Maire-info
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Édition du lundi 11 juillet 2022
Petite enfance

Petite enfance : les personnels à bout, les crèches au bord de la rupture

La pénurie de personnel est le problème numéro un du secteur de la petite enfance, sur lequel les professionnels et les maires alertent depuis des mois. Le comité de filière vient de rendre ses premières recommandations au terme de ses six premiers mois de travaux. 

Par Emmanuelle Stroesser

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« Les professionnels sont épuisés, au bord de la rupture » . « Certaines structures n'ont pas d'autre choix que de réduire l'amplitude horaire, voire fermer des places ». « C'est la qualité de l'accueil qui est en jeu ». Ces affirmations témoignent du malaise qui s'installe parmi les professionnels de la petite enfance, avec un constat partagé par l'ensemble des acteurs concernés. Comme le résume le Comité de filière petite enfance, en exergue de son point d'étape du 29 juin, « les modes d’accueil du jeune enfant, collectif et individuel (crèches, micro-crèches, assistants maternels et gardes d’enfants à domicile) font face, comme d’autres secteurs des métiers de l’humain, à de fortes tensions de personnels. Celles-ci pèsent sur les conditions de travail des professionnels, et conduisent sur certains territoires à des réductions de l’offre proposée aux familles » .

Ce constat est conforté par le résultat de l'enquête nationale menée par la Cnaf sur la « pénurie de professionnels en établissements d’accueil du jeune enfant » , dévoilée ce lundi matin aux membres du Comité filière petite enfance. L'échantillon des réponses (15 986 crèches collectives offrant 411 959 places d’accueil ont répondu) est suffisamment vaste pour être représentatif. Près d'une crèche sur deux manque de personnel auprès des enfants. Entre 6,5 et 8,6 % de professionnels manquent. Ces difficultés sont notablement plus fortes à Paris, dans le Rhône et la Guyane.
Ces pénuries entrainent des fermetures de places, estimées à un peu plus de 2 % du total. L'enquête confirme aussi qu'un certain nombre d'EAJE (établissements d'accueil du jeune enfant) n'ont pas fermé de places mais tournent avec des effectifs en tension. Le problème, d’après l’enquête, touche moins les micro-crèches et davantage les structures de 40 places et plus.

Quatre premières mesures à prendre 

Le comité de filière pose un certain nombre de recommandations, pour « contrer les causes profondes de la pénurie »  et en « atténuer »  dès maintenant les « effets immédiats ». Il s'agit donc de mesures à court et plus long terme. « C'est un texte de compromis » , concède la présidente du comité, Élisabeth Laithier. Toutes ces recommandations n'ont pas été approuvées par l'ensemble des parties prenantes – elles ont été adoptées par 14 voix pour et 3 contre, sur 18 votes exprimés – « mais cela nous permet d'avancer » , commente Élisabeth Laithier. 

La présidente a choisi de mettre en avant quatre mesures qu'elle compte défendre auprès du nouveau ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe.  

La première porte sur revalorisation « nécessaire et évidente »  de ces métiers. Une revalorisation qui doit être « juste pour les salariés et soutenable pour les gestionnaires » , précise Élisabeth Laithier, qui mesure la difficulté que cela représente pour les collectivités gestionnaires, pour avoir été elle-même adjointe à la petite enfance (à Nancy). « C'est pourquoi je vais demander au gouvernement et à la branche famille (la Cnaf) qu'ils se positionnent sur un premier geste, rapidement, et d'autre part qu’ils s'engagent à soutenir la filière dans une trajectoire de revalorisation salariale ambitieuse ». 

Deuxième proposition : « Le coût pour les familles ayant recours à une assistance maternelle ne doit pas être supérieur à celui d'un accueil en crèche » , défend Élisabeth Laithier. « Cela intéresse les collectivités car cela peut aider à désengorger les crèches si les familles n'ont plus de frein financier à choisir une assistante maternelle » , assure-t-elle.

La troisième proposition vise à  la création d'un observatoire de la qualité de vie des conditions de travail, « avec une mission d'alerte sur des situations dégradées ». Le but étant de pouvoir « engager des mesures correctives » . La proposition n'est pas directement liée aux différents faits divers survenus ces dernières semaines, des plus bénins aux plus dramatiques avec la mort d'un bébé, assure Élisabeth Laithier. Même si ces faits divers témoignent aussi du malaise dans la profession, dans certaines structures privées en particulier.

Enfin, quatrième proposition, Élisabeth Laithier prône le lancement d'une campagne de promotion et de valorisation des métiers de la petite enfance dès septembre 2022. 

Le ras-le-bol des éducateurs de jeunes enfants

« Tout est mis en branle pour trouver des solutions rapides et à court terme. Et éviter la fermeture de crèches. Mais on va trop loin dans la politique de la rustine. On ne peut plus continuer ainsi. En demandant à des professionnelles qui ont choisi ce métier de venir au travail avec la boule au ventre parce qu'elles devront travailler dans des conditions telles que certaines ont choisi d'arrêter, de peur de commettre des erreurs » , réagit la présidente de la fédération des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE). Julie Marty-Pichon fait partie des trois votes exprimés contre les recommandations du comité filière petite enfance. « Non pas que nous les rejetons toutes, mais nous ne pouvons approuver un communiqué qui, notamment, dit ‘’approuver les évolutions réglementaires récemment décidées et en cours de déploiement opérationnel’’, car notre fédération s’est toujours opposée à cette réforme des modes d’accueil. » 

La FNEJE s'oppose également à tout ce qui selon elle tend à dévaloriser le diplôme et donc la profession, sous prétexte d'élargir le recrutement. Comme le recrutement de professeurs des écoles (« qui ne sont pas formés à la petite enfance ! » ) ou le recours « à une entreprise privée pour la validation des VAE d’éducateurs jeunes enfants ou d’auxiliaire de puériculture en 3 mois ». Car « devenir EJE, c’est devenir un travailleur social spécialiste de la petite enfance, cela ne peut pas s’acquérir en trois mois ! » , s’insurge la présidente.  

Les maires « remontent au créneau » 

La pénurie ne doit pas être un prétexte à un nouvel assouplissement des règles, des qualifications et de l'encadrement, c'est aussi le crédo des maires, rappelé par Xavier Madelaine, co-président du groupe de travail petite enfance de l'AMF. Les maires mettent, eux, particulièrement l'accent sur la formation de personnel. Xavier Madelaine appelle ses collègues à se saisir du courrier co-signé de l'AMF et des Régions de France, adressé mi-juin aux présidents de régions. L'enjeu est de travailler à l'échelle des territoires pour développer et adapter l'offre de formation. « Car cela fait partie aussi de la valorisation des métiers » , insiste l'élu. En Normandie, il a ainsi organisé une première rencontre avec la présidente de région. « Nous avons commencé par lister l'offre de formations possibles », explique-t-il. « C'est aussi à nous, maires, de bousculer les choses dans les départements pour avancer sur les schémas départementaux de services aux familles » , poursuit Xavier Madelaine. « Nous avons obtenu que les maires en deviennent vice-président, il faut nous servir de ces instances » . Citant là encore l'exemple de son département, le Calvados, où il a obtenu que la signature du schéma soit avancée à la rentrée, plutôt qu'à la fin 2022, ou que des points d'étape trimestriels soient tenus plutôt qu'une seule grand-messe annuelle.

Au niveau national, les maires entendent « remonter au créneau »  auprès du nouveau ministre, « pour être force de proposition ». « C'est aussi pourquoi nous avons besoin que les maires se mobilisent et fassent remonter leurs informations » , conclut Xavier Madelaine.

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