Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 6 mars 2020
Montagne

Loi Montagne II : trois ans après son adoption, un bilan « mitigé »

Alors que la loi Montagne II du 28 décembre 2016 vient de passer le cap des trois ans d’application, la commission économique de l’Assemblée nationale a voté le 4 mars dernier, la publication du rapport d’information sur son évaluation, établi par quatre rapporteurs issus de la majorité comme de l’opposition – fait inhabituel voire « inédit ». Un bilan qui tombe à pic : la France préside cette année la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine (Suera), la montagne devenant ainsi, « plus que jamais, un enjeu transfrontalier qui requiert des partenariats avec les États de l’Union européenne ».
117 pages, 52 propositions, une quarantaine d’auditions : ce document transpartisan se veut à la fois objectif, exhaustif (du numérique à l’agropastoralisme, en passant par le tourisme et l’accès aux services publics), mais aussi prospectif, l’idée étant d’améliorer le dispositif existant et de renforcer – notamment – la prise en compte du changement climatique en montagne (lire Maire info du 26 février). Car cette forte préoccupation « impose une évolution, tant dans le modèle touristique, que dans celui, plus large, de la gestion des ressources », pointent d’emblée les rapporteurs. Pour autant, pas d’acte III en vue, précisent les rapporteurs : « prématuré »  voire « contre-productif », les dispositions de l’acte II peinant encore « à être connues et appliquées » , selon les termes du co-rapporteur Jean-Bernard Sempastous, député des Hautes-Pyrénées. 
Lors de la présentation du rapport, Marie-Noëlle Battistel, députée de l’Isère, ancienne présidente de l’Association nationale des élus de montagne (Anem) – et co-rapporteure –, a évoqué le « contexte particulier »  de l’élaboration de la loi Montagne II, « adoptée à l’unanimité, moins une voix », ayant fait l’objet d’un rare consensus, de sa préfiguration jusqu’à son adoption. À sujet passionné, « débats riches »  et « forts souvenirs » : loin d’être acquis d’avance, l’accord sur le texte en CMP aura nécessité cinq heures de réunion. 

Différenciation et montagne : la loi 3D, un nouvel espoir
Trente ans après la première loi Montagne du 9 janvier 1985, l’enjeu était de taille : il s’agissait de tenir compte des mutations de ces territoires sur le plan numérique, de l’emploi, des services publics, ou de l’agriculture. Avec une ambition toujours aussi forte : « rappeler la spécificité des territoires de montagne, de manière à lutter contre leur banalisation et leur dissolution dans la notion de « zones rurales ». En ce sens, le texte « renforçait le droit d’adaptation des politiques publiques aux particularités de ces territoires, pour en faire un instrument concret dans une série de domaines listés, plutôt qu’un objectif programmatique flou. ». 
Et c’est là le premier « regret »  des rapporteurs : ce principe de différenciation, de même que le droit d’adaptation des normes et de la fiscalité, peinent à s’appliquer dans les territoires de montagne. Du point de vue des administrations, c’est l’« absence de demande »  des élus et acteurs locaux qui serait en cause. Mais ces derniers pointent au contraire « les refus opposés par l’administration à leurs requêtes, et, de manière générale, (le) manque de culture de la montagne et (la) réticence de principe à l’application différenciée du droit ». 
Les élus locaux placent ainsi beaucoup d’espoir dans la future loi 3D, dont les lois Montagne et Littoral de 1986 étaient, selon Annie Genevard, députée du Doubs, présidente de l’Association nationale des élus de montagne (Anem) et co-rapporteur du projet de loi Montagne II,  une « préfiguration dans sa dimension « différenciation ». Et si la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, a annoncé la mise en place d’un groupe de travail spécifique dans le cadre de l’élaboration de cette future loi 3D, l’Anem et sa présidente resteront « très attentifs »  à ce que la montagne ne soit pas « diluée »  dans la ruralité (proposition n°6). L’intégration de deux membres de l’Anem au sein du conseil d’administration de l’ANCT devrait permettre de veiller au grain, la spécificité des territoires de montagne demeurant « un combat qui reste à mener », selon Annie Genevard. 

Urbanisme en montagne : ZAN, UTN et sécurité juridique
Sur le plan quantitatif, sept décrets d’application de la loi sur les dix requis sont parus. Un chiffre qui « masque une réalité contrastée » : deux textes sur les trois manquants sont « d’une importance majeure ». Il s’agit du décret relatif à l’exonération de taxe sur la consommation intérieure de produits énergétiques (TICPE) pour les activités de collecte du lait en montagne, et de celui portant sur les obligations d’équipements des véhicules en période hivernale et en zone de montagne. 
Autre difficulté : le décret du 10 mai 2017 refondant le régime des unités touristiques nouvelles (UTN), a été partiellement annulé par le Conseil d’État le 26 juin dernier, en ce qu’il ne soumettait pas à évaluation environnementale les UTN des territoires non couverts par un PLU ou un Scot – dites « UTN résiduelles ». Une décision « prévisible », pour Lou Deldique, avocate associée chez Green Law Avocat : en considérant que les UTN sont des « plans et programmes »  au sens du droit de l’Union européenne, l’arrêt du Conseil d’État s’inscrit dans un mouvement global, entamé en 2017, de mise en conformité du droit français avec la directive de 2001 sur l’évaluation environnementale des plans, projets et programmes. Pour se prémunir de tout risque contentieux, Me Deldique conseille aux élus d’anticiper en consultant la mission régionale de l’autorité environnementale (MRAe) du CGEDD, comme préconisé par le Conseil d’État dans son avis contentieux du 27 septembre 2018 (lire Maire info du 12 octobre 2018). Pour autant, les rapporteurs appellent à adopter « aussi rapidement que possible »  le décret modificatif, et à « associer les parlementaires et les associations d’élus à sa rédaction ».
Autres suggestions pour l’urbanisme en montagne : « être vigilant lors de l’inscription de projets d’UTN dans les documents d’urbanisme », pour éviter d’y intégrer plusieurs projets alternatifs alors qu’il est admis dès l’origine « que seul l’un d’entre eux sera effectivement réalisé »  – un effet pervers  du régime UTN constaté par les rapporteurs, qui appellent aussi au « bon sens »  pour guider « une réflexion approfondie sur l’évolution du principe d’urbanisation en continuité dans les zones de montagne, dans un objectif d’harmonisation des interprétations et d’assouplissement des contraintes imposées. ». Autre point de vigilance : la circulaire « zéro artificialisation nette »  (ZAN), qui doit être explicitée pour garantir « une application différenciée en zone de montagne, de manière à (…) ne pas accentuer les refus de construction en discontinuité ». » 
Plus globalement, les rapporteurs soulignent la nécessité de ne pas « baisser la garde »,  et de « poursuivre les efforts collectifs (…) pour que la reconnaissance des spécificités de la montagne soit enfin effective ». Un « point dur », relevé par Annie Genevard, reste la prise en considération des charges propres aux territoires de montagne. Car si l’adaptation de la fiscalité est effectivement engagée dans ces territoires, elle reste « partielle ». Et requiert « une vigilance particulière »  quant à la réforme de la géographie prioritaire. Il va sans doute falloir continuer à « secouer le sapin » …

Caroline Saint-André

Accéder au rapport d’information sur l’évaluation de la loi Montagne II

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