Maire-info
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Édition du mardi 21 mars 2023
Ruralité

Les nouveaux « néo-ruraux », des diplômés en reconversion professionnelle

La pandémie de covid-19 a conforté l'arrivée dans les campagnes de petits flux de « néo-ruraux » diplômés, désireux d'allier télétravail et projets de reconversion professionnelle, sans entraîner de départs massifs des villes, décrypte Aurélie Delage, enseignante-chercheuse à l'université de Perpignan.

Par Hélène Duvigneau (AFP)

Spécialiste d’aménagement et d’urbanisme, la chercheuse a participé à l’étude pluridisciplinaire Exode urbain. Un mythe, des réalités, pilotée depuis juin 2021 par la plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) pour mesurer l’impact de la crise sanitaire sur les mobilités résidentielles (lire Maire info du 20 février).

Parmi les phénomènes observés, la poursuite de la « métropolisation », avec des habitants qui se concentrent toujours dans les grandes villes, de la périurbanisation, mais aussi d’une « renaissance rurale »  qui entraîne un repeuplement de certaines campagnes. « Cette ‘’renaissance rurale’’ n’est pas nouvelle puisqu’on l’observe depuis les années 1970 », souligne Aurélie Delage. Entre mars 2020 et mars 2021, les communes de moins de 2 000 habitants ont ainsi représenté 18 % des flux migratoires, une proportion quasi équivalente à la période pré-covid.

« Ce phénomène n’affecte pas tous les espaces ruraux, mais d’abord ceux qui sont situés à proximité des villes, ce qui alimente la périurbanisation », nuance-t-elle.

L’Ouest et le Sud profitent globalement le plus de l’arrivée de nouvelles populations, en particulier les littoraux mais aussi le pourtour du Massif Central, le nord de la région Nouvelle-Aquitaine et des Vosges ainsi que le piémont pyrénéen. Les campagnes les plus attractives sont celles dont les espaces naturels ont été le plus préservés tout en restant accessibles en transport. 

« La pandémie a joué un rôle de catalyseur de projets de déménagement déjà existants, en particulier de familles confrontées à l’arrivée d’un deuxième enfant ou de personnes retraitées », précise Aurélie Delage. 

Loin de départs précipités dans des zones rurales mal connues, ces déménagements correspondent plutôt à des projets aboutis dans des endroits déjà familiers. « On revient en général dans un lieu où on a habité ou passé des vacances étant enfant », poursuit la chercheuse.

 « Transition personnelle » 

Alors que l’image du « néo-rural »  véhiculée dans les médias pendant la pandémie a plutôt été celle de cadres télétravaillant massivement à la campagne, l’étude n’a pas identifié de «  portrait-robot d’’’exodeur’’ »  mais cinq profils différents. 

« Personne n’a vraiment constaté d’effet covid sur le terrain, mais une augmentation depuis 5-6 ans de l’installation de personnes en transition personnelle ou professionnelle », souligne Aurélie Delage.

Alors que les « néo-ruraux »  étaient plutôt, traditionnellement, des personnes à la marge, à la recherche de foncier pas cher, la vague actuelle se caractérise davantage par la présence de personnes diplômées et porteuses de projets: nouvelles pratiques agricoles (herboristerie, etc.), artisanat (poterie, paysans boulangers), soins à la personne (yoga, ateliers bien-être).

Les travaux de l’historienne Catherine Rouvière établissent cinq vagues de « néo-ruraux »  depuis les années 1970. La première se caractérise par l’arrivée de hippies désireux d’opérer un « retour à la terre »  et vivant « dans l’angle mort du développement accéléré des Trente Glorieuses ». Dans les années 1975-1985, une nouvelle vague de « néo-ruraux »  à la recherche de nature continuèrent de travailler en ville, puis d’autres candidats au départ vinrent travailler à la campagne à partir des années 1985. Dans les années 1995-2000, une vague de personnes en grande précarité économique considérèrent la campagne comme « un lieu refuge, où l’on vit moins durement qu’en ville ».

« Depuis 2005, Catherine Rouvière distingue deux catégories de néo-ruraux : les ‘’nouveaux autarciques’’ qui renouent avec une forme de critique radicale de la ville, opèrent un retour à la terre et vivent dans des habitats non conventionnels de type yourtes », poursuit Aurélie Delage. La seconde catégorie, les « civiques », se caractérise par des personnes désireuses « de mettre en œuvre au quotidien leurs convictions écologiques avec pour objectif de rompre avec des pratiques consuméristes ». Leur décision a parfois été accélérée par un burn-out ou une maladie. 

« Ce sont eux qu’on a identifiés sur le terrain, mais les flux restent très marginaux par rapport à l’ensemble des déménagements », remarque la chercheuse.

Parmi les autres profils de « néo-ruraux »  figurent encore traditionnellement les retraités, « toujours plus nombreux », les ménages modestes contraints de s’éloigner des grandes villes pour accéder à un logement abordable, des cadres supérieurs en télétravail, dont le nombre a augmenté avec le covid, mais aussi des populations très précaires sensibles aux théories de l’effondrement.

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