Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 16 octobre 2019
Laïcité

Port du voile par les accompagnatrices des sorties scolaires : le Premier ministre opposé à une loi

C’est un débat qui revient régulièrement sur la place publique depuis plusieurs années : les parents accompagnant les sorties scolaires sont-ils, ou non, soumis à « l’obligation de neutralité »  qui est faite aux agents publics et, de ce fait, peuvent-ils porter des signes religieux ostentatoires ? Si la loi n'interdit pas le porte de signes religieux dans ce cas de figure, elle prohibe en revanche le prosélytisme, ce qui amène des difficultés d'interprétation. Un certain nombre de parlementaires souhaitent une évolution de la loi sur cette question, mais le Premier ministre, au Sénat hier, s’y est clairement opposé.
Le débat a été relancé par l’incident provoqué la semaine dernière par un élu du Rassemblement national au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté – qui a demandé à la présidente du conseil de « faire sortir »  une mère accompagnant des enfants et portant un voile. Depuis, plusieurs ministres se sont exprimés sur le sujet, avec des positions pas forcément convergentes ; et plusieurs députés, dont Éric Ciotti, ont dit leur intention de déposer une proposition de loi pour interdire le port du voile aux accompagnatrices de sorties scolaires.

Vide juridique
On se souvient (lire Maire info du 23 avril 2018) que la question avait été soulevée par le président de la République lui-même lors d’une intervention télévisée, il y a un an et demi. Il avait alors exposé sa « conviction personnelle »  selon laquelle le fait d’accompagner une sortie scolaire faisait d’une mère une « collaboratrice bénévole du service public ». « Elles sont en responsabilité pour l’école », et à ce titre « collaborat[rices] occasionnelles du service public, et ne peuvent pas porter le foulard ». 
Sauf que ce n’est pas ce que dit le Conseil d’État : dans un avis rendu en 2013 à la demande du Défenseur des droits, le Conseil avait établi que la catégorie de « collaborateur occasionnel »  du service public n’existe pas. Il n’existe que deux catégories que sont les usagers et les agents publics – et il n’existe ni dans la loi ni dans la jurisprudence de catégorie intermédiaire entre les deux. Le Conseil d’État s’était montré extrêmement clair : « L’emploi par de nombreux textes des expressions ''collaborateurs occasionnels'' ou de leurs synonymes (…) n’entraîne en rien l’application de l’ensemble des sujétions imposées aux agents publics. »  Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Éducation nationale, répondant à une question d’un sénateur en avril 2018, d’affirmer exactement le contraire : « La notion de collaborateur bénévole du service public (…) emporte les mêmes obligations que pour les fonctionnaires et proscrit donc le port du voile. » 

Récemment, le ministère a publié un vademecum sur la laïcité à l’école selon lequel les directeurs d’école peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, recommander aux parents d’élèves de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse lorsqu’ils participent à l’encadrement des sorties scolaires ou d’activités éducatives. Mais de telles restrictions ne peuvent être générales et systématiques, mais au contraire être étudiées au cas par cas et justifiées par des considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service.    
Face à ces incompréhensions et à ce « vide juridique », les sénateurs ont souhaité voter, en mai 2019, un amendement au projet de loi École de la confiance, élargissant l’interdiction du port du voile « aux sorties scolaires organisés par les établissements ». Cet amendement, qui n’a pas été retenu dans la loi définitive, avait profondément divisé le Sénat, et Marie-Noëlle Lienemann (Paris) avait alors parfaitement exprimé le « déchirement »  de nombreux sénateurs entre « deux réalités » : « D’une part, un accompagnant est acteur de l’école et doit être tenu à la neutralité », mais de l’autre, en appliquant un tel dispositif, « dans certains territoires, on ne trouvera plus d’accompagnants pour les sorties scolaires ». 

Édouard Philippe : une loi n’est « pas l’enjeu » 
Interpellé hier par le sénateur de la Moselle Jean-Louis Masson sur cette question, le Premier ministre Édouard Philippe a pu donner son avis. « Alors que vos ministres ont multiplié les prises de positions contradictoires, nous vous demandons de sortir de l’ambiguïté : seriez-vous prêt, oui ou non, à interdire le port du voile dans les sorties scolaires ? », a demandé le sénateur au Premier ministre. 
Celui-ci a répondu en rappelant la loi. « La laïcité suit un double principe : la liberté des citoyens de croire ou de ne pas croire et la neutralité absolue des pouvoirs publics s’agissant de faits religieux. (…) Les agents publics sont astreints à un strict devoir de neutralité. Quant aux usagers, ils n’y sont pas soumis. C’est la loi. »  Quant à l’interdiction spécifique du port de signes religieux ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics, « elle ne s’applique pas aux parents d’élèves ». Édouard Philippe a donc été clair : « On peut porter un voile quand on accompagne une sortie scolaire »  – mais « on n’a pas le droit d’y faire du prosélytisme ». « Tel est l’état du droit. Je ne pense pas que l’enjeu soit aujourd’hui de voter une loi sur les accompagnants scolaires », a conclu sans ambiguïté le Premier ministre, qui juge préférable de mettre l’accent sur « le combat contre les dérives communautaires »  notamment en contrôlant beaucoup plus strictement les établissements privés hors contrat et l’instruction à domicile.

De son côté, l’AMF avait rappelé, dans son vademecum sur la laïcité publié en 2015, que les sorties scolaires relèvent de la responsabilité exclusive de l’Éducation nationale et qu’elles doivent être menées « dans un contexte général de neutralité », tout en gardant le souci d’intégrer les parents dans le fonctionnement de l’école. 

F.L.

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