « Pour le flux comme pour le stock, c’est-à-dire pour les associations déjà existantes comme pour celles qui seront créées, nous distinguerons les associations loi 1901 dont l’objet principal est de gérer un lieu de culte. Car aujourd’hui, ces associations loi 1901 peuvent être mixtes, c’est-à-dire s’occuper de l’exploitation d’un lieu de culte et même temps de sport, de culture, etc. On n’empêchera évidemment pas telle association de s’occuper de sport ou de culture en lien avec la paroisse ou la mosquée, mais ce ne sera pas la même association, pas les mêmes comptes, que celle qui gère le lieu de culte. » 
Par ailleurs, le gouvernement va inscrire dans la loi que les dirigeants d’associations cultuelles ne peuvent pas avoir été condamnés pour « apologie du terrorisme, complicité de terrorisme ou radicalisation ». Et le dispositif sera le même que pour les délinquants sexuels : aujourd’hui, lorsqu’un maire veut embaucher une personne pour encadrer des enfants, il transmet la demande au préfet qui vérifie si la personne n’est pas inscrite au Fijais (Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes). Demain, il en ira de même pour les responsables d’associations cultuelles : un maire pourra vérifier auprès du préfet que la personne n’est pas inscrite au Fijait (Fichier des auteurs d’infractions terroristes). La loi va de surcroît permettre que l’apologie de crimes terroristes conduise à une inscription au Fijait, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

Qu’est-ce que le dispositif « anti-putsch »  prévu dans la loi ?
Il va être intégré à la loi un dispositif permettant d’empêcher qu’un petit nombre d’individus radicalisés prennent le contrôle d’une association cultuelle. Les maires sont régulièrement confrontés, a rappelé le ministre de l’Intérieur, à une situation qui les laisse démunis : « Vous avez une association qui gère un lieu de culte, fondée par une personne tout à fait respectable et respectueuse des lois de la République. Et là il peut suffire d’une dizaine de salafistes qui adhèrent à l’association pour renverser le bureau et transformer ce lieu de culte en mosquée radicalisée. »  Ce type de « putschs »  au sein des associations serait, selon le ministre, à l’origine « des trois quarts de mosquées radicalisées ». La loi va donc prévoir un dispositif d’élection « au second degré »  pour empêcher ce type de situations. 

Mariages forcés : quel rôle pour les maires ?
Une partie de la loi va durcir l’arsenal législatif pour mettre fin aux mariages forcés qui constitueraient, selon les chiffres évoqués par Marlène Schiappa, 200 000 femmes en France aujourd’hui. En cas de « doute sur le consentement réel »  d’une femme à se marier, un tiers ou une association pourra « alerter l’officier d’état civil »  (donc le maire ou un adjoint au maire). En cas de signalement, l’officier d’état civil « aura l’obligation de procéder à un entretien individuel avec les deux futurs époux », séparément donc. Si le doute est confirmé au sortir de ces entretiens, « le procureur sera saisi ». 
La ministre a également annoncé l’intention du gouvernement de « mettre fin une fois pour toutes à la polygamie ». « La polygamie est interdite par la loi en France, mais il y a des cas de polygamie de fait. Nous souhaitons que désormais, une personne qui vient d’un pays étranger et qui est en situation de polygamie ne puisse pas se voir délivrer de titre de séjour. Et nous reprendrons le titre de séjour d’une personne qui l’a obtenu mais est en situation de polygamie. » 
Parmi les autres mesures détaillées hier, les ministres ont confirmé que le gouvernement allait « pénaliser »  l’établissement de certificats de virginité (c’est-à-dire que les médecins qui les délivrent seront condamnés) ; et, plus généralement, les certificats de complaisance, en particulier les attestations médicales « d’allergie au chlore », qui se multiplient de façon « manifestement peu plausibles »  dans certaines écoles, afin d’empêcher les jeunes filles d’aller à la piscine. 
Après une consultation des partis politiques, dès cette semaine, sur ce projet de loi, le gouvernement « recevra l’ensemble des associations d’élus »  pour discuter du texte, a annoncé hier Gérald Darmanin.

Franck Lemarc

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